« Mission accomplie » pour Jean d’Amécourt, ex-ambassadeur en Afghanistan



Jean d'Amécourt, passionné par l'Afghanistan, a tenu l'ambassade de France à Kaboul d'avril 2008 à janvier 2011. (Photo P. Elmerich)

Jean d’Amécourt, passionné par l’Afghanistan, a tenu l’ambassade de France à Kaboul d’avril 2008 à janvier 2011. (Photo P. Elmerich)

Raconter, analyser, anticiper. Jean d’Amécourt a atteint les trois objectifs qu’il s’était fixé en rédigeant son livre, « Diplomate en guerre à Kaboul ». Cet ancien ambassadeur de France en Afghanistan a vécu dans la capitale afghane d’avril 2008 à janvier 2011. Tombé amoureux de ce pays, il pose aujourd’hui un regard critique sur l’intervention internationale, et décortique ses réussites et ses échecs.

« L’Afghanistan demeure pour nombre d’occidentaux le trou noir qu’il a été sur les cartes géopolitiques des deux derniers siècles », observe le diplomate, fasciné dès son arrivée par cette civilisation millénaire, ces montagnes abruptes, et ce peuple « à la fois digne, grand et beau ».

Parce que l’ambassadeur n’est pas seulement une fonction mais aussi un homme, Jean d’Amécourt a choisi de décrire la vie qu’il a menée pendant ces années afghanes. L’ambassade de France, aux murs « jaunes, décrépis », abrite un bureau « désuet, empoussiéré et particulièrement inconfortable », aux meubles défoncés. L’installation électrique et la plomberie sont défectueuses. Dehors, les bruits des explosions deviennent peu à peu familiers. C’est de ce bâtiment, abîmé par trente ans de guerre, que le diplomate coordonnera la politique française à Kaboul.

Chacune de ses journées intenses commencent par une heure de sport, « indispensable dans un univers où les escapades en plein air sont interdites par les règles de sécurité où chaque déplacement s’effectue en voiture blindée« . Puis se succèdent réunions, délégations, rencontre avec les ministres, et déplacements ultra-sécurisés. Très vite, la présence occidentale en Afghanistan lui donne « l’impression d’une couche de confiture trop fine sur une biscotte trop large ».

« C’était notre mission, nous l’avons accomplie »

Pour sortir de cette « bulle diplomatique », Jean d’Amécourt s’attache à rencontrer une multitude d’acteurs du conflit, des gens de pouvoir aux bénévoles d’associations humanitaires. « Il ne faut pas reculer devant le voyage, les déplacements », argumente-t-il, au risque d’être coupé de la réalité. L’ambassadeur est une cible pour les talibans. Pour les déjouer, il se déplace souvent incognito. « De cette façon, j’ai souvent pu me promener dans les bazars de Kaboul, d’Herat ou d’autres villes », se souvient-il.

Quand il prend son poste, l’effectif français est encore faible, et les soldats sont cantonnés dans une mission secondaire à Kaboul. A partir de 2008, et l’envoi de 4000 hommes, la France s’engage dans une mission « difficile » en Surobi et en Kapisa : sécuriser l’axe Vermont, cette route stratégique qui relie la base aérienne de Bagram à la route qui mène au Pakistan.

« C’était notre mission, nous l’avons accomplie », se satisfait l’ancien diplomate. « Je pensais qu’en 2010, la situation était stabilisée en Surobi et qu’on pouvait retirer nos forces ». Puis en 2011 pour la Kapisa. Le retrait anticipé orchestré par François Hollande était donc « une bonne décision », qu’il préconisait depuis deux ans.

Car pour lui, la coalition internationale a fait son temps, et doit à présent reconnaître ses erreurs. « L’essentiel des forces américaines se sont concentrées sur la lutte anti-terroriste et ont oublié l’autre aspect fondamental qui était la stabilité sur le pays », dénonce Jean d’Amécourt.

« On n’a jamais été en mesure de réaliser ces objectifs idylliques »

Selon lui, les forces de l’OTAN se sont concentrés sur la reconstruction économique de l’Afghanistan au détriment de « l’aide à la gouvernance ». « Le président Hamid Karzaï nomme les gouverneurs de province et les maires des grandes villes mais, faute d’administration locale compétente et faute d’hommes et de ressources financières suffisants, leur pouvoir est souvent illusoire ». Or, sans gouvernance locale, les aides financières n’arrivent pas jusqu’aux habitants.

Livre d'Amécourt

Ces échecs sont sans doute le fruit d’attentes démesurées de la part des dirigeants occidentaux. « L’Afghanistan a toujours passionné les opinions », en France comme ailleurs, observe Jean d’Amécourt. Selon lui, on a confondu « le rôle principal qui était d’extraire le jihadisme international et de construire un gouvernement démocratique », et « l’autre mission présentée de façon lyrique sur le thème : on est venu pour empêcher qu’à tout jamais les femmes soient lapidées, qu’on coupe la main des voleurs, que la charria revienne, pour assurer la protection des droits de l’homme, de la femme, des enfants, etc. » Résultat, « on n’a jamais été en mesure de réaliser ces objectifs idylliques », trop éloignés de la réalité du pays.

Alors, que va devenir l’Afghanistan à présent ? Hamid Karzaï devrait laisser sa place lors des élections de 2014, année du retrait des forces de l’OTAN. Jean d’Amécourt salue en lui « un homme courageux, qui essayait de faire de son mieux », à la fois « un tacticien politique remarquable et un chef traditionnel ». Mais dans un pays effondré par trente ans de guerre, « il faut une personnalité particulièrement forte », et Karzaï « n’est plus l’homme de la situation ».

L’ancien ambassadeur est persuadé qu’il faudra intégrer les talibans au système institutionnel. « Il n’y a pas d’autre solution ». Selon lui, les conditions d’une négociation « sont en train de se réunir » : qu’ils acceptent la constitution, qu’ils déposent leurs armes et qu’ils renoncent à toute relation avec le jihadisme international. Signe l’une timide ouverture, les rebelles ont envoyé deux représentants aux négociations de Chantilly en décembre, dont la teneur est restée secrète. D’autres suivront. Et Jean d’Amécourt de conclure : « On a en grande partie reconstruit le pays, il faut maintenant le réconcilier avec lui-même ».

 

 * « Diplomate en guerre à Kaboul. Les coulisses de l’engagement de la France », Jean d’Amécourt, éditions Robert Laffont, 2013, 21 euros.

 

Lire aussi : « Afghanistan, une mission que tous les soldats devraient connaître », le témoignage du sergent Yohann Douady après six mois dans les montagnes afghanes.

 

La promesse

Prop-591

 

Les déclarations de campagne

Dans un discours de campagne, le 11 mars 2012, le candidat Hollande déclarait : « Au delà du 6 mai, la France engagera le retrait de ses troupes combattantes d’Afghanistan. C’est la conclusion logique de l’analyse de la situation, dix ans après le début des opérations. (…) L’objectif était clair, précis : renverser le régime taliban, et lutter contre le terrorisme d’Al Qaïda. (…) Nous accélérerons dans les meilleures conditions le retrait de nos forces combattantes pour que fin 2012 nos soldats soient rentrés. »

 

L’action

L’armée française a mis fin mardi 20 novembre 2012 à sa mission de combat en Afghanistan en quittant la Kapisa, la province la plus meurtrière. Après le départ de ses dernières « forces combattantes », deux ans avant le délai prévu fin 2014 par l’Otan, la France ne compte plus que 1.500 soldats dans le pays : des formateurs et logisticiens essentiellement basés à Kaboul.

En décembre, les talibans étaient présents pour la première fois à la table des négociations pour la paix, lors des réunions de Chantilly. En accueillant ces pourparlers entre les insurgés, le gouvernement et l’insurrection légale, la France joue toujours un rôle de médiateur.

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