Afghanistan, « une mission que tous les soldats devraient connaître »



Le retrait des troupes françaises d’Afghanistan était un engagement fort de François Hollande (promesse 51, lire en bas de page). A l’heure où les derniers soldats rentrent au pays, le sergent Yohann Douady raconte ses six mois d’engagement.

 

Jean, veste en cuir, foulard et cigarette entre les doigts. C’est en civil que Yohann Douady nous reçoit au 2e Régiment d’infanterie de marine du Mans, même si le treillis reste sa tenue préférée. Rangers aux pieds et attirail sur le dos, ce Tourangeau de 31 ans a exploré les montagnes abruptes d’Afghanistan, de décembre 2010 à juin 2011.

Yohann Douady raconte sa mission dans un livre. (Editions Nimrod)

« Nous avons évolué dans un monde tourmenté par le froid, la faim, la chaleur, la soif, la fatigue, le stress, la douleur, la souffrance, le mal, la haine, et la mort, bien sûr », raconte-t-il aujourd’hui dans un livre intitulé « D’une guerre à l’autre ». « La mission a été compliquée, difficile et éprouvante, mais c’était une vraie mission, de celles que tous les soldats devraient connaître. »

Lorsqu’on lui a proposé de partir, le sergent Douady n’a pas hésité. Comme beaucoup de ses collègues, il a même troqué le commandement d’un groupe de cinq soldats contre la direction « d’un seul gars ». Cette perte de responsabilités était une condition sine qua none pour embarquer. « J’aurais énormément regretté de ne pas y aller« , confie-t-il.

En tant que tireur d’élite, Yohann Douady a enchaîné les missions dans la vallée de Tagab, au coeur de la province de Kapisa, tantôt perché sur des rochers pour surveiller des positions et couvrir ses camarades, tantôt chez l’habitant. « Au début, les villageois se cachaient quand nous arrivions », rapporte Yohann Douady, qui se souvient des femmes détournant le regard, emprisonnées dans leurs burqas bleues.

 

« Nous faisions peur, mais bien moins que ceux que nous traquions. »

Au bout de quelques mois d’occupation, « des gens nous faisaient des signes amicaux de la main ». Une victoire en soi. Mais ces Afghans bien intentionnés « étaient aussi ceux qui renseignaient l’ennemi ». Les égorgements et exécutions sommaires pratiqués par les talibans savaient délier les langues. « Nous faisions peur, certes, mais bien moins que ceux que nous traquions », résume Yohann Douady.

Les réussites s’enchaînent, de village en village, jusqu’au 20 avril. Ce jour là, le caporal Alexandre Rivière, 23 ans, du 2e RIMa lui aussi, est tué dans l’explosion d’une bombe artisanale. Dès lors, les attaques rebelles redoublent d’intensité. « Ils avaient besoin de cette vallée, au même titre que nous en avions besoin pour ravitailler, pour faire passer des axes logistiques », assure Yohann Douady.

Le jeune sergent vit son grand frisson à peine deux jours plus tard, lors de la mission Hélico Rescue. La cérémonie funéraire d’Alexandre Rivière s’achève juste lorsqu’il doit partir prêter main forte aux Américains. Un de leurs hélicoptères vient de se crasher non loin. Un soldat est mort et deux autres ont été blessés. Les tireurs d’élite ont à peine le temps de se mettre en position derrière leurs rochers qu’ils « se font accrocher comme pas possible ». Les balles fusent en rafales à quinze centimètres de leur tête. Yohann Douady frôle la mort.

Mais l’épreuve la plus insupportable qu’il ai traversé reste la mort de son ami très proche, le 1ere classe Cyril Louaisil. A deux semaines du retour en France, le jeune homme vérifie les pneus d’un véhicule blindé quand retentit un grand « BOUM ». Une grenade vient d’exploser dans sa poche, par accident. « Une décharge électrique me traverse le corps en même temps qu’un sentiment d’effroi et de colère », relate Yohann Douady. « Je sens les larmes couler de mes yeux sans qu’aucune parole puisse sortir. Je suis pétrifié. »

(Cliquer sur Play pour écouter le sergent Yohann Douady)

:http://www.nrblog.fr/le-changement-cest/files/Doudy-son-1.mp3|titles=

 

Le patriotisme et la fraternité d’armes n’ont rien d’illusoire.

Cyril Louaisil est mort pour la France. Pourtant, il n’a occupé qu’une infime partie des journaux télévisés, monopolisés par « une personnalité publique qui a fait des choses dans un hôtel à New York ». Comprendre Dominique Strauss-Kahn et l’affaire du Sofitel, qui éclate au même moment. « Quand on met les deux faits l’un à côté de l’autre, on se rend compte que ça n’a rien à voir », regrette le sergent.

Sa rancoeur vise aussi Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, les deux journalistes de France 3 enlevés le 30 décembre 2009. « Ces deux Rouletabille amateur avaient cru bon de partir explorer les pistes afghanes, persuadés que leurs cartes de presse les protégeraient d’un coup du sort », écrit-il, virulent. Et de s’insurger : « Nous savons tous que la liberté de la presse a un prix, mais lorsque Hervé Ghesquière essaye de faire payer la note aux militaires, je trouve qu’il pousse le bouchon un peu loin ».

Les militaires seraient donc les oubliés de l’affaire ? « La vie d’un soldat français ne valait que 4000 euros sur le marché taliban, nettement moins que celui d’un journaliste sur le marché des otages. » Preuve, pour le jeune homme, que la population française a peu d’intérêt pour son armée.

Mais selon lui, le patriotisme et la « fraternité d’armes » n’ont rien d’illusoire. « Nous avons accompli cette mission en faisant honneur à notre drapeau, en faisant souffler dans ces vallées et dans ces villages isolés un peu de l’esprit français », assure-t-il, « permettant à la France de tenir son rang sur la scène internationale et d’influer sur la destinée du monde. »

 

:http://www.nrblog.fr/le-changement-cest/files/Douady-son-2.mp3|titles=

 

Pourquoi devrions-nous regretter d’avoir essayé ?

Même si Yohann Douady « ne peut pas parler pour la France », il estime que l’objectif est atteint. « La présence a été établie. Pour moi, cette mission a été accomplie du début à la fin. » Quant au retrait des forces, « ce n’est pas maintenant qu’on saura si c’est une bonne décision mais dans dix ans », avance-t-il prudemment. « Certains pourront toujours prétendre que nous n’avons influé sur rien, que ces dix années de guerre en Afghanistan ont été inutiles », ajoute-t-il. « Mais il suffirait que germent les quelques graines d’espoir que nous avons semées pour que rien n’ait été inutile. Et même si rien ne germe, pourquoi devrions-nous regretter d’avoir essayé ? »

En tous cas, lui ne sera plus jamais le même. Après « six mois d’action perpétuelle, de tensions et d’émotions », le retour à la réalité s’est apparentée à un « catapultage dans une autre dimension ». Durant quelques semaines, son esprit est resté là-bas, dans cette guerre « capable de vous émerveiller comme de vous donner le vertige, et bien sûr de saturer votre regard jusqu’à vous donner la nausée. » Ce livre était une manière d’exorciser, et de continuer à avancer.

 

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Depuis, il a lui-même formé des soldats qui partaient pour Kaboul, et repris ses études pour pouvoir monter en grade. « L’armée, c’est ma passion« , conclue-t-il.

 

La promesse

 

 

Les déclarations de campagne

Dans un discours de campagne, le 11 mars 2012, le candidat Hollande déclarait : « Au delà du 6 mai, la France engagera le retrait de ses troupes combattantes d’Afghanistan. C’est la conclusion logique de l’analyse de la situation, dix ans après le début des opérations. (…) L’objectif était clair, précis : renverser le régime taliban, et lutter contre le terrorisme d’Al Qaïda. (…) Nous accélèrerons dans les meilleurs conditions le retrait de nos forces combattantes pour que fin 2012 nos soldats soient rentrés. Nous agirons en concertation, et c’est légitime, avec nos alliés. Nous n’imposerons pas notre rythme à d’autres, mais nous agirons en toute indépendance. »

 

L’action

L’armée française a mis fin mardi 20 novembre à sa mission de combat en Afghanistan en quittant la Kapisa, la province la plus meurtrière. Après le départ de ses dernières « forces combattantes », deux ans avant le délai prévu fin 2014 par l’Otan, la France ne compte plus que 1.500 soldats dans le pays : des formateurs et logisticiens essentiellement basés à Kaboul. L’armée dit laisser derrière elle un territoire relativement apaisé, même si deux districts de Kapisa sont en partie contrôlés par les insurgés. Au plus fort de son déploiement, la France y comptait environ 2.500 soldats.

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