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Oraison sincère

Rentrée littéraire

 

CUSSETCatherine Cusset est de retour ! L’auteure française, installée à New-York depuis des années, est actuellement très en vue (dans les librairies et les short-lists des prix littéraires. Elle figurait dans les derniers romans en lice pour le prix Goncourt qui est finalement allé à Leïla Slimani pour « Chanson douce », à découvrir très prochainement sur le blog) grâce à son nouveau roman, « L’autre qu’on adorait », paru pour cette rentrée littéraire chez Gallimard.

L’agrégée de lettres classiques, qui enseigna un temps aux Etats-Unis avant de de se consacrer entièrement à l’écriture, revient donc avec ce treizième ouvrage.

J’avais découvert son univers avec « La haine de la famille », paru en 2001 puis avec « Un brillant avenir », en 2008.

La voici avec un roman sensible, basé sur l’histoire de celui qui fut son amant puis son ami, Thomas Bulot qui, en 2008 se suicidait, à Richmond, en Virginie, où il enseignait alors. Il était âgé de 39 ans.

Entre souvenirs et fiction, à la deuxième personne du singulier, Catherine Cusset déroule  la vie, vingt ans durant, de ce jeune homme brillant mais tourmenté. Mondain mais solitaire. Une oraison sincère, qui ne cache rien.

Le 29 octobre, La Nouvelle République lui ouvrait ses colonnes pour une interview que vous pouvez retrouver ici. 

Thomas est brillant, ambitieux. Fasciné par Proust, il lui consacrera sa thèse. Comme lui, il entretient une relation très forte avec sa mère.
Catherine Cusset a 26 ans quand elle le rencontre. Il a 18 ans, est ami avec son jeune frère. Thomas est un aimant, il attire tous les regards. Et pourtant. Ses deux échecs successifs pour pénétrer l’école de la rue d’Ulm scelle le début des déboires. Thomas ne parviendra jamais à ses fins. A-t-il pour autant raté sa vie comme l’avait laissé entendre l’auteure dans la première version d’un portrait qu’elle lui avait consacré ? Elle le juge à l’aune de critères sociaux dont il se fiche. Ou croit le faire. Lui se voit comme « un être poétique ».

Au fil des pages, au fil des années et des affectations à travers l’Amérique parfois profonde, on suit pourtant le parcours chaotique de cet universitaire populaire, de cet homme qui sabote lui-même ses chances, par naïveté, procrastination ou trop d’assurance.

Les postes prestigieux lui échappent, les femmes qu’il aime finissent immanquablement par le quitter.  Alors, « l’autre qu’on adorait », référence à la chanson « Avec le temps » de Léo Ferré, se renferme, s’isole.

Et le diagnostic, tardif, de présence de troubles bipolaires, ne fera qu’aggraver la situation. Malgré la présence de sa famille, des amis qu’il lui reste, Thomas va sombrer.

Avec le style direct, incisif, efficace qu’on lui connait, Catherine Cusset, tout en lucidité et empathie, dresse un formidable parcours de vie.

Extraits

Page 77 :« Tu ne peux même pas aller te reposer dans la petite maison du Connecticut car nous avons déménagé et vivons provisoirement dans un endroit du New Jersey inaccessible autrement qu’en voiture. En congé sabbatique cette année, je circule entre les Etats-Unis et la France. Un après-midi de novembre où tu me retrouves dans un café du Village, tu me révèles ce que tu n’as dit à personne : tu es parfois sujet à des accès de dépression pendant lesquels ta vision du monde est d’un pessimisme absolu. C’est le cas en ce moment. Tu as hésité à me parler de cette humeur qui envahit ta vie telle une marée noire et tue en toi tout désir, de ce vide qui t’engloutit comme des sables mouvants. En nommant ce néant, tu tentes de lui donner une existence, de le mettre à distance, de construire une défense. Mais quel rapport entre ce noir d’encre qui te submerge quand tu es seul et ces mots que tu prononces devant un cappuccino, dans un café de New York, face à un visage ami ? »

Pages 174-175 :« Je suis ton amie, je ne suis pas méchante, tu l’as compris. Mais comme j’ignore la fragilité, comme j’ignore le mal qu’on fait à l’autre en posant le doigt sur ses zones les plus sensibles et en appuyant dessus ! Ma pauvre petite fille qui n’a pas  cinq ans, tu as peur pour elle, peur que son bulldozer de mère ne l’écrase sans même s’en rendre compte. Peut-être n’écriras-tu rien, mais au moins tu ne feras ce mal-là à personne. Tu te préfères dans la peau du bouffon pathétique que dans celle d’une femme qui te donne à lire un tel texte en te demandant ton avis “littéraire”. Un texte qui n’est pas seulement blessant, mais mauvais. Tu es partial, soit, puisqu’il s’agit de toi, mais tu n’as aucun doute. »

Page 243 :« Quand nous dinons en tête à tête ce soir-là, tu me racontes septembre et ton désir de suicide. Je n’ai pas l’air trop inquiète, pas même quand tu me dis avoir penser à mettre un sac de plastique sur ta tête comme mon beau-père pour ne pas te louper. Tu remarques mon imperceptible haussement d’épaules, comme si je trouvais indécent d’oser te comparer à mon beau-père qui est passé à l’acte. C’est vrai que, vue de New York, de ce restaurant de Chinatown où tu dégustes un poulet au sésame dont tu trouves la saveur exquise, ta dépression de Venise ne parait pas mortelle. »

« L’autre qu’on adorait », Catherine Cusset, Gallimard, 20€

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