24 fév 2012
Chloé Bossard

Justice : ce que proposent les candidats

Eric Woerth, Dominique Strauss-Kahn, Jean-Noël Guérini, Nicolas Bazire, Thierry Gaubert. Et même, le procureur de Nanterre Philippe Courroye. Pas de doute, la justice a fait son entrée en politique. Cette cascade de mise en examen propulse le troisème pouvoir dans la campagne… mais pas forcément de la manière imaginée par les candidats. Car si chacun brandit l’étendard d’une « justice indépendante », symbole d’une « République irréprochable », les propositions restent maigres.

Pourtant, professionnels du secteur et politiques s’accordent pour dire que « la justice va mal ». De la réforme de la carte des tribunaux à la suppression avortée du juge d’instruction, plusieurs motifs ont fait descendre magistrats et avocats dans la rue de manière très inhabituelle durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Pour la Conférence des procureurs, 2011 « restera sans doute parmi les plus difficiles supportées par les juridictions depuis bien longtemps. Aux difficultés matérielles et budgétaires s’ajoutent désormais un désenchantement et une souffrance généralisée chez les acteurs de terrain, magistrats et fonctionnaires ».

(Photo P. Lavaud)

Corinne Lepage, Jean-Luc Mélenchon, Eva Joly et François Bayrou se prononcent pour une réforme du système judiciaire, tandis que Nicolas Sarkozy, Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan plaident pour un durcissement des peines, notamment envers les mineurs. François Hollande, quant à lui, reste discret.

Corinne Lepage pour un « pouvoir judiciaire »

Corinne Lepage veut subsituer un « véritable pouvoir judiciaire indépendant » à la « simple autorité judiciaire déjà existante ». Pour cela, la candidate de Cap 21 propose de modifier la Constitution, et de faire de la justice une institution à part entière. Elle envisage de créer la fonction de Procureur de la nation, qui serait désigné par le Parlement. Il devra « assurer l’autonomie du ministère public sur la gestion des affaires individuelles tout en respectant les droits de l’exécutif sur la conduite générale de la politique pénale », et gérer la carrière des magistrats du Parquet.

Chacun pourra également saisir le Conseil supérieur de la magistrature en cas de dysfonctionnement de la justice ou de faute professionnelle.

Jean-Luc Mélenchon promet « d’humaniser » la prison

Pour le candidat du Front de Gauche, il faut annuler ce que Nicolas Sarkozy a mis en place. Exit la révision générale des politiques publiques (RGPP) et la réforme de la carte des tribunaux. Jean-Luc Mélenchon souhaite rétablir cette carte « sur l’ensemble du territoire », et promet aussi « un vaste plan d’humanisation de l’univers carcéral », sans en dire davantage.

Il promet par ailleurs de remplacer le Conseil supérieur de la magistrature par un Conseil supérieur de la justice. Cette nouvelle instance, qui devra nommer les magistrats, serait à moitié élue par eux-mêmes, et à moitié nommée par le Parlement.

Eva Joly pour des nominations « justes »

Pour une ancienne juge, Eva Joly s’avère très discrète sur la question de la Justice. Sa seule prise de position concerne la nomination des magistrats. Selon son projet, le Conseil supérieur de la magistrature devrait proposer des noms à la Cour de Cassation pour les postes de premier président de Cour d’appel et de président de Tribunal de Grande Instance. « Tous les autres magistrats seront nommés sur son avis conforme ».

Bayrou mise sur le symbole

Dans son programme, François Bayrou multiplie les références et les symboles. Beaucoup de mots, peu de propositions. Le candidat du MoDem propose une « pensée nouvelle sur l’architecture du pouvoir judiciaire », et parle de décisions « pas faciles à prendre ». Sur la nature de ces décisions, il laisse planer le mystère.

« La carrière des magistrats, du Parquet, dépende de l’Exécutif, ce qui les rend naturellement plus sensibles, pour certains d’entre eux, face aux injonctions », déplore-t-il. Pour lui, aucune nomination au Parquet ne doit se faire sans l’avis du Conseil supérieur de la magistrature. « Un progrès vers l’indépendance ».

François Hollande veut créer 5000 postes

La proposition n°52 de François Hollande est laconique. Le candidat PS lance seulement deux mesures pour améliorer le fonctionnement de la justice : doubler le nombre de centres éducatifs fermés pour les mineurs condamnés, et créer chaque année mille postes supplémentaires dans la justice, la police et la gendarmerie.

Nicolas Sarkozy récidive et va plus loin

En substance, le projet de l’UMP reprend de nombreuses propositions de 2007, qui n’ont pas pu être appliquées, et tente d’aller encore plus loin. Le code pénal pour les mineurs est la principale : il voudrait sanctionner plus fermement les mineurs délinquants afin de « lutter contre le sentiment d’impunité ». L’UMP entend notamment rendre possibles les travaux de réparation dès douze ans, et augmenter les capacités des centres éducatifs fermés.

Le parti majoritaire s’engage également à ouvrir de nouvelles places de prison, « pour atteindre 80 000 en 2017″. Une extension nécessaire compte tenu des durcissements proposés. Ainsi, un détenu ne pourra pas bénéficier d’une libération conditionnelle tant qu’il n’aura pas purgé les deux tiers de sa peine, et des peines-plancher seront instaurées pour les réitérants* (et plus seulement pour les récidivistes).

Enfin, l’UMP souhaite donner davantage de pouvoir au Parquet pour l’exécution des peines. Le juge d’application des peines devra « se concentrer sur le suivi des détenus », afin de « mieux prendre en compte les victimes ».

Marine Le Pen augmente le budget

A l’inverse, le projet de Marine Le Pen est prolixe sur le sujet. La candidate frontiste entend même revaloriser le budget consacré à la Justice de 25% au cours du quinquennat, et augmenter le nombre de magistrats pour atteindre un ratio de 20 pour 100 000 habitants. « La France doit rattraper son retard vis-à-vis de ses voisins, comme l’Allemagne et le Royaume-Uni », justifie-t-elle. Le projet prévoit également la création de 40 000 places de prison, mesure qu’il qualifie d' »impératif humanitaire ».

La candidate du Front National s’engage aussi à supprimer les remises de peine automatiques, et à réformer une nouvelle fois la garde à vue. Elle envisage de créer « un corps de contrôleurs des droits civiques », en fait d’anciens professionnels de la justice à la retraite, qui seraient volontaires pour vérifier les conditions de la garde à vue. Par ailleurs, si Marine Le Pen est élue, les magistrats ne pourront plus se syndiquer, ni s’engager politiquement.

Enfin, les mineurs délinquants goûteront à un « traitement énergique et efficace » : responsabilité pénale accrue pour les mineurs de plus de 13 ans, traitement des dossiers accéléré et aides sociales aux parents d’enfants récidivistes supprimées.

Nicolas Dupont-Aignan supprime les remises de peine

Le projet de Nicolas Dupont-Aignan s’oriente clairement vers un durcissement des peines. « Depuis des années, pour limiter la surpopulation carcérale et parfois par mansuétude vis-à-vis des coupables ou idéologie, les peines sont de moins en moins appliquées », déplore-t-il. Le candidat de Debout la République promet de revenir sur la loi de 2009, qui permet de ne pas appliquer les peines de moins de deux ans.

Comme Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen, Nicolas Dupont-Aignan compte également supprimer les remises de peine automatiques en appliquant au moins deux tiers des peines.

Dominique de Villepin l’indépendant

Pour rompre la dépendance de la Justice par rapport à son ministre de tutelle, Dominique de Villepin propose de créer un Procureur Général de la Nation (comme Corinne Lepage). Ce magistrat, le plus haut de la Nation, serait investi aux par le Congrès (Parlement nouvelle version) pour sept ans et chargé de la nomination des procureurs.

Le candidat de République solidaire est également le seule à vouloir encourager les « procédures infra-judiciaires » commes les médiations ou les plaider-coupable. Le but : éviter le procès et désengorger les tribunaux.

Quant à Nathalie Arthaud et Philippe Poutou, leur programme ne comporte pour le moment aucun paragraphe sur la Justice.

 

*qui ont commis des infractions d’une nature différente de celle pour laquelle ils ont été condamnés.

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