Interview : Des parcours d’orientation simplifiés pour « mettre les vocations à l’épreuve »



Que faire après mon bac ? Cette question, tous les lycéens se la sont déjà posée, avec plus ou moins d’appréhension. Licence, DUT, BTS, prépa, grande école… Dur dur de s’y retrouver dans la jungle des diplômes, surtout lorsqu’on hésite sur sa vocation. En France, 7.700 intitulés de masters (bac+5) sont agréés par l’Etat. Rien que ça !

Pour simplifier les parcours d’orientation, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche Geneviève Fioraso préconise d’élaborer une nouvelle nomenclature. Elle devra permettre d’uniformiser les intitulés de diplômes et les rendre plus lisibles. Le projet de loi, qui doit être examiné prochainement par le Parlement, prévoit également de faciliter les passerelles entre les différentes filières universitaires, et de créer un service territorialisé d’orientation.

Daniel Léonardi, directeur du CIO de Tours, se prononce pour l'aménagement de passerelles entre les filières universitaires. (Photo Chloé Bossard)

Daniel Léonardi, directeur du CIO de Tours, se prononce pour l’aménagement de passerelles entre les filières universitaires. (Photo Chloé Bossard)

Daniel Léonardi, directeur du Centre d’information et d’orientation de Tours, nous livre son diagnostic et ses solutions.

Hollande, ses promesses et moi : Est-il nécessaire de faciliter les passerelles entre filières ?

Daniel Léonardi : L’idée qu’il existe une trop grande spécialisation dans l’enseignement supérieur est assez ancienne. Et les réorientations sont déjà une réalité. Tout le monde a droit à l’erreur !
Pour faciliter les changements de voie, je pense qu’il faudrait instaurer un tronc commun, à l’image de la première année commune aux filières de santé (la PASES) qui pourrait être généralisée à toutes les filières.
Cette idée de passerelles entre filières est très poussée dans l’Académie d’Orléans-Tours car nous allons jusqu’à proposer des réorientations « positives » à des étudiants qui sont en échec malgré leurs grandes capacités. Ce sont des étudiants de grande qualité mais ils ne réussissent pas les concours. Nous les redirigeons donc vers des filières moins sélectives.

HPM : Quel est le rôle du conseiller d’orientation-psychologue ?

Daniel Léonardi : Le conseiller n’est pas là pour asséner une vérité. Il n’est pas là pour dire au jeune : « tu dois faire ça », mais pour réfléchir avec son interlocuteur. Les jeunes qui viennent nous voir sortent souvent avec plein de questions, ce qui peut être déstabilisant. Mais c’est un mal pour un bien. Il faut accepter l’idée que cette vocation, il faut la mettre à l’épreuve. Il faut amener la personne à se demander : « mon projet est-il solide ? »
Par ailleurs, il faut savoir que seulement 10% des orientations se font par vocation. Pour tous les autres, c’est un parcours qui se construit petit à petit. La dimension psychologique est fondamentale. Elle renvoie à l’identité personnelle : « Moi, avec ce que je suis, où est-ce que je pourrais me réaliser ? »

HPM : Avez-vous constaté des évolutions dans la manière d’accompagner les jeunes vers leur parcours d’orientation ?

Daniel Léonardi : Pendant longtemps, l’orientation a obéi à un modèle adéquationniste : les personnes avaient des compétences et des traits de caractère que l’on faisait coller avec des métiers. On vous faisait passer des tests pour savoir si vous étiez plutôt manuel, plutôt logique, etc.
Cette idée a évolué car les métiers évoluent, mais surtout parce qu’on s’est rendu compte que l’humain est un être en perpétuel développement. C’est l’idée sartrienne qu’on est « un être en devenir ». Après l’adolescence, on vit d’autres étapes. Bien sûr, certains traits de caractère sont stables, mais ça ne suffit pas pour construire un parcours d’orientation. Maintenant, ce parcours se déroule tout au long de la vie, sous formes d’étapes, au fil des rencontres.

HPM : Comment amener les jeunes en échec scolaire à s’interroger sur leur orientation ?

Daniel Léonardi : C’est un sujet de redondant, et extrêmement difficile. La première chose à faire, c’est de recenser les décrocheurs. Pour les lycéens, nous pouvons le faire à partir des bases-élèves tenues par les établissements. Mais pour les étudiants c’est beaucoup plus compliqué. On n’est pas big brother ! Je n’ai pas de réponse à cette question.
Nous comptons sur une démarche volontariste. D’ailleurs, les jeunes que nous recevons sollicitent de plus en plus d’entretiens avec un conseiller. Et ces entretiens sont passés de 30 à 45 minutes. Souvent, ils ont trouvé beaucoup de documentation sur internet et ils nous demandent de faire le tri.

HPM : Une meilleure orientation peut-être constituer un outil de lutte contre le chômage ?

Daniel Léonardi : Nous essayons actuellement de présenter des métiers très mal perçus, dans une dimension éducative. Je pense par exemple aux métiers de l’industrie, de la métallurgie. On a tous des images stéréotypées de l’avenir de ces métiers. On pense à Florange, mais on ne pense pas aux entreprises de pointe. Il existe en Touraine des entreprises spécialisées dans ces secteurs qui ont du mal à recruter.
Le nom des métiers ne suscite pas toujours l’appétence non plus, comme la chaudronnerie. Mais ce secteur peut concerner le fuselage des avions par exemple. Les métiers ont évolué, mais pas leurs appellations.
Nous tentons aussi d’amener certains jeunes à créer eux-même leur métier en montant leur entreprise. Parce que les métiers sont aussi des oeuvres humaines.

HPM : La ministre souhaite rassembler toutes les structures qui concourent à l’orientation en un seul service territorialisé. Qu’en pensez-vous ?

Daniel Léonardi : C’est une question sensible pour la profession. A Tours, le CIO compte vingt conseillers, et 45 en Indre-et-Loire. Il a déjà été question que ce service d’Etat soit transféré à la région. Mais la profession ne le souhaite pas.
D’autres structures, à l’Université, à la mission locale, à la Chambre des métiers et même à Pôle emploi traitent de l’orientation. Nous devons faire en sorte que si un jeune arrive chez nous, nous puissions lui dire où aller et lui décrire ce qu’il trouvera là-bas. Qu’on soit à même de lui faire un premier accueil partout, pour ensuite le renvoyer sur une structure.
La région Centre a fait beaucoup d’efforts à ce niveau. Nous avons obtenu le label « Orientation pour tous ». Ca signifie que nous devons travailler ensemble pour que chacun trouve une structure adaptée à son âge et à sa problématique. Mais en aucun cas les services ne doivent se substituer les uns aux autres. C’est pourquoi la profession n’aime pas l’idée de guichet unique. Nos métiers ne sont pas interchangeables, loin de là.

 

La promesse

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L’action

Geneviève Fioraso a un objectif : atteindre 50% de diplômés du supérieur dans une classe d’âge. La ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche compte pour cela réformer les premiers cycles universitaires, comme le préconisait François Hollande durant sa campagne.

La loi d’orientation pour l’enseignement supérieur et la recherche, présentée fin mars en conseil des ministres après six mois de concertation, pose le principe du décloisonnement des filières. Il doit faciliter les réorientations en aménageant des passerelles entre les cursus et les établissements.

Le projet de loi impulse aussi une vaste simplification du paysage universitaire, avec notamment la suppression de 5.800 spécialités de masters et l’accréditation des établissements par l’Etat. Il met aussi en place une spécialisation progressive en premier cycle universitaire.

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