Depuis quelques années maintenant, Case Départ vous propose une plongée éclectique dans l’univers de la Bande Dessinée, à travers des albums grand public, populaires, parfois plus exigeants, des séries jeunesse, des albums d’illustrations, des livres sur des auteurs ou des recueils de dessins de presse.
Chaque semaine, nous sommes heureux de vous partager nos coups de cœurs, nos découvertes et nos désillusions parfois ; pourtant depuis mercredi, le cœur n’y est plus. Comment parler de la richesse de ces univers sans avoir une tendre pensée pour nos amis de Charlie Hebdo.
Avant de vous présenter les albums de la semaine, comme cela était prévu, nous vous proposons quelques citations extraites de Dessinateurs de presse, le recueil d’entretiens de Numa Sadoul, publié par Glénat le 12 février 2014 et dont nous vous avions parlé. Un modeste hommage à ceux tombés pour la liberté : Charb, Cabu, Wolinski, Honoré et Tignous. Cette sélection Case Départ leur est dédiée.
Case Départ continuera avec encore plus de convictions de vous présenter des albums pour la pluralité du 9e art, pour notre culture, pour le bien de tous.
Cabu
Cabu – Autoportrait
Numa Sadoul : On te sent à l’aise dans la caricature.
Cabu : J’aime bien ça. Un homme politique qui arrive, je vais le regarder à la télé pour apprendre à le représenter. Oui, j’aime bien la caricature, mais si tu veux, ça ne suffit pas de faire une caricature. Il faut quand même mettre en scène, ça fait partie des outils du dessinateur.
Numa Sadoul : ça se travaille ? Ça se prépare ? Tu fais des gammes sur les personnages ? Tu fais comme un imitateur qui travaille sa voix ?
Cabu : Oui, tu fais plein d’esquisses. Il faut que tu trouves sa « grimace » naturelle.
Numa Sadoul : Es-tu vraiment comme Duduche, aussi idyllique ? Parce que tu peux être d’une méchanceté…
Cabu : C’est aussi ce que dit Plantu. On me demande toujours : « Pourquoi dans la vie, vous avez l’air normal, alors que dans vos dessins, vous êtes méchants ? ». C’est justement parce qu’on se défoule ! Avec un dessin, tu peux faire des dessins à la Peynet, moi j’ai commencé comme ça. Si tu voyais mes premiers dessins, c’était des dessins tendres…
Numa Sadoul : Et c’est quoi le critère pour faire un bon dessin de presse ? A part la révolte et l’enthousiasme ?
Cabu : Cavanna dit : « Un bon dessin, c’est un coup de poing dans la gueule ! ». Mais il doit faire rire malgré tout. Même si tu prends un sujet dramatique, même si tu traites de Tchernobyl.
Numa Sadoul : […] Peut-être que ça va changer, depuis l’affaire des caricatures. On va peut-être assister à un retour en arrière ?
Cabu : Sur certains thèmes, c’est possible. Sur les religions notamment. Mais c’est pour ça qu’il faut continuer à faire la critique de toutes les religions. Il faut que les musulmans s’habituent à la caricature.
Charb
Charb – Autoportrait
Charb : […] Mais l’autre problème avec les journalistes et la communication en général, je m’en suis rendu compte avec l’affaire des caricatures de Mahommet et toute l’actualité autour de ça, c’est que les gens sortent de l’école en sachant lire et écrire, et même, pour la plupart d’entre eux, analyser un texte. En revanche, l’école ne leur apprend pas à lire et à décrypter un dessin.
Numa Sadoul : Devient-on dessinateur de presse par provocation ou est-ce une spécialisation qui vient après un tronc commun humour/graphisme/BD ?
Charb : Dire, faire, dessiner et écrire des conneries m’a toujours réjoui. Ma passion pour le dessin a fait que j’ai plutôt eu envie de les dessiner, ces conneries. D’abord sous forme de bande dessinée (ce n’était pas convaincant) puis de dessin de presse.
Charb : […] Mais je n’aime pas que les religieux m’imposent quelque chose, viennent voir comment je vis et me dictent l’organisation de ma vie. Mais je n’aime pas non plus que d’autres, au nom de la laïcité, aillent faire chier les croyants dans leur vie religieuse et intime.
Wolinski
Photo de Andersen Ulf – sipa
Wolinski : Ensuite on a créé Charlie Mensuel, j’en suis rapidement devenu rédacteur en chef, et puis il y a eu Hara-Kiri Hebdo, qui est devenu Charlie Hebdo après l’interdiction en 1972. En fait, toute ma vie je l’ai passée avec Cavanna. Ça fait presque 50 ans que je travaille avec lui, sauf pendant les dix années d’interruption de Charlie, à partir de 1981. Après l’arrêt du journal, on avait décidé de se revoir un peu de temps en temps avec la vieille équipe. Il y avait Cavanna, Delfeil de Ton… Et puis un jour de 1992, Cabu est arrivé avec Val et il a dit : « On arrête de travailler pour La grosse Bertha car on ne s’entend plus avec le directeur, et on cherche un titre pour un nouveau journal. » Et j’ai proposé de reprendre Charlie Hebdo.
Numa Sadoul : Il y a peu, Cavanna me disait qu’au lieu de travailler dans un journal destiné à des gens qui pensent la même chose que nous, ce serait intéressant d’aller le faire dans un journal lu par ceux qui ne partagent pas nos idées, voire nos adversaires. C’est un peu ce que tu fais, non ?
Wolinski : C’est ce que je fais. Je suis devenu un professionnel. Pour moi, un professionnel est un mec qui garde ses convictions et son éthique, tout en travaillant pour des gens qui ne pensent pas comme lui. Mon dessin peut être lu à deux degré : il y a ceux qui pensent comme moi et ceux qui ne pensent pas comme moi mais que ça fait rire. Moi, je suis de gauche. Ça ne m’empêche pas de me foutre de la gueule des socialistes, s’ils le méritent. Mais je reste fidèle à mes principes et à mes convictions, dans des journaux qui sont des journaux nationaux.
Wolinski : Il faut continuer à être irrespectueux et à défendre la tolérance. Dès que tu es libre, tu suscites des réactions, des intolérances. Dès que tu es intolérant, tu suscites des réactions de liberté. Tout ça est lié : c’est l’homme.
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