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Oraison sincère

Rentrée littéraire

 

CUSSETCatherine Cusset est de retour ! L’auteure française, installée à New-York depuis des années, est actuellement très en vue (dans les librairies et les short-lists des prix littéraires. Elle figurait dans les derniers romans en lice pour le prix Goncourt qui est finalement allé à Leïla Slimani pour « Chanson douce », à découvrir très prochainement sur le blog) grâce à son nouveau roman, « L’autre qu’on adorait », paru pour cette rentrée littéraire chez Gallimard.

L’agrégée de lettres classiques, qui enseigna un temps aux Etats-Unis avant de de se consacrer entièrement à l’écriture, revient donc avec ce treizième ouvrage.

J’avais découvert son univers avec « La haine de la famille », paru en 2001 puis avec « Un brillant avenir », en 2008.

La voici avec un roman sensible, basé sur l’histoire de celui qui fut son amant puis son ami, Thomas Bulot qui, en 2008 se suicidait, à Richmond, en Virginie, où il enseignait alors. Il était âgé de 39 ans.

Entre souvenirs et fiction, à la deuxième personne du singulier, Catherine Cusset déroule  la vie, vingt ans durant, de ce jeune homme brillant mais tourmenté. Mondain mais solitaire. Une oraison sincère, qui ne cache rien.

Le 29 octobre, La Nouvelle République lui ouvrait ses colonnes pour une interview que vous pouvez retrouver ici. 

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Rentrée littéraire

GAUDE OK

Laurent Gaudé n’a pas besoin de moi pour vendre des romans, c’est un fait.

Des années pourtant que je suis cet auteur, découvert, comme beaucoup par le prisme de « Le soleil des Scorta », prix Goncourt 2004.

J’avais alors plongé dans ses romans précédents « La mort du roi Tsongor » et « Cris » avant d’attendre chaque rentrée littéraire impatiemment.

Vous pouvez retrouvez ici le post concernant « Dansent les ombres », paru l’an dernier et qui m’avait donné envie d’aller découvrir Haïti.

Le voici de retour avec « Ecoutez nos défaites », toujours chez Actes Sud.

Un roman dense qui mêle quatre époques, quatre histoires. Quatre manières d’appréhender le destin, qu’il soit victorieux ou voué à la défaite.

Les siècles et les guerres se mélangent. Et au fil des pages, la défaite se veut militaire et/ou intime.

Chacun y va de sa stratégie pour gagner la victoire. Mais s’agit-il de battre son ennemi ou de lui survivre, s’interroge l’auteur. Le prix à payer n’est-il pas bien trop lourd ?

Et si seul le beau et ce qui fait notre humanité valaient la peine qu’on se batte pour eux ?

 

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Rentrée littéraire

OSCAR OK

La rentrée littéraire permet de faire de chouettes découvertes… mais aussi de retrouver des auteurs qu’on apprécie, qu’on suit. Catherine Mavrikakis en fait partie.

Troisième fois que j’évoque l’oeuvre de cette auteure qui vit à Montréal et qui signe avec « Oscar de Profundis » son quatrième roman publié chez Sabine Wespieser éditeur.

Mes posts concernant les deux précédents : « Les derniers jours de Smokey Nelson » et « La ballade d’Ali Baba » sont disponibles ici et .

 

 

 

Catherine Mavrikakis, née en 1961 à Chicago, d’une mère française et d’un père grec qui a grandi en Algérie. Elle a partagé son enfance entre Ville d’Anjou, Montréal-Nord, Villers-Bocage en Normandie et Bay City, au Michigan.

En 1979, elle choisit vraiment Montréal, où elle fait des études de littérature et une dépression, qui la conduira à de longues années de psychanalyse. Il lui en restera toujours quelque chose…
Elle enseigne à l’Université de Montréal.
Et voilà qu’elle nous revient avec un roman surprenant. Un roman d’anticipation. Une histoire dans laquelle plus grand-chose de notre quotidien ne subsiste.

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Rentrée littéraire

POLICE COUV Poursuivons notre plongée dans les titres de la rentrée littéraire. Loin des choix prémâchés et des incontournables que l’on peut facilement contourner (pour peu qu’on décide de ne pas se laisser guider par les critiques et le mainstream), voici un roman profondément ancré dans notre époque, dans nos questionnements.

Avec « Police », Hugo Boris – un auteur que je ne connaissais signe après « Le baiser sur la nuque », « La délégation norvégienne », « Je n’ai pas dansé depuis longtemps » et « Trois grands fauves », un cinquième roman puissant, rythmé, haletant.

Une nuit d’été, caniculaire, un équipage de police secours doit remplir une mission inhabituelle : conduire Asomidin Tohirov,  un jeune Tadjik, à l’aéroport, afin condamné  à mort dans son pays.   » Ce dernier a dénoncé des enlèvements de travailleurs au Tadjikistan, des pratiques de travail forcé sur des chantiers de construction en Russie. Il en a d’abord été victime. Il s’est fait enlever, on l’a envoyé travailler sur des chantiers, mais il a réussi à s’évader, à rentrer » (page 45).

Le temps du trajet, Virginie, Aristide et Erik, trois policiers en tenue habitués à toutes sortes de missions bien différentes de celle-ci, vont devoir faire un choix.

De quoi faire exploser leurs certitudes. Leur rapport à l’autorité, à la liberté. A la mort. Dans l’habitacle, dans ce huis clos, des destins se jouent.

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Rentrée littéraire

TROPIQUE

Nouvelle chronique sur la rentrée littéraire qui, je vous le dis tout net, compte 560 romans ou recueils de nouvelles, français et étrangers. Une moisson moins dense que celle de l’année dernière ( 589) et qui se répartit comme suit :

- 363 romans français dont 66 premiers romans

197 romans étrangers.

Parmi les romans français, celui de Nathacha Appanah, « Tropique de la violence », paru chez Gallimard.

L’auteure, qui signe là son sixième roman, est Mauricienne d’origine. Installée en France depuis la fin des années 90, cette quadrégénaire avait avec « Le dernier frère » paru en 2007, raflé plusieurs prix littéraires.

 

 

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Elle revient avec « Tropique de la violence », qui nous parle, à travers la voix  et l’histoire de cinq personnages, de ce qui fait le quotidien de Mayotte, 101e département français et véritable brasier social comme l’ont encore montré, au printemps dernier, la grève générale, et les violences urbaines qui ont agité l’île.

Rappelons que l’île, depuis le 101e département français en 2011, compte 220.000 habitants et qu’elle est soumise à une immigration massive en provenance majoritairement de l’archipel des Comores, indépendantes depuis 1976.

Sur place, les syndicats, les habitants réclament « l’égalité réelle » avec la métropole. Dans la réalité, droit du travail, prestations sociales et infrastructures publiques ne sont pas dispensés de la même manière. Loin de là. Et les écarts s’amplifient.

 

 

 

GRAPHIQUES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Nathacha Appanah a vécu à Mayotte de 2008 à 2010. Elle y est retournée l’an dernier, une partie de son roman déjà achevée pour « valider » comme elle dit, les odeurs, les sensations déjà couchées sur le papier.

L’histoire ? Elle est portée par cinq personnages qui, tour à tour, prennent la parole et racontent leur quotidien et la violence qui l’émaille.

On suit d’abord Marie, infirmière venue travailler à Mayotte. Elle y fait sa vie. Se marie. L’enfant ne vient pas. Elle divorce et prendra celui d’une Comorienne venue dans un kwassa (embarcation qu’utilisent notamment les migrants) avec son bébé dont elle ne veut pas, il a les yeux vairons, les yeux du Diable…

L’enfant, elle le prénomme Moïse et l’élève « comme un Blanc ». Ce que finira par lui reprocher l’adolescent, tombé dans la violence.

Bruce et La Teigne voudront l’enlever, pensant qu’il vit comme un privilégié. Entre temps pourtant, Marie meurt prématurément. Moïse, qui n’a que 14 ans, perd pied. S’enfuit avec son chien. Il a compris qu’il a échappé au destin d’un clandestin. Mais  l’enfer commence. Il finira par tuer Bruce, le caïd du bidonville de Gaza.

S’y ajoutent Stéphane, venu mettre en place une structure à destination des jeunes désoeuvrés, qui viendra en aide à Moïse avant que Bruce ne fasse courir des fausses rumeurs sur eux deux. Puis Olivier, le policier, décontenancé par le profil de Moïse et ce qu’il a fait de sa vie.

Marie et Bruce, décédés, nous parlent de l’au-delà. Histoire de rappeler qu’à Mayotte, les vivants partagent l’espace et le temps avec leurs fantômes.

Sur fond de misère sociale, de drogue, de populisme dégoulinant et de pratiques ancestrales, le roman fait un focus assez terrifiant sur un bout de France laissé à l’abandon.

Edifiant. Terriblement bien écrit. Et passionnant à lire.

Dans un article paru dernièrement dans Le Monde, l’auteure explique  :

 » […] Mayotte est un concentré de toutes nos problématiques actuelles. C’est un cas d’école du déplacement des populations, des problèmes écologiques, de l’identité. Tout ce qui est au cœur même de notre monde actuel est aujourd’hui concentré sur cette petite terre. « 

« […] Ce n’est pas une terre oubliée, mais, à l’heure de la crise financière, c’est une île où l’on colmate et où la coopération régionale est inexistante. L’attachement à la France y est immense. »

Extraits

Page 30 : « Parfois, je pense à la maison désormais vide de mon enfance et me vient cette idée saugrenue que j’y serais bien, la-bas, maintenant. J’échapperais à cette chaleur qui me vrille la tête, j’échapperais à ce pays que je sens parfois bouillir de rage, j’emmènerais Moïse loin d’ici. Finalement j’ai trouvé le courage de lui parler. De lui raconter son histoire. J’ai commencé comme ça C’était le 3 mai, il pleuvait, ta mère est arrivée dans un kwassa sur la plage de Bandrakouni. Je pensais que ça lui suffirait mais non, chaque jour il veut que je parle à nouveau, que je raconte encore et encore, plus lentement, que je me rappelle des couleurs, des formes, des mots exacts mais, moi, j’ai tellement mal à la tête et je ne veux plus ressasser la même chose et Moïse se met en colère, me traite de menteuse, il veut aller sur la plage de Bandrakouni, mais comment lui dire que ce n’est qu’une plage, qu’il n’y a rien qui l’attend là-bas. »

Pages 34-35 : « Cette ile, Bruce, nous a transformés en chiens. Toi qui avais choisi le prénom d’un superhéros, Bruce Wayne, m’avais-tu expliqué, en sautillant sur place comme si tu avais des ressorts aux pieds. Bruce Wayne, l’homme chauve-souris, parce que tu aimais les chauves-souris, enfin c’est ce que tu disais car moi je ne t’ai jamais vu aimer autre chose que fumer et dominer les autres.

Cette île a fait de moi un assassin. Tu te souviens, tu me disais Pas de pitié Mo, et regarde, Bruce, je n’en ai pas eu pour toi, ce matin ».

Page 164 : « Ecoute le bruit de mon pays qui gronde, écoute la colère de Gaza, écoute comment elle rampe et qui rappe jusqu’à nous, tu entends cette musique nigga, tu sens la braise contre ton visage balafré. Regarde, Mo, regarde de ton oeil de djinn de malheur. Ils viennent me venger.

Ils viennent pour toi. « 

« Tropique de la violence », Nathacha Appanah, Gallimard.

 

 

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Rentrée littéraire

la-sainte-famille,M364193 Prêts à découvrir les p’tits trésors de la rentrée littéraire ? Pour cette première étape, je vous emmène dans l’univers de Florence Seyvos que j’avais découvert grâce à son précédent roman « Le garçon incassable », dont vous trouverez la présentation ici.

Elle revient avec « La sainte famille ». L’histoire ? Celle de Suzanne, de son frère Thomas et de la plongée qu’elle effectue dans ses souvenirs, ses sensations d’autrefois. Tout remonte, le divorce de ses parents (qui séparera aussi Suzanne de son frère cadet), les vacances passées dans la maison de famille, entre Jeanne, arrière grand-mère mourante, une grand-mère pas toujours facile (Marthe) et Odette, sa soeur,  si effacée, à la vie si étriquée… S’y ajoutent l’oncle libidineux et la cousine délurée, Mathilde.

Suzanne raconte ce qu’elle voit de ses parents qui ne s’aiment plus, de sa vie qui change. De ses rêves et ses aspirations foulées aux pieds. Au fil des pages, la pelote, faite de fils d’intimité, se déroule. Et quand Suzanne n’est pas à même de raconter, c’est Thomas qui, subtilement, prend le relais.

On voit les images, cette fois encore. Normal quand on sait que Florence Seyvos, qui avait obtenu le prix Goncourt du premier roman pour « Les apparitions », est également scénariste. Elle a ainsi écrit plusieurs films avec Noémie Lvovsky dont « Camille redouble ».

Encore un très joli roman. Sensible.

 Extraits

Pages 18-19 :« Odette affiche un calme contrôlé, qui donne de la raideur à ses gestes et ses intonations. Elle est perpétuellement inquiète. Elle a peur qu’un enfant se blesse, que quelqu’un se prenne le pied dans le tapis de l’escalier, qu’il y ait un orage, que Suzanne n’ait pas fait pipi avant d’aller se coucher, que Thomas s’étouffe avec une prune, que le four explose quand on l’allume, que les enfants aient la diarrhée, que les enfants soient constipés, que l’infirmière qui donne les soins à Jeanne ait un accident de voiture à cause de la pluie, que Marthe soit contrariée. La possible contrariété de Marthe pèse constamment sur le coeur et l’estomac d’Odette. C’est pour cela, aussi, qu’elle reste avec les enfants. »

Page 82 :« Suzanne se souvient d’une période où il y avait de la gaieté dans la maison il était difficile de savoir si ses parents se trouvaient soudain heureux ensemble ou si leur joie à chacun venait d’ailleurs, mais ils étaient légers en présence l’un de l’autre. C’était particulièrement perceptible pendant les trajets en voiture. Pour Suzanne, les trajets en voiture étaient la vie même, la vie à échelle réduite, mais infiniment précise et déployée. Le passé derrière, l’inconnu devant. A l’intérieur de la voiture sa famille, dehors le monde. Quatre personnes ensemble et pourtant parfaitement indépendantes, chacune dans son silence. Les trajets en voiture étaient aussi les seuls moments où elle parvenait  à aimer en même temps ses deux parents et son frère. Les aimer avec force, comme on aime une idée. Et aussi les aimer physiquement, à travers ce qu’elle voyait ou devinait d’eux. La main de son père sur le levier de vitesse. Les cheveux de sa mère qui débordaient de l’appuie-tête ».

Page 116 : « Entre Suzanne et sa mère, la séparation a tout changé. Il n’y a plus de mère autoritaire et plus de fille rétive. Elles s’écrivent plusieurs fois par semaine des lettres de deux ou trois pages, dans lesquelles elles se racontent leurs journées. Sa mère parle de Thomas, de nouveaux amis qu’elle a rencontrés, elle mentionne de temps à autre son nouveau compagnon, juste pour ne pas que Suzanne oublie qu’il existe. Suzanne fait le portrait de ses camarades de classe, de ses professeurs. Elles essaient l’une et l’autre d’écrire des lettres les plus vivantes et les plus drôles possible. Quand Suzanne décachette une lettre de sa mère, ses yeux filent aux dernières lignes pour parcourir des mots d’une douceur qu’elle n’aurait pas pu imaginer dans sa bouche l’année précédente. « 

« La sainte famille », Florence Seyvos, Editions de l’Olivier, 17,50€.

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OGAWA  Plonger dans un roman, en général court, ou un recueil de nouvelles de Yôko Ogawa est toujours une expérience. Et pour cause.

L’auteure japonaise, née en 1962, a su inventer, au fil des livres, un univers à l’atmosphère bien particulière. Les enfants y côtoient souvent les personnes âgées, tous mus par une envie de transmission et une quête de confiance. Les animaux ne sont jamais loin, la mort aussi y a sa place, décrite comme une avancée paisible…

Et puis il y a la mélancolie, la nostalgie, vite rattrapées par le surnaturel, l’étrange, le bizarre qui s’emparent du quotidien et qui transforment ces petites histoires en aventures assez curieuses.

Le nouveau recueil de Yôko Ogawa, « Jeune fille à l’ouvrage » n’y échappe pas.

 

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J'ENQUETEJoël Egloff, que je suis depuis son premier roman publié en 1999 ( « Edmond Ganglion & fils »), a su construire un univers bien à lui, fait de personnages un peu inadaptés, pas toujours à l’aise, et un peu foutraques. La preuve encore cette fois avec « J’enquête », sorti au printemps… et totalement adapté pour une après-midi à la plage ou dans un hamac.  Ou dans tout autre endroit, d’ailleurs…

Avec ce sixième roman, le quadragénaire Joël Egloff poursuit son travail d’écriture. Loin des grosses machines éditoriales. Rappelons cependant qu’il a remporté le prix du Livre Inter en 2005 pour « L’étourdissement ».

Avec ce nouveau roman qui, avec son titre, annonce tout de suite la couleur, on se laisse embarquer dans une histoire totalement abracadabrantesque. Ou presque.

Nous voilà dans une petite ville, après Noël. Dans la crèche installée par le prêtre, le père Steiger et son sacristain, M.Beck, l’enfant Jésus a disparu. Il faut trouver qui a fait ça et pourquoi. Rien de tel qu’un privé pour mener l’enquête. Sauf que ce dernier, qui vient visiblement de se lancer dans la profession, est assez approximatif et trop obstiné pour réussir cette affaire pourtant dérisoire. Il s’accroche à des détails qui ne veulent rien dire, à des supputations indigentes… Pas grand-chose à faire pour le sauver et le tirer de ce mauvais pas ! Il s’enfonce.

Ajoutez à cela la pression économique (pour lui, cette affaire est une aubaine !) que maintient sur lui sa femme ( qui va finir par s’agacer de devoir attendre son retour) et vous obtenez un roman plaisant à lire et pour lequel l’enquête ne sera, in fine, qu’un prétexte à évoluer dans une société de personnages saugrenus.

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purityDe quoi tenir toutes les vacances ! Quand l’été arrive, deux options pour les lecteurs  : choisir plusieurs romans courts, histoire de diversifier les plaisirs et les univers ou, au contraire, miser sur un gros pavé qui le suit sur la plage, dans le train, dans le hamac et même au lit !

« Purity » s’adresse aux partisans de la seconde option. Et devraient les enthousiasmer. Voilà un roman plutôt captivant tant dans son contenu que sa construction.

L’histoire écrite par Jonathan Franzen, – auteur de plusieurs romans dont « Corrections » qui lui a valu le National Book Award 2002, mais aussi de « La zone d’inconfort » ou encore « Freedom » – a, avec « Purity », imaginé une histoire aux rebondissements tentaculaires, qui nous fait voyager dans le temps et l’espace, entre Etats-Unis, Amérique latine et vieille Europe.

L’histoire ?  C’est d’abord celle de Purity, qui préfère se faire appeler Pip. Une jeune femme, cynique et drôle, entrée dans la vie active avec une lourde dette étudiante. Une jeune femme qui doit s’occuper de sa mère dépressive et si secrète sur l’histoire de sa propre conception. Et pour cause.

 

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ERNAUX Sa vie, elle la raconte. La décortique. Et nous, lecteurs ( je devrais dire lectrices), en prenons des bouts. Tout nous parle dans la vie d’Annie Ernaux. Et pour cause. Elle parle de nous.

Depuis des décennies, cette septuagénaire aux cheveux auburn sait trouver les mots pour parler de l’enfant qui meurt, de l’amour qui s’éteint, de l’avortement, de la maladie d’un parent, de la jalousie qui s’installe ou du temps qui passe et fait son oeuvre… Elle nous tend un miroir. Se sert de ce matériau autobiographique pour raconter nos vies.

Avec « Mémoire de fille », elle pose la dernière pièce du puzzle de sa vie. La pièce manquante. La faille qui explique. Qui justifie. La  » fille de 58 «  se raconte. Enfin.

Annie Ernaux l’a souvent dit, écrit : ce sont les deux années passées entre ses dix-huit et ses vingt ans qui l’ont rendue écrivain. Une période explorée, exploitée désormais. Grâce à ses souvenirs, ses impressions. Ses carnets intimes, eux, ont été brûlés par sa mère depuis longtemps.

 

Au fil des pages, « la fille de 58″ se laisse donc approcher. Elle s’appelle Annie Duchesne.  Nous sommes en 1958. Elle va avoir 18 ans pendant la colonie qu’elle a rejoint à Sées, dans l’Orne, comme monitrice.

La fille de l’épicier d’Yvetot, libre enfin, évolue dans un univers éloigné de son lycée tenu par les soeurs. Là, elle découvre autre chose. Elle est gauche, presque niaise.

Choisie puis rejetée par le beau H., le moniteur en chef, elle raconte, explique la meurtrissure de cette première expérience sexuelle ratée. La honte qui en suivra. Le mépris aussi dans lequel le reste de l’équipe va la laisser alors qu’elle se donne aux autres garçons comme pour laver l’affront du rejet initial.

Après la colonie, elle mettra deux ans à errer, à se perdre. Pas guérie. Son corps le lui dira. Cinq ans plus tard, elle rencontrera celui qui deviendra son mari.

Dans « Mémoire de fille », Annie Ernaux passe du « je » au « elle » pour évoquer la fille de 58. Une distanciation qui oblige à essayer de comprendre. Et de ne pas oublier. Cette fois encore, l’auteure du « moi » frappe au coeur du lecteur. Sa conscience de classe fait mouche. Son approche sociologique aussi d’ailleurs. Et son talent d’écrivain fait le reste. Absolument indispensable, comme l’ensemble de son oeuvre, d’ailleurs.

 

Extraits

Page 50 :« Je me passe et repasse la scène dont l’horreur ne s’est pas atténuée, celle d’avoir été aussi misérable, une chienne qui vient mendier des caresses et reçoit un coup de pied. Mais ce visionnement réitéré ne vient pas à bout de l’opacité d’un présent disparu depuis un demi-siècle, laisse intacte et incompréhensible cette aversion d’une autre fille à mon égard.

Ne reste que cette certitude : Annie D, la petite fille gâtée de ses parents, l’élève brillante est, à ce moment précis, un objet de mépris et de dérision dans le regard de Monique C. et de Claude L., de tous ceux qu’elle aurait voulu ses pairs. « 

 Pages 63-64 :« La fille de 58 ne s’offusque pas, il me semble même qu’elle s’en amuse, comme d’une agressivité moqueuse usuelle à son égard. Peut-être y voit-elle une preuve supplémentaire de la fausseté de leur jugement. Il y a erreur. Elle n’est pas ce qu’ils disent qu’elle est.

Cette certitude, à quoi l’attribuer aujourd’hui ? A sa virginité, qu’elle conserve avec détermination, à son brillant parcours scolaire, sa lecture de Sartre ? Plus que tout  : à son amour fou pour H, l’Archange comme elle continue de l’appeler jusque devant Claudine D – qui, le doigt sur la tempe, la traite de complètement siphonnée – à cette espèce d’incorporation de lui en elle qui la tient au-dessus de la honte.

Ce n’est pas elle, la honte, j’en suis sûre, qui a fixé le souvenir des mots au dentifrice rouge, c’est la fausseté de l’insulte, de leur jugement à eux, de l’inadéquation entre putain et elle. Je ne vois rien dans cette période qui puisse s’appeler honte. « 

Page 149 :« Il me semble aussi que j’avais voulu revenir à S et revoir la colonie parce que j’espérais ainsi puiser la force d’écrire le roman que je voulais entreprendre. Une sorte de préalable nécessaire, bénéfique à l’écriture, de geste propitiatoire – le premier d’une série qui me fera plus tard retourner dans divers endroits – ou de prière, comme si le lieu pouvait être un obscur intercesseur entre la réalité passée et l’écriture. Le détour par S s’apparentait, au fond, au baiser que, à la suite des pèlerins et au grand dégoût de M. qui s’en était gardée, j’ai déposée sur le pied de la Vierge noire de Montserrat en formulant le voeu d’écrire un roman. »

« Mémoire de fille », Annie Ernaux, Gallimard, 15€.

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