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Rentrée littéraire

DJIBOUTI  Vous avez compris, je pense, que j’appréciais particulièrement les premiers romans. L’auteur (e) y donne beaucoup. De lui, de son énergie, de son envie d’être lu(e) à travers une histoire unique.

Les rentrées littéraires permettent d’extirper des pépites des piles de nouveaux romans. La preuve encore avec « Djibouti » de Pierre Deram, publié chez Buchet Chastel, dans la collection Qui vive.

De Pierre Deram, je sais qu’il a 26 ans et qu’il est polytechnicien. Je sais également qu’il a passé plusieurs mois à Djibouti il y a plusieurs années.

Djibouti, justement. C’est le titre de ce court roman, c’est aussi le pays qui lui sert de décor. Une république située aux confins de l’Ethiopie, de l’Erythrée et de la Somalie qui accueille depuis des décennies des militaires français répartis dans une base aérienne, un régiment, des centres d’entraînement, etc. On compte plusieurs milliers de soldats sur place actuellement.

 

L’histoire ? Elle se déroule en une nuit. Une seule. Markus est lieutenant dans l’armée. Il passe sa dernière nuit à Djibouti. Un nuit violente, sur fond d’alcool. Markus va s’en aller. Il se souvient de son arrivée, des mois auparavant. De sa rencontre avec le désert, avec la chaleur écrasante… et les prostituées.

Parmi elles, Araksan qui, cette fois encore, partagera sa nuit. Une nuit pendant laquelle il rencontrera aussi la femme d’un colonel, inconsolable depuis la mort de son chien.

Une nuit donc. Une seule au cours de laquelle la violence, la crudité et la férocité des rapports humains éclate dans la solitude de ce bout de terre africaine écrasé de chaleur. Un premier roman percutant. Haletant. Singulier.

 Extraits

Pages 28-29 : « Vers dix-huit heures, le soleil disparaît enfin sur la ligne de l’horizon, laissant derrière lui une terre en poussière et des hommes privés de tout. Alors, dans les derniers feux rougeoyants du jour, négligeant l’eau et les vivres, les Djiboutiens, dévorés par la fatigue et la soif, se ruent près des étals où s’entassent en bouquets verts la drogue magique, les feuilles et les tiges merveilleuses du khat. A la première mastication, les corps que l’addiction tourmente se détendent, la sève brune se répand à travers les organismes asséchés et les imprègne jusqu’aux os. Toute la ville bascule dans l’euphorie tandis que l’obscurité gagne l’air fin. On dirait que, sans la drogue, elle ne serait jamais venue. Mais la voilà maintenant qui s’étale en coulées d’encre noire et que s’allument tous azimuts, comme des lucioles ondulant dans l’herbe folle, les lumières qui diffusent en bougeant les phares des voitures et les lanternes branlant sous les marquises. Qu’elles sont faibles ces lueurs, perdues dans les ténèbres ! Mais il faut tellement d’obscurité pour tellement de rêves! « 

Page 52 : « […] De l’autre côté du comptoir, trois serveuses qui avaient tout écouté baissèrent la tête. Markus pouvait voir le blanc de leurs yeux. Ils savaient qu’elles étaient du même camp que le soleil, du même camp que le désert et que toutes ses bêtes sauvages, qu’elles appartenaient à ce pays comme le vent, le soleil, le désert et toutes ses bêtes sauvages. Et comme eux, elles rendaient fous et solitaires. Thérèse – c’était son nom – continuait de pleurer. Markus la regardait en silence. »

Pages 105-106 : « […] Mais le matelas collait et grattait parce que c’était un vieux matelas usé. Ils n’en tinrent pas compte. Et Markus, la serrant contre lui, ne pensait plus à rien qu’à cette envie d’en finir pour toujours, de s’anéantir au fond d’elle-même, ne pensait qu’à l’inonder, à l’envahir de son amour par tous les pores, qu’elle le sente longtemps courir dans ses veines, dans son sang, roulant glacé sous sa peau, qu’il l’enrobe, son amour, qu’il lui infuse toute sa vie, qu’elle le garde à jamais au fond de son ventre, qu’à chaque instant il tambourine à ses tympans, qu’il lui susurre à chaque seconde “Je t’aime… Je t’aime… Je t’aime ” – et maintenant, non, ce n’était plus ça, il voulait presque en mourir, s’y jeter en entier, et elle sentit monter dans ses bras comme une vague déferlante et elle savait qu’il pouvait la briser dans ces moments-là, alors elle se lova contre son torse tandis qu’il venait en elle. Soudain ils ne furent plus rien, pas même un soldat et une putain, mais deux enfants perdus au milieu du monde, serrés l’un contre l’autre sur ce matelas sale, roulant à moitié inconscients, le sang rapide, les yeux brillants, roulant si loin de tout, roulant à n’en plus finir au fond de l’indicible comme deux bagnards sautant d’un train en marche. »

« Djibouti », de Pierre Deram, Buchet Chastel, 11€.

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