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L’Amérique a laissé tomber son rêve. Disparu, envolé, pfiitt ! L’occasion pour l’auteure Catherine Mavrikakis d’écrire un roman choral autour d’une exécution.

Photo Jacques Grenier ( Le Devoir)

Née en 1961 à Chicago d’un père grec et d’une mère française, Catherine Mavrikakis est enseignante à Montréal.

Elle est l’auteur de trois essais et de six fictions dont « Le ciel de Bay city » qui avait été salué par la critique à sa sortie en 2009. Elle écrit en français.

 

Avec  » Les derniers jours de Smokey Nelson », Catherine Mavrikakis nous raconte une histoire à quatre voix. Quatre personnages qui se connaissent pas ou à peine, reliés pourtant par un même fait divers tragique.

 

 

En octobre 1989, dans un motel d’Atlanta, un couple et leurs deux jeunes enfants sont sauvagement tués. Dans un premier temps, l’assassin n’est pas identifié.

Un homme, Noir et jeune, Sydney Blanchard, est arrêté et emprisonné pendant de longs mois jusqu’à ce que Pearl Watanabe, la gérante de l’hôtel qui a découvert les corps, reconnaisse en Smokey Nelson, un jeune Noir avec lequel elle a fumé une cigarette et un peu flirté, l’auteur du quadruple meurtre. Celui-ci reconnait les faits. Il restera dix-neuf ans dans le couloir de la mort. Jusqu’à ce 15 août 2008, date à laquelle il doit être exécuté. Un homme, Ray Ryan, le père de Sam tuée avec son mari et ses enfants, attend ce moment avec impatience.

« Les derniers jours de Smokey Nelson » raconte donc les deux jours qui précède l’injection létale, en Géorgie. Chacun des personnages, dont l’assassin lui-même dans le dernier chapitre, vivent ces moments particuliers en se replongeant dans leur passé.

L’occasion d’un bilan. Pas toujours fameux. Prenez Sydney. Il quitte Seattle pour rejoindre La Nouvelle-Orléans et ses parents. Après Katrina, il veut recommencer sa vie. Il s’est longtemps cru la réincarnation de Jimi Hendrix. Le petit musicien noir veut se donner une nouvelle chance et file sur la route au volant de sa Lincoln continental avec sa chienne Betsy.

Pour Pearl Watanabe, femme divorcée et mère d’une fille, le passé qui ressurgit l’oblige à une douloureuse introspection. Elle, la fille d’Hawaii, a essayé de passer à autre chose. En vain. Elle a fuit. Sans réussir à comprendre pourquoi Smokey Nelson l’a épargnée.

Et Ray Ryan ? Le père de Sam est un homme torturé. C’est d’ailleurs Dieu qui s’exprime dans les chapitres qui lui sont consacré. Très religieux, raciste, il ne reconnaît plus l’Amérique dans laquelle il vit.

Au fil des pages, l’Amérique se laisse découvrir. Tantôt puritaine, tantôt ivre de liberté. Raciste ou avide de melting-pot. L’Amérique est en morceaux et Catherine Mavrikakis la décrit très bien.

Découvrez une vidéo dans laquelle l’auteure explique sa démarche

 

 

Extraits

Page 39 :« On entre sur l’autoroute et on est prêts à écouter Jimi… Pourquoi ce Smokey doit mourir maintenant ? Au moment où, moi, je chercher à renaître, à recommencer ma vie… Je sais pas encore comment… Mais je peux trouver…. J’ai peut-être encore un peu de temps… Qui sait… Pour lui, tout est fichu… On a le même âge, lui et moi ! Exactement le même âge… Quelques mois de différence… Je me souviens de ça. Pas de grand-chose, mais de ça, oui ! Sa mère vient de La Nouvelle-Orléans, comme moi… Plein de coïncidences… Toutes ces années en prison… Et moi, qui ai même pas apprécié tout le temps de ma liberté ! J’ai rien appris en faisant la taule… Je suis un gamin qui croit que la vie durera toujours ou qu’il suffit de se laisser porter par les choses… J’ai pas vieilli et j’attends un signe, putain ! Si je me faisais exécuter vendredi, je serais même content que quelque chose ait lieu… »

Page 76 :« A cette époque, Pearl n’avait pas été à la hauteur de ce qui se passait. Elle avait été droite, honnête dans ses témoignages. Cela avait impressionné tout le monde et particulièrement les médias qui avaient fini par l’adorer. Mais cette probité lui était naturelle. Il n’y avait aucun mérite à cela. Elle avait vécu à ce moment précis dans le parking quelque chose d’inouï, d’incroyable, mais elle avait été incapable de voir cela sur-le-champ, pensant qu’elle échangeait simplement quelques mots joyeux avec client, en fumant et flirtant un peu… Encore maintenant, elle n’arrivait pas à concevoir ce qui s’était passé entre elle et Nelson ce matin d’octobre 1989. »

Page 184 : « La mort de Sam et de tes petits-enfants, Ray, n’est que le conséquence de ce complot généralisé contre la grandeur de ton pays et pouvoir des hommes justes. C’est dans nos villes que les impies grandissent, profitant de la générosité de notre terre et de nos concitoyens. Ray, tu n’auras jamais vu Tom, ton fils, aussi volubile et heureux de te parler., tandis que vous prendrez l’autoroute vers Atlanta afin d’assister à l’exécution du meurtrier de ta fille et de ta descendance. Tom sera si content de t’avoir enfin pour lui, de te faire part de ce qui mijote dans sa tête depuis tant d’années, de te dire tout ce que tu n’as pas pris au sérieux, occupé que tu étais à soigner tes plaies les plus vives ».

Mon avis

Un portrait de l’Amérique ni flatteur ni désespéré. Celui d’un pays où pourtant l’idée du rêve américain ne veut plus dire grand-chose. L’auteure réussit à nous emmener avec elle sans plus jamais nous laisser partir. On suit le destin des personnages jusqu’au bout. Un régal. Et une auteure que je découvre. Bonne pioche donc !

« Les derniers jours de Smokey Nelson », de Catherine Mavrikakis, Sabine Wespieser éditeur, 22€.

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