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FRENKEL

Une claque. Et une découverte marquante. C’est en écoutant la radio, France Inter pour ne pas la nommer,  que j’ai entendu parler de ce récit, « Rien où poser sa tête », réédité à l’occasion de la rentrée littéraire de janvier dernier.

Une histoire forte. Terrible. Un témoignage qui nous plonge dans la France de la Deuxième Guerre mondiale, dans le quotidien de la France occupée, celle qui ne veut pas des Juifs…

Françoise Frenkel, née Frymeta Idesa Frenkel, voit le jour en Pologne, en 1889, dans la région de Lodz.

Elle bénéficiera d’une éducation bourgeoise, poursuivra des études en Pologne puis en France et en Allemagne. En 1921, avec son mari Simon Raichenstein (dont il n’est fait aucune mention dans ce récit. Il a quitté l’Allemagne dès 1933. Arrêté lors d’une rafle en 1942, il mourra un mois plus tard à Auschwitz), elle créé une librairie française au coeur de Berlin.  Un endroit couru par les auteurs, des intellectuels. De Colette à Gide, de Maurois à Barbusse.  Un lieu, unique alors, qui vaudra à Françoise Frenkel une lettre de Daladier, alors président du Conseil pour « services réels  » rendus  » pour la diffusion du livre français à l’étranger ».

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la-femme-au-colt-45Il faut toujours faire confiance à son libraire ! La preuve avec ce roman qu’une amoureuse des livres m’a mis entre les mains, à Tours, il y a quelques semaines. Une idée de lecture pour vos vacances ? Allez savoir…

Bonne pioche !  J’ai dévoré « La femme au colt 45″, écrit par Marie Redonnet, et publié aux éditions Le Tripode.

Avec ce court roman, Marie Redonnet, qui avait signé son premier roman en 1986, revient après des années de silence ( son dernier roman date de 2005). Et offre le portrait, au scalpel, d’une femme libre.

L’histoire ? Celle de Lora Sander. Une comédienne qui doit quitter son pays et se réfugier dans un autre, compte tenu du contexte politique. Une femme qui doit vivre séparée un moment de Zuka, l’homme qu’elle aime, metteur en scène ( il a été arrêté), une femme qui a laissé partir son fils Giorgio de son côté. Pour se défendre, un colt 45, hérité de son père et sa soif de liberté chevillée au corps. L’arme la protégera-t-elle vraiment ? Pas si sûr.

 

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Prix du meilleur roman Points : acte II

Comme les autres membres du jury, j’ai reçu de nouveaux titres de la sélection 2016. Vous trouverez ici :

« Métamorphoses », de François Vallejo

« Scipion » de Pablo Casacuberta

- « Academy Street » de Mary Costello

« Le coeur du pélican » de Cécile Coulon

Pour ceux qui veulent en savoir davantage sur la sélection, retour sur l’acte I ici.

On commence ?

J’ai d’abord plongé dans le roman de Françojs Vallejo, un romancier que je connais et dont j’avais apprécié plusieurs romans.

vallejo François Vallejo, professeur de lettres classiques, est un passionné de Claudel et Louis-Ferdinand Céline. Auteur de onze romans, « Métamorphoses », son dixième opus, est initialement sorti en 2012.

François Vallejo est notamment lauréat du prix du Livre Inter pour « Ouest ». C’était en 2007. Parmi ses titres les plus connus « Groom », « Ouest » donc, mais aussi « Madame Angeloso ».

Le roman sélectionné pour le prix du meilleur roman Points est, pour le coup, un sacré uppercut. Et pour cause. Bien qu’écrit trois ans avant les attentats de Charlie Hebdo puis ceux du 13 novembre 2015, on dirait qu’il en découlé.

L’histoire ? Elle est tragique. Elle est forte. Elle est ancrée dans notre réalité contemporaine. L’histoire c’est donc celle d’Alix Thézé et de son « demi » comme elle dit, son demi-frère, Alban Joseph. Ils ont la même mère. Ont reçu la même éducation, bourgeoise. Mais n’en auront pas fait le même usage.

Si Alix est devenue une restauratrice de peintures anciennes dont le travail est apprécié, Alban, le doctorant en chimie, a sérieusement dérapé. Il s’est radicalisé. A changé de vie. Et même d’identité. Et il veut laisser une trace. Tant pis si elle suinte l’horreur…

Alors Alix, qui a compris, va se battre. Contre tout le monde pour que son frère s’en sorte et ne devienne pas un terroriste. Elle se battre contre les oeillères de sa mère et de son beau-père, contre les « nouveaux » amis de son demi, contre les services de renseignements français. Une lutte. Longue et âpre. Au nom de leur fraternité.

Un roman dont on tourne les pages pour savoir. Pour comprendre. La seconde partie cependant est moins bonne que la première.

 Extrait

Pages 133-134 : « Ce ne sera pas lui nuire, mais l’aider, ma seule ambition depuis le début. Croire qu’on préservera les affaires de l’agence de voyages, en cachant l’histoire de mon demi, c’est une erreur, je le vois de plus en plus clairement. Erreur de maintenir la fiction de sa liberté de choix. Nous avons seulement honte de voire un garçon bien élevé, brillant, passer de l’autre côté. Quel autre côté ? C’est le plus embarrassant à dire. Je sens que je ne suis pas encore fermement décidée.

Je me fixe une limite : notre première campagne de restauration touche à sa fin. Je ne la retarderai pas par un départ anticipé. Je respecte mes engagements. Je n’en prendrai pas d’autres, c’est tout. D’ici là, je renonce à la presse, je jette la documentation accumulée, je m’abstiens de toute lecture. Dans trois semaines, nous quitterons La Puisaye. Dans trois semaines, j’aurai assez de force pour franchir le pas. Quel pas ? Dénoncer mon demi. »

Deuxième découverte avec « Scipion » de Pablo Casacuberta.

SCIPIONVoilà un roman surprenant. Jubilatoire. J’ai beaucoup aimé l’histoire presque tragique d’Anibal Brener. Spécialiste de l’Antiquité, comme son père, « le professeur », il végète. Boit. Vit dans une pension minable avec un vieux grabataire. La mort de son père, il l’a appris par la télévision. Fils indigne ? Plutôt pas à la hauteur. Pas simple quand vous portez le nom d’un illustre général carthaginois…

Deux ans après la mort de son père ( celui qui a fait fuir sa femme, la mère d’Anibal et de Berta, qui a également fui la maison et le pays pour s’installer en Belgique), Anibal peut enfin pénétrer dans la maison familiale. Et se faire remettre trois boites pour tout héritage.

Dans l’une d’elles, un livre et à la page 492 un codicille qui conditionne son accession à l’héritage. Son père ne lui épargne rien, même de l’au-delà. Parce qu’il se doit d’aller au bout et de comprendre, Anibal va se battre. Et se rapprocher de ce père vaniteux et despotique au terme d’une aventure pas banale, entre Manzini un avocat peu scrupuleux et, Selma, une ancienne fiancée calculatrice.

« Scipion » est le premier roman traduit en français de Pablo Casacuberta auteur de cinq romans, venu du Paraguay.

Extrait

 Page 272 :« Même maintenant, en voyant l’eau s’approprier les boîtes, je devais accepter que ma négligence n’ait rien à voir avec ses fameuses conditions. Cette fois, je devais simplement m’occuper d’un pauvre tas de papiers et je n’avais même pas été capable d’accomplir une mission aussi élémentaire. C’était comme si un démon intérieur s’était chargé d’empêcher une victoire possible dans tout ce qui relevait, fût-ce indirectement, du monde de mon père. Si j’obtenais un poste dans son département, je me consacrais à écrire des articles qui allaient à coup sûr l’irriter ; si je devais assister à une réunion de professeurs, je me débrouillais pour arriver en retard, avec la flasque d’alcool faisant une bosse dans la poche intérieure de ma veste et une haleine de barrique de chêne qui aurait soûlé un marin ; si ma petite amie essayait de l’impressionner par une étude, je m’arrangeais pour la propulser avec une catapulte argumentaire à dix mille kilomètres de distance. Il fallait reconnaitre que, pour ce qui était de me déshonorer, j’avais été son collaborateur le plis assidu. »

J’ai ensuite enchainé avec « Academy Street » de Mary Costello. Encore une auteure que je ne connaissais pas. Merci au prix du meilleur roman Points  donc !

COSTELLOAuteure de nouvelles, Mary Costello signe-là son premier roman qui, excusez du peu, a reçu l’Irish Book ou the Year Award 2014, décerné pour la première fois à une femme.

Cette fois, l’histoire nous mène en Irlande puis aux Etats-Unis. L’héroïne se prénomme Tess. Nous la suivrons de ces sept ans ( à la fin des années 40) jusqu’en 2011. Le 9 septembre, son fils unique meurt dans les attentats du World Trade Center.

Tess, benjamine d’une fratrie de six enfants, perd sa mère alors qu’elle n’est encore qu’une enfant. Elle se réfugie dans le silence, son père dans sa douleur. Tess grandit. Devient infirmière et rejoint l’une de ses soeurs à New-York.

Elle tombe amoureuse, passe une seule nuit avec celui qu’elle aimera toute sa vie et tombe enceinte. Naît un garçon, Theo, qu’elle élèvera seule. Une vie de labeur, de résignation et de rêves raisonnables dont Mary Costello a, je trouve, divinement bien restitué l’atmosphère. Un portrait de femme ordinaire qui a peut-être oublié de vivre sa vie, se raccrochant aux livres et à la religion. Dévoré en un après-midi !

 Extrait

Page 132 : « C’est vers Willa qu’elle se tourna. Dans la cuisine de son amie ce soir-là, elle ouvrit sa sac à main et lui présenta en silence la coupure de journal. Willa servait le dîner. Elle s’interrompit, lut l’annonce et, sans prononcer le moindre mot, se remit à servir son mari, ses enfants et Theo tous attablés. Ensuite elle effleura le bras de Tess et alla chercher son manteau. Elles descendirent la rue, tête baissée, blotties l’une contre l’autre. Elles restèrent assises dans un diner jusqu’à ce que leur café refroidisse. Tess raconta tout à son amie : la mère morte, la soeur morte, l’enfance, l’homme. Dit à voix haute cela ne parut pas si terrible. Il lui arriva même de rire. Ce n’était pas drôle, non, mais ce n’était pas tragique non plus. Elle eut l’impression de raconter la vie d’une autre, une vie d’il y a longtemps. »

→ Dernier roman présenté dans ce post, « Le coeur du pélican », de Cécile Coulon.

PELICANCette fois encore, je ne connaissais pas cette auteure, même si j’avais entendu parler de ce roman. « Le coeur du pélican » est le quatrième roman de Cécile Coulon... qui n’a que vingt-six ans !

Après des études en hypokhâgne et khâgne à Clermont-Ferrand, elle poursuit des études de Lettres Modernes. Cécile Coulon consacre actuellement une thèse au « Sport et Littérature ».

Cette fois, nous suivons la vie d’Anthime. De son adolescence à l’âge adulte. Un adolescent sans histoire, entouré de parents étouffants et d’une soeur, Helena, avec laquelle il entretient un lien ambigu. Au hasard d’un jeu, il fait montre de sa vélocité. Ce sera son arme, sa force. Et le début d’une nouvelle vie. Celle de la compétition, avec son coach Brice. Le Pélican est né. Mais est-il heureux ? Joanna, sa voisine, l’attend. Et en fera son mari. Quitte à l’étouffer. Anthime, lui, n’a jamais aimé que Béatrice qu’il n’a pourtant jamais embrassée.

Au jour, l’athlète craque. Son corps lâche. Clap de fin sur une carrière qui aurait pu le mener jusqu’à l’or olympique. Il s’étiole, s’éteint. Vingt ans après avoir tout arrêté, d’anciens camarades se moquent de lui et le mettent au défi. Anthime est-il capable de repartir ? Helena le soutient, Joanna, non. Mais jusqu’où ?

Grandeur et décadence d’un homme qui estime n’avoir pas choisi sa vie. Assez agréable à lire mais loin d’être transcendant.

Extrait

Page 171 : « Elle n’avait pas réfléchi longtemps pour décider quoi faire. Helena l’accompagnerait. Evidemment. C’est ce que Béatrice aurait fait. Pauvre cloche : si Béatrice avait été là, Anthime n’aurait pas épousé Joanna, Anthime n’aurait pas pris quinze kilos, Anthime n’aurait pas quitté la maison au beau milieu de la nuit.

Il était sur le point de traverser le pays, leur pays, en courant. Il était sur le point de disparaître, et sa soeur devait choisir, disparaître avec lui ou non. Elle serait son intendante, son médecin, sa conscience. Il serait des jambes, des poumons, des fesses et des bras sur la route. Si Helena l’accompagnait, il se sentait capable de revenir parmi les siens, une fois le périple accompli. Anthime la prenait en otage, si elle ne participait pas au retour du Pélican, ses neveux ne reverraient pas leur père, sa dulcinée ne toucherait plus son mari. »

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Sélection prix Roblès 2016

Et une vraie bonne surprise pour la fin !  « Le cas Annunziato » aura été le dernier premier roman que j’ai dévoré pour cette sélection 2016 du prix Roblès. Un (court) roman de haute volée, enlevé, drôle et loufoque à souhait.

CAS ANNUNZIATO  L’histoire ? C’est celle de Fabrizio Annunziato, traducteur installé à Paris et en visite à Florence. Deux de ses amis l’enferme dans l’une des cellules de l’ancien couvent dominicain San Marco, transformé en musée national.

Plutôt que s’en plaindre, Fabrizio, qui a un manuscrit à traduire va trouver là l’endroit idéal pour mener à bien son travail. Surtout que la belle serveuse habite tout tout près…

L’histoire va, le jour de la découverte de l’enfermement volontaire, trouver un retentissement bien étonnant. Les médias s’emparent de l’affaire du reclus volontaire.

Nous sommes au printemps 2002.  En Italie, Berlusconi fait des siennes et la population est dans la rue, c’est la grève générale. En France, la campagne électorale pour les présidentielles bat son plein.

Dans sa cellule, Fabrizio vit quelque chose de fort. Intense. Intime.

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Sélection prix Roblès 2016

Je me suis tue  Lire des livres non choisis n’est pas toujours simple ! La preuve avec « Je me suis tue » de Mathieu Menegaux qui, pour moi, aura été la véritable mauvaise surprise de cette sélection 2016 du prix Roblès.

L’histoire ? Elle me parait capillotractée. Trop. Claire est une quadragénaire à qui tout avait réussi. Enfin presque. Au début du livre, on la retrouve à la prison des femmes de Fresnes. Son procès devant les assises s’est ouvert. D’ici quelques heures, le verdict sera rendu. Mais Claire n’a toujours rien expliqué sur le drame dont elle s’est rendue coupable.

Un drame en plusieurs. Le viol d’abord. Celui qu’elle subi un soir alors qu’elle rentre d’un dîner. Elle ne dira rien. A personne. Et tombera enceinte. De son violeur ? C’est ce qu’elle va croire des mois durant.  Et se tromper cependant. L’enfant, Pierre, est bien le fils de son mari Antoine. Mais le ver est dans le fruit. Le mensonge, le silence, le doute. Leur histoire explose et Claire implose. Jusqu’à commettre l’irréparable.  Par deux fois.

Le portrait d’une femme torturée écrit par un homme,  quadragénaire et conseil en management. Une histoire dans laquelle je ne suis pas entrée. Trop alambiquée. Et le fait, pour l’auteur d’user et d’abuser de paroles de chansons est, de mon point de vue, assez exaspérant.

Extraits

 Pages 12-13 : « C’est décidé, je vais faire le mur, donc. Tout est prêt. Je vais franchir les murs d’enciente sans échelle, sans grappin, sans draps noués, je vais voler au-dessus des fils de fer barbelés sans ailes, disparaître sans trucage, m’évanouir sans arme, sans haine, ni violence. Demain matin je pars. Dès que j’aurai fini de noircir ces pages sur mon lit à barreaux, et de les mettre en ordre.  Je vais pouvoir oublier, enfin. L’écriture est la dernière étape de mon chemin de croix. Je ne compte pas revenir au troisième jour. Ils ne me reverront pas. »

Pages 100-101 : « Depuis six mois, pas une fois, je ne m’étais égarée comme ça. Je n’y avais plus jamais pensé. J’avais réussi mon pari, oublié le viol, enfoui les doutes, balayé les évidences, construit ma forteresse et creusé de telles douves qu’elle était devenue imprenable. Je l’avais renforcée jour après jour et d’un coup elle se fissurait, elle tombait en ruine, comme sous l’impact d’un soudain tremblement de terre. Ce tsunami de douleur allait finir par emporter toutes mes certitudes sur son passage. »

« Je me suis tue », Mathieu Menegaux, Grasset.

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Sélection prix Roblès 2016

TODAYOn poursuit notre promenade parmi les premiers romans sélectionnés cette année pour le prix Roblès. En attendant la proclamation du nom du lauréat 2016, le 3 juin, voici une nouvelle découverte avec « Today we live » écrit par Emmanuelle Pirotte, scénariste de métier.

Avec  ce roman ramassé, elle nous entraine en Belgique, au coeur de la Deuxième Guerre mondiale. Nous sommes en décembre 1944, en pleine contre-offensive allemande dans les Ardennes belges.

Une petite fille juive, que tous appellent Renée est confiée à deux soldats qui se disent américains. Il n’en est rien. Les deux hommes sont Allemands, infiltrés. Mathias abat son camarade et s’enfuit avec la fillette de sept ans. Pour faire quoi ? Pour aller où ? La guerre les rattrape et la forêt, un temps un abri, ne l’est plus.

De cette rencontre improbable, de cette cavale épique et de cette amitié étrange, Mathias et Renée font faire le socle de leur histoire. Un roman bien mené. Qui tient en haleine. Personne n’y est tout à fait bon ou méchant. Les circonstances sont exceptionnelles, les hommes et les femmes s’adaptent. Et s’arrangent pour survivre.

« Today we live«  a reçu le Prix Edmée de La Rochefoucauld 2016.

Extraits

Page 24 : « Mathias était un maillon de cette machine de destruction. Il était un des membres de l’ogre affamé. Mais cela ne l’empêchait pas de dormir. Il avait pris ce que le système avait de meilleur à lui offrir, en sachant exactement dans quelle merde il mettait les pieds. Et personne ne l’avait obligé à participer à la danse, il s’était invité tout seul.

Depuis quelques mois, la grande fête macabre virait au pathétique. La guerre était perdue et on faisait semblant que c’était tout le contraire. Cette opération Greif était du plus parfait ridicule : quelques pauvres types à peine sortis du ventre de leur mère, braillant l’anglais comme une fermière de Souabe, aussi convaincants en fils de l’Oncle Sam que Goebbels en danseur de claquettes. Même les déguisements étaient lamentables  : pleins d’à-peu-près et d’inexactitudes, comme des costumes de fête d’école pour pauvres. Mais enfin, Mathias avait accepté, ainsi que trois ou quatre des meilleurs de la bande au Balafré. »

Page 60 : « Trappeur dans les forêts du nord de la baie James au milieu des années 1930, Mathias avait vécu seul, côtoyant les Indiens de loin, pour les besoins de la traite. Et puis un jour, son canoë s’était retourné dans les rapides d’Avoine de la rivière Rupert. Chihchuchimâsh l’avait trouvé, agonisant sur une plaque de pierre en bordure de la rivière. C’était le chien de Mathias qui avait attiré la vieille femme jusqu’à lui. Mathias avait le crâne fracassé, mais il s’en était remis, après une forte fièvre qui avait duré une semaine.

Mathias marcha ainsi longtemps, visité par de brèves et puissantes fulgurances, venues du Canada. Malgré son état de confusion, de profonde incertitude, il savait une chose : la forêt lui avait terriblement manqué. Une vraie forêt. C’était la première fois depuis cinq ans qu’il y vivait plus de quelques heures d’affilée. Ses entraînements chez les Brandebourgeois comportaient des parcours dans les bois, et ses missions d’infiltration parmi les résistants du Vercors l’avaient amené à vivre dans la nature, mais il s’apercevait à présent à quel point ces moments avaient été trop rares. »

Pages 180-181 : « “La plupart de tes copains préfèrent se faire buter plutôt que donner des infos. Qu’est-ce que tu veux ? ”

Mathias se figea à la question de Pike. Que voulait-il ? Il se sentait épuisé comme jamais il ne l’avait été. Il en avait par-dessus le képi. Cette guerre avait cessé de l’amuser depuis sa dernière infiltration dans la Résistance française, quand il avait dû abattre trois adolescents, deux garçons de dis-sept ans et une fille de dix-huit, sur la place d’un village. Il leur avait tiré dans le dos alors qu’ils s’enfuyaient, sous les yeux de la mère des garçons, une femme d’un courage exceptionnel qui l’avait hébergé, nourri pendant des semaines. Ce jour-là, il s’était dit qu’il lui était à peu près égal de vivre ou de mourir. Seulement on ne meurt pas si facilement quand on est une bête de guerre surentrainée. C’est plus fort que soi. Renée était venue tout chambouler. De nouveau, il avait en envie de vivre, pour elle, et pour lui. Pour lui avec elle. Il voulait vivre. C’est ce qu’il dit à Pike. Celui-ci eut un sourire désolé, parce que ce n’était pas ce qui était prévu. « 

 « Today we live », Emmanuelle Pirotte, au Cherche Midi, 16,50€. 

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Sélection prix Roblès 2016

en-attendant-bojangles-223x330 Poursuivons notre découverte des six premiers romans qui composent la sélection 2016 du prix Roblès. Et swinguons en découvrant « En attendant Bojangles ». Voilà un livre singulier, court, truculent, fantaisiste, sensible, vraiment émouvant… déjà couvert d’éloges et de prix !

En janvier, le journaliste et critique littéraire Jérôme Garcin avait prédit, dans sa chronique du Nouvel Obs, un parcours semé de roses à Olivier Bourdeaut. Et croyez-vous qu’il arrivât ? Les libraires aiment beaucoup ce roman, les lecteurs aussi.

« En attendant Bojangles » a déjà été couronné du Grand Prix RTL / Lire. Il a élu Roman des étudiants France Culture / Télérama et est également lauréat du
Prix roman France Télévisions.
Bref, voilà un candidat sérieux pour le prix Roblès !

L’histoire ? Elle est racontée à deux voix. Celle du fils du couple, devenu grand. Celle de son père aussi. Entre eux, l’histoire d’une femme et d’une mère que la folie finira par tuer. Mais avant, quelle vie ? Le couple a de l’argent pour vivre sans contraintes. De toutes manières, il ne les supporte pas.

Alors, Georges et son épouse (qu’il nomme d’un prénom différent chaque jour) vont faire de chaque instant une fête. Font faire un enfant, aussi. Un garçon qu’ils puniront à l’occasion en le mettant devant la télé, un enfant à qui ils feront la classe, un enfant qu’ils élèveront entre fêtes et danses, dont la fameuse « Mr. Bojangles » de Nina Simone…

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 Sélection prix Roblès 2016

C’est le printemps ! Et aussi le moment de plonger dans la sélection du prix Roblès 2016. Depuis 1990, en effet, le prix Emmanuel-Roblès, prix des lecteurs de Blois-Agglopolys, couronne l’auteur d’un premier roman francophone, récompensé par une bourse.

Le 3 juin prochain, les lecteurs détermineront ainsi le lauréat 2016 parmi six auteurs. Des semaines déjà que les comités de lecture sont plongés dans leurs écrits.

Avec mes collègues de la NR de Blois, je fais partie d’un de ces comités. Qui sera notre lauréat ?

Sélection 2016 :

« En attendant Bojangles  » d’Olivier Bourdeaut
« Djibouti » de Didier Deram
« Le cas Annunziato » de Yan Gauchard
« Un marin chilien » d’Agnès Mathieu-Daudé
« Je me suis tue » de Mathieu Menegaux
« Today we live » d’Emmanuelle Pirotte

Vous trouverez ici mon post concernant « Djibouti », dont j’ai beaucoup aimé le texte il y a déjà plusieurs mois, publié chez Buchet Chastel, une petite maison d’édition décidément bien inspirée et dont l’un des auteurs, Nicolas Clément, a précédemment remporté le prix pour « Sauf les fleurs ».

MARIN CHILIEN

 

Je viens de refermer « Un marin chilien », premier roman d’Agnès Mathieu-Daudé, conservateur du patrimoine à Paris.

C’est très loin de la capitale qu’elle nous emmène cependant. En effet, ce roman se déroule en Islande. Là-bas, une drôle d’histoire se trame. Alberto, géologue chilien vient y passer plusieurs semaines pour suivre de près une éventuelle éruption volcanique. Un quiproquo et un café plus tard, Thorvardur le soupçonne d’être l’amant de Thorunn, son ex-femme et mère de son petit garçon. De quoi mettre l’homme très très en colère. Thorvardur n’est pas un homme commode. Colosse colérique et alcoolique, il peut compter sur sa mère, la terrible mégère Hekla pour entretenir et alimenter son ressentiment.

Au fil des pages, l’histoire se corse. Alberto devient, au terme d’une nuit alcoolisée, propriétaire de l’usine désaffectée de son rival. Puis fait la connaissance de Björn, drôle de fermier solidaire… qui n’est autre que le frère jumeau de Thorvardur. Là, il fera aussi la connaissance de Hanna, une adolescente paumée et visiblement en danger.

Ajoutez à cela un Alberto pris entre sa quête d’identité (abandonné à sa naissance, il a été recueilli et élevé par des religieuses), sa culpabilité (il se croit responsable de la mort de son meilleur ami Marcello), et son questionnement sur son histoire d’amour avec Maria, au Chili, et Thorunn  en Islande… et vous obtenez un premier roman exotique, un road-movie sur une île au caractère bien trempé. Dommage que l’ensemble du roman ne soit pas à la hauteur des premières pages enthousiasmantes !

Extraits

Pages 18-19 :« Ces jumeaux  étaient arrivés alors qu’Hekla ne s’y attendait pas. On ne pouvait pas dire qu’elle ne s’y attendait plus, elle n’avait simplement pas envisagé d’avoir des enfants avec Björn, le père. Elle l’avait épousé, on faisait comme cela en 1940 et il était peut-être le seul à avoir accepté. Bien plus tard, elle avait appris en regardant le journal télévisé que l’on pouvait choisir de vivre avec une femme, plutôt qu’avec un homme. Elle ne ressentait pas d’attirance particulière pour les femmes, elle n’avait d’ailleurs pour autant qu’elle s’en souvienne jamais ressenti d’attirance particulière pour qui que ce soit, mais cette découverte en amenait une autre : on pouvait subsister sans mari, et ce sans pour autant rentrer dans les ordres ou avoir raté sa vie. Pourquoi personne ne le lui avait dit ? Cette question devenait obsessionnelle. Elle mettait sur le même plan l’autre grande escroquerie que l’avait menée à croire que manger de la viande était indispensable à la survie de l’être humain, théorie dont la même télévision lui apportait un démenti flagrant sous couvert de reportages sur les végétariens, au milieu des inanités qu’elle regardait lorsqu’il était trop tard pour que les visiteurs s’aventurent dans son jardin. Elle détestait la viande autant qu’elle détestait son mari. Elle détestait surtout se faire avoir. « 

Page 148 :« Peut-être que son projet de recherche soudain et ses envies d’éruption n’avaient d’autre explication que son désir ou son besoin de quitter le Chili. Est-ce que c’était aussi quitter Maria ? Il faudrait bien en revenir, de ce voyage en Islande. Ou est-ce qu’il prévoyait de disparaître dans l’éruption, opposant son silence au satellite qui avait repéré son téléphone et lui transmettait les messages de Maria ? Quel drôle d’amour que celui qu’il fallait noyer dans des torrents de lave ou d’indifférence. Et Thorunn ? Il la connaissait depuis trois jours. Est-ce qu’en trois jours on pouvait oublier une relation de dix ans ? Ou est-ce que ce n’était pas le seul moyen d’oublier une relation de dix ans ? Ce que Maria lui apportait, Thorunn saurait peut-être le remplacer : après tout, elle exsudait le confort en plus d’une animalité qui l’avait jeté sur le tapis à ses côtés ».

Page 244 :« Il alla se laver les mains, il frotta longtemps sous le petit filet d’au glacée qui s’écoulait de l’unique robinet du lieu, et essuya sur son pantalon. Il regarda les traces que ses mains dessinèrent sur le velours. Dans quelques minutes, elles auraient disparu, tandis que son empreinte rouge prenait déjà sur la porte une teinte ocrée comme la rouille du phare et la rouille des machines. Accidentelle ou intentionnelle, il fallait réfléchir à la trace qu’on voulait laisser. Avait de repartir, il s’approcha de la falaise, aussi près qu’il l’osait. D’un mouvement de bras qui faillit le déséquilibrer, il jeta la clé de l’usine, aussi loin qu’il le put. »

« Un marin chilien », Agnès Mathieu-Daudé, Gallimard, 18€

 

 

 

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Rentrée littéraire

GRAND MARIN

 

Nous ne sommes qu’au printemps et je vous annonce déjà le roman de l’année. Je m’emballe ? Pas si sûr. En refermant « Le grand marin », premier roman de Catherine Poulain,  j’ai pris une claque. Comme en l’ouvrant d’ailleurs. Tout cela à cause de la première phrase. Je vous raconte ?

« Il faudrait toujours être en route pour l’Alaska. Mais y arriver à quoi bon. »

Des mots qui invitent à embarquer. Catherine Poulain l’a fait, elle. Dix ans de sa vie sur les bateaux de pêche en Alaska. Seule femme à bord. Pour la beauté du geste, et une putain de liberté chérie depuis ses vingt ans et son départ de Manosque.

D’Europe en Asie en passant par l’Amérique, Catherine Poulain, « runaway » jamais lassée, aura été barmaid à Hong-Kong, ouvrière agricole au Canada, employée d’une conserverie de poisson en Islande… et donc pêcheuse en Alaska, là-bas, du côté de Kodiak.

Elle y passera dix ans, de 1993 à 2003. A cette date, les services de l’Immigration lui intiment l’ordre de quitter le pays. Elle n’est pas en règle. Elle regagne la France. Aujourd’hui, cette quinquagénaire au visage buriné et aux mains qui intimident, se partage son temps entre deux activités : bergère dans les Alpes-de-Haute-Provence et employée dans les vignobles du Bordelais.

 

 

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Rentrée littéraire

DE CE PAS OK Poursuivons notre découverte des petites pépites et autres trouvailles de cette rentrée littéraire. Un premier roman, ça vous dit ? Entrons dans « De ce pas », écrit par Caroline Broué.

Productrice depuis 2010 de l’émission « La Grande Table » sur France Culture, le magazine quotidien de la mi-journée qui entremêle la culture et les idées, Caroline Broué est diplômée de Sciences politiques et de Lettres modernes.

L’histoire de ce premier roman ? C’est celle de Tin-Marjorie. Tin est bébé quand elle rejoint la France en 1975 avec sa mère. Elles ont fui le Cambodge, désormais aux mains des Khmers Rouges. Le père de la fillette, lui, est resté. Probablement mort.

Tin deviendra danseuse comme sa mère. Puis danseuse étoile à l’Opéra de Paris. Jusqu’au jour où son corps lui dit stop. A quarante ans, Tin devenue Marjorie, doit réinventer sa vie. Et mettre des mots sur ce qui lui manque.

Son compagnon, Paul, est photographe. Sa manière à lui de parler. A la différence de Marjorie, lui a grandi dans les mots. Les paroles que l’on prononce. Souvent trop violentes. Sa soeur a-t-elle été, comme elle le clamait il y a des années victime de leur propre père ? Alors il s’est éloigné de sa famille protestante, installée en Ardèche. A rompu les liens. Mais comment faire pour avancer ?

Marjorie et Paul doivent, pour se pas se perdre et ne pas mettre en danger leur couple, réinventer une grammaire à eux pour continuer à faire vivre leur passé. La quarantaine venue, il est temps d’être en accord avec soi-même. Pas simple.

Caroline Broué signe là un premier roman maitrisé et très bien écrit. Un vrai plaisir de lecture !

L’auteure évoque ici la genèse et l’histoire de son premier roman

 

Extraits

Page 83 : « Paul avait beau être photographe, quand ils étaient ensemble, la main du peintre rejoignait le bras du danseur. Ce qui réunissait Paul et Tin, fondamentalement, c’était le silence. Le silence de l’art. Ils se trouvaient précisément à la jonction de deux axes complémentaires : celui du peintre dansant sur sa toile et celui du danseur composant les couleurs de sa chorégraphie. Leurs vies s’entremêlaient, et ce mariage impromptu transcendait leurs différences. Ils n’avaient pas besoin de se parler pour se comprendre. L’entente entre eux était tacite. Ils s’accordaient d’un regard furtif. D’un geste de la main. Loin de tout bavardage, de tout mot superflu, leur mode d’être et de relation relevait de l’implicite, de l’entendu avant même d’être dit. Ils s’étaient trouvés dans le silence. Ils se retrouvaient sur l’essentiel. »

Pages 122-123 : « Paul et Marjorie n’arrivent plus à se parler. Les mots restent bloqués dans leur gorge. Marjorie est aussi impuissante que Paul est désarmé. Ils sont deux êtres seuls, isolés, retranchés dans leur tour.

Et puis, un soir, sans crier gare, Paul se met à hoqueter. “J’étouffe. Je me noie. Marjorie, je me noie. Ils ne me quittent pas, ils m’assaillent. Ils m’emmènent vers le tourbillon. Je ne parviens plus à fuir. Ils envahissent tout, me demandent des comptes, obstruent ma vue, mon ouïe, ma bouche, accablent mes sens. Je ne peux leur échapper. Ils m’enserrent de leur point de vue, de leur monde étriqué, enfermé sur eux-mêmes, sur leur égocentrisme. Ils m’empêchent. J’ai peur de reproduire la même chose avec toi. Je ne peux plus avancer. J’ai marché en crabe toute ma vie, j’ai contourné les obstacles pour m’en sortir, pour échapper à leur emprise, mais la marée est plus forte, et la vague est sur le point d’engloutir mes efforts. J’ai fait de mon mieux pour accomplir ma mission. Mais, quand j’ai fui, j’ai failli à ma charge. Je les ai laissés se débrouiller seuls. Je n’ai pas été à la hauteur des attentes de ma famille. « 

Page 146 : « Le père de Paul est mort. Les funérailles ont lieu à Aubenas. Paul s’y rend seul, selon sa volonté. Il n’a aucune envie de mêler Marjorie et Elena à tout ça. Ce n’est pas le moment pour elles de faire connaissance avec sa famille. Il n’est pas retourné là-bas depuis son départ fracassant, il sait que les souvenirs vont s’entrechoquer et que toute sa douleur va remonter. Il sait aussi que Suzie ne peut se tenir en compagnie de sa mère. Il se souvient de toutes ces scènes auxquelles il a assisté avant de décider de ne plus se rendre à aucun endroit où elles seraient toutes les deux. Des drames, des cris, des pleurs. Non, merci. »

« De ce pas », Caroline Broué, Sabine Wespieser éditeur, 17€.

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