28 mar 2012
Presidentielle 2012
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Marine Le Pen touche-t-elle les limites de son entreprise de dédiabolisation du FN ?

Cela fait presque 20 ans que Sylvain Crépon étudie le Front national. Deux décennies à rencontrer ses acteurs, du plus humble au plus investi, qu’il les interroge, les reçoit et qu’il se rend sur les lieux où le FN tisse sa toile, construit et exerce son pouvoir. Son dernier ouvrage se lit donc comme une enquête policière. Une enquête qui reconstitue le mécanisme du nouveau Front national qui s’est construit autour de Marine Le Pen et des quadras qui ont peu à peu pris le pouvoir après le 21 avril 2002.

Le docteur en sociologie au laboratoire Sophiapol de l’université de Paris-Ouest Nanterre y décortique, élément après élément, la construction on ne peut plus logique, froide et cartésienne de cette PME politique. Avec ses stratégies, ses laboratoires et ses « petites gens ». Beaucoup d’ouvrages ont été écrits sur l’ascension de Marine Le Pen ou l’histoire du FN. Mais peu englobent à la fois l’aspect hautement stratégique et politique et le volet humain, à la base du mouvement.

Des interviews de cadres du mouvement aux militants d’Henin-Beaumont souvent passés par le PS, le PC ou enfants de familles de gauche, il a rassemblé une tonne d’éléments nécessaires au puzzle complexe. Entretien.

> Génération (Marine) Le Pen.

A la fin des années 90 et au début des années 2000 j’avais des interlocuteurs au Front national de la génération de Marine Le Pen qui, quand je les interviewais, étaient sûrs d’arriver bientôt au pouvoir, que Jean-Marie Le Pen allait devenir président de la République et qu’ils allaient exercer des responsabilités. Et ça, c’était vraiment quelque chose qui leur semblait évident. Et le 21 avril 2002 c’est, en ce sens, un drame parce que la mobilisation qu’il y a eue contre Jean-Marie Le Pen avant le deuxième tour, fait qu’ils se sont rendus compte que jamais ils n’accéderaient au pouvoir. Du moins, dans ces conditions.

C’est là où ils se sont mis à écouter les enquêtes du Cevipof qui établissait qu’il y avait entre 40 et 60 % de l’électorat du Front national qui ne voulait pas que Le Pen devienne président de la République. D’une part parce qu’il représentait un danger pour la démocratie et d’autre part parce qu’il n’avait pas les compétences d’un homme d’état.  C’est dans ce but qu’est lancé Génération Le Pen deuxième version et qui se constitue autour de Marine Le Pen et qui décide juste après le 21 avril de lancer ce diptyque “ dédiabolisation et crédibilité ”.

Une normalisation parce qu’ils sentaient bien qu’à partir de leur expérience s’ils voulaient un jour exercer le pouvoir il fallait être crédible et couper avec les racines sulfureuses de leur parti. Du moins d’un point de vue formel, du point de vue de l’image.

> Marine Le Pen au milieu du gué.

C’est ce que j’ai saisi. Là, elle atteint les limites de son entreprise. Les gens qui en avaient marre de n’être qu’un parti protestataire se sont dits : on joue la carte du crédible c’est-à-dire la dédiabolisation. Mais aujoud’hui, ils sont en train de se demander si ce n’est pas Jean-Marie Le Pen qui avait raison quand il disait en 2005, parlant des tentatives de sa fille de normaliser le FN, “ un FN gentil ça n’intéresse personne ”.

Là, ils atteignent leurs limites puisque l’UMP hésite de moins à moins à braconner sur leurs terres, à reprendre leurs thématiques et où est leur spécificité aujourd’hui ? Comment ils arrivent à se distinguer s’ils arrivent à se normaliser et apparaître gentils ? Encore avant Noël (2011) quand j’interrogeais les militants de Marine Le Pen, ils n’avaient qu’une peur c’était que Jean-Marie Le Pen entre dans la campagne. C’était leur trouille. Ils disaient “ mais qu’est-ce qu’il va nous faire ”. Mais, quand il est entré dans la campagne, à Lille, qu’il a fait dans la provocation citant Robert Brasillach, j’ai l’impression que tout le monde était rassuré. Tant que les autres partis n’étaient pas en campagne, elle était audible… maintenant c’est beaucoup plus difficile d’autant qu’à l’UMP il y a des gens comme Guillaume Peltier, un ancien du FN, Patrick Buisson un ancien de Minute qui connaissent parfaitement toute la sémantique du FN, qui savent comment l’adapter à l’UMP et ainsi braconner sur les terres du FN.

 > Législatives et 2017 comme perspective.

Elle n’a pas le choix. Je pense qu’elle a vraiment des chances d’être élue dans sa circonscription d’Henin-Beaumont, de se donner une aura nationale à l’Assemblée et à partir de là, de regrouper ses forces et réorienter sa stratégie. Il ne faut pas oublier que c’est sa première campagne, qu’elle est expérimentée, que son équipe est jeune et que l’air de rien, ils sont en train de s’aguerrir. Mais aussi, pour avoir interrogé les uns les autres, ils ont compris que le FN n’arriverait jamais au pouvoir par lui-même. Arriver au pouvoir ça passera par des alliances. Je pense qu’ils l’ont compris.

> La logique anti-système dure à faire évoluer

Elle critique encore plus l’UMP que le PS et au FN, il y a toute une partie des militants, des dirigeants et même des électeurs qui ne veulent pas une alliance avec la droite. Ce sera moins compliqué à gérer au sein du parti car dès lors qu’il y aura des rétributions les gens deviennent un peu plus raisonnables mais au niveau de l’électorat, ce n’est pas évident. Qui représentera alors l’alternative hors système ? Je pense que c’est vraiment LA fonction du FN.

C’est un classique de la science politique et c’était le rôle dévolu au Georges Marchais dans les années 70-80 qui était l’empêcheur de tourner en rond du système. Mais dès lors que les communistes ont été intégrés au gouvernement socialiste, même s’il y a eu la chute du mur de Berlin, il s’est marginalisé. Le plus surprenant aujourd’hui, et je le dis dans l’ouvrage, c’est que Georges Marchais c’est la superstar au FN, notamment chez les jeunes générations qui ne l’ont pas connu. C’est le leader anti-système, celui qui fait de la provocation, celui qui ne se laisse pas avoir, celui qui défend les emplois des Français, celui qui défend la nation… c’est vraiment une référence idéologique chez les jeunes générations, des gens qui ont 20-21 ans. Même Marine Le Pen le dit et ça, c’est assez étonnant.

> Changement de forme, pas de fond.

Le FN n’a pas renié ses fondamentaux. Quand parfois j’entends dire que le FN se gauchise, je m’étrangle un peu parce qu’il prone la fermeture des frontières, le retour au franc, la préférence nationale en terme d’allocations, de logement, d’emploi, on réforme le code de la nationalité, on revient à un droit du sang exit le droit du sol… Louis Aliot m’a dit qu’ils voulaient établir une nationalité à points, ce qui implique une bonne conduite. Là on revient aux principes ethniques de l’identité qui est finalement un nationalisme anti égalitarisme, les fondements idéologiques de l’extrême droite. La matrice des débuts du FN.

> Son talon d’Achille est sa force

J’ai assisté à une formation des candidats frontistes aux législatives. C’était fin novembre à Nanterre et il fallait voir le niveau. C’est très très faible. A mon avis c’est un des talons d’Achille du FN mais c’est en même temps sa force. Ils ont un grand déficit de matière grise, c’est évident, par rapport au PS et à l’UMP mais c’est en même temps ce qui fait leur force populiste : au sein du parti, quelqu’un qui n’a pas une formation scolaire peut percer, peut avoir des rétributions, peut avoir des responsabilités et espérer entamer une carrière politique. Et ça, c’est vrai qu’au niveau légitimité au niveau des catégories populaires, c’est inestimable.

Ce qui m’a le plus étonné à Henin-Beaumont, c’est que j’ai rencontré beaucoup de militants et de sympathisants qui viennent de familles de gauche, communistes et socialistes, qui ont même fait un bout de chemin avec le PS, avec le PC et qui maintenant disent “ je ne voterai jamais pour la droite, parce que l’UMP c’est le parti des patrons, mais le FN au moins ils nous comprennent « . Cette éthnicisation de la question sociale est quelque chose qui peut donner une légitimité au FN.

Dans certains bastions tenus par la gauche, où il n’y a plus d’espoir, où il y a l’inquiétude du déclassement, de la mondialisation… cette quête de « l’entre-soi » sur un monde ethnique, cette solidarité sur un mode ethnique quand les gens n’ont plus rien ou on peut de tout perdre, c’est redoutable, redoutable. Moi j’ai vu des gens qui, à la base avaient des valeurs de gauche, aboutir au FN par désenchantement et par désespoir et c’est une des choses qui m’a le plus marqué.

> Un espace où on écoute les souffrances

Remi Lefebvre a montré ça au cours de ses très belles recherches sur le PS et dit notamment qu’il n’y a plus d’espace où on peut écouter de la souffrance au PS. On débat énormément, sur un mode très démocratique et c’est vrai qu’il n’y a pas de démocratie au FN, on suit les directives mais en tout cas les catégories populaires peuvent exprimer leur souffrance.

Du coup, le FN est là, dans des territoires comme l’Est de la France, le Pas-de-Calais et ça lui donne une légitimité assez impressionnante. J’ai vu d’anciens socialistes et communistes faire l’apologie de la préférence nationale en disant, “ il n’y a plus que ça pour nous sauver ”.

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