Contre la récidive, « ce qui fonctionne c’est l’aménagement de peine »



En face de la maison d’arrêt de Tours, une drôle de « petite maison » accueille les proches des détenus. Un peu perdus face à l’emprisonnement d’un fils, d’un mari, d’un père, ces visiteurs trouvent le réconfort dans une tasse de café et l’oreille attentive de Delphine Logier. « L’incarcération d’un proche est toujours un choc, même en cas de récidive », assure la jeune femme, qui préside le Comité d’aide aux détenus, une association rattachée à l’Entraide ouvrière.

Delphine Logier (à gauche), reçoit les familles des détenus. (Photo Chloé Bossard)

Delphine Logier (à gauche), reçoit les familles des détenus. (Photo Chloé Bossard)

La récidive, cheval de bataille du ministère de la Justice. Une conférence de consensus, clôturée en janvier, a émis des pistes pour lutter contre ce fléau. Son idée principale, faire de la prison « une peine comme une autre », peut sembler utopique. Les professionnels du secteur la jugent indispensable.

Depuis le durcissement des peines, sous l’ère Sarkozy, les récidivistes n’accèdent plus à la liberté conditionnelle. Un non-sens pour Delphine Logier. « Ca ne les aide pas à se réinsérer », estime-t-elle, « car ça leur laisse le temps de perdre un éventuel emploi, un logement, de rompre des liens familiaux ». Pour qu’ils ne perdent pas totalement pied une fois dehors, l’Entraide ouvrière met quatre appartements à disposition des sortants. Les ex-détenus ne sont pas prioritaires dans l’attribution de HLM.

« On est souvent en bout de chaîne sociale »

« L’incarcération entraîne très souvent une dégradation de la situation. Les détenus sont souvent plus jeunes et plus récidivistes que les condamnés en milieu ouvert », observe Vanessa Fouillet. Prévenir la récidive, c’est son « job » au quotidien. La jeune femme, chemisier et brushing impeccable, est conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation à Tours. « Nous devons sans cesse trouver des solutions pour limiter la casse », glisse-t-elle.

Isabelle Larroque (à gauche), directrice du SPIP de Tours, et Vanessa Fouillet (à droite), conseillère d'insertion et de probation. (Photo Chloé Bossard)

Isabelle Larroque (à gauche), directrice du SPIP de Tours, et Vanessa Fouillet (à droite), conseillère d’insertion et de probation. (Photo Chloé Bossard)

Comme sa vingtaine de collègues, Vanessa Fouillet suit actuellement 130 condamnés, principalement en milieu ouvert -la moyenne européenne est de soixante. A chaque rendez-vous, pendant plusieurs années, elle tente de connaître leurs failles, les points à travailler. Comportements addictifs, difficulté à gérér la frustration… La plupart du temps, l’orientation vers un psychologue s’avère « indispensable ». « On est souvent en bout de chaines sociale », justifie-t-elle.

Au total, le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) de Tours suit plus de 2.000 condamnés. Saisi par le juge d’application des peines, il le conseille aussi en matière d’aménagements. « On va, autant que possible, éviter la prison pour les personnes condamnées à des courtes peines », explique Isabelle Larroque, la directrice. Mais le rythme judiciaire est bien lent, et ces petits délinquants, « pour qui les aménagements de peines seraient le plus bénéfique », sont aussi ceux qui en profitent le moins.

« Inscrire une politique pénale dans la durée »

Des paradoxes comme celui-ci, Isabelle Larroque en a relevé un certain nombre lors de la conférence de consensus, dont elle faisait partie du jury. « De même, aujourd’hui, plus on récidive, moins on accède à l’aménagement de peine », observe-t-elle. Pourtant, « il est prouvé que la liberté conditionnelle est un facteur important dans la prévention de la récidive ».

D’ailleurs, le jury a écrit ses conclusions « à l’unanimité », tient-elle à préciser. Parmi elles : automatiser de la libération conditionnelle, individualiser les peines au maximum, abandonner les peines-plancher, instaurer une peine de probation sans rapport avec la prison, ou encore sortir certaines infractions du champ de la prison, comme les délits routiers. Et surtout, éviter toute « sortie sèche », sans préparation. Espérant que Christiane Taubira, la garde des sceaux, suivra ses recommandations, Isabelle Larroque appelle à mettre en place une politique pénale « dans la durée, et non pas en réaction à des événements d’actualité, comme on a pu le voir ces dernières années ».

Encore faudra-t-il en donner les moyens aux SPIP, qui ont vu leur missions s’étoffer considérablement depuis leur création en 1999. Les conseillers servent aujourd’hui d’intermédiaire avec différents partenaires comme Pôle emploi, mais ils doivent aussi contrôler si les condamnés remplissent bien leurs obligations, faire le lien avec leur famille, les réinscrire dans le tissus social en les aidant à trouver un emploi, un logement, prendre en main leur santé, les informer sur leurs droits, les responsabiliser, informer le magistrat par rapport, etc.

« La société se doute que les prisons ne font pas des bisounours »

Une charge de travail énorme qui a des conséquences. « Il est vrai que nous ne rencontrons les condamnés que tous les deux mois en moyenne, et que nous nous concentrons sur le milieu ouvert, un peu au détriment du milieu fermé », concède Vanessa Fouillet. « Notre public est aussi de plus en plus nombreux au vu du contexte social qui se dégrade« , ajoute Isabelle Larroque.

Mais cette société, minée par la crise et la petite délinquance qu’elle entraîne, est-elle prête à accepter que des récidivistes sortent plus tôt de prison ? « La société française a pris conscience que la prison n’est pas la seule voie possible », assure Isabelle Larroque, « elle a pris conscience de l’état de ses prisons et se doute bien qu’elles n’en font pas des bisounours ». C’est dit. A Christiane Taubira, à présent, d’argumenter. Avant un projet de loi, qui devrait intervenir d’ici le mois de juin.

Lire aussi : Karim Mokhtari, ancien détenu : « La prison fabrique de la récidive »

La promesse

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L’action

Le jury de consensus sur la prévention de la récidive, installé en septembre 2012, a remis son rapport à Christiane Taubira le 20 février dernier. Ses conclusions vont beaucoup plus loin que ce qu’imaginaient les socialistes.

Selon le rapport, la prison n’est pas efficace pour prévenir la récidive et ne doit plus être « qu’une peine parmi les autres ». Le jury propose de supprimer les peines automatiques qui contribuent à surpeupler les prisons, de créer une peine de probation indépendante, sans lien avec l’emprisonnement et d’élargir les libérations conditionnelles.

Ce serait les prémisses d’une grande loi pénale, qui devrait être présentée d’ici juin.

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