Karim Mokhtari, ancien détenu : « La prison fabrique de la récidive »



Il a connu très tôt la misère, la maltraitance, la délinquance. Et la prison. Pourtant, à 35 ans, Karim Mokhtari est un homme épanoui. A force de volonté et de courage, parfois au péril de sa vie, cet ancien détenu a réussi à gagner sa place dans la société. Dans « Rédemption », il raconte son parcours, et dénonce un système carcéral brutal et décourageant.

Karim Mokhtari est aujourd'hui un acteur engagé contre le tout carcéral. (Editions Scrinéo)

Karim Mokhtari est aujourd’hui un acteur engagé contre le tout carcéral. (Editions Scrinéo)

« La prison fabrique la récidive », accuse d’emblée celui dont le parcours de réinsertion fait figure d’exemple. La voix est forte, le ton assuré. Derrière une politesse non feinte, Karim Mokhtari est déterminé à faire entendre son message. « La pénitentiaire fabrique de la récidive quand elle vous enferme 22 heures sur 24, quand vous devez lutter pour accéder à des formations », poursuit-il.

Pendant six ans, de 1996 à 2002, ce Français d’origine algérienne a connu pas moins de quinze établissements pénitentiaires. Son parcours est alors marqué par une colère noire contre la société, et contre sa famille. La violence et la haine font partie de son quotidien.

Enfant, le jeune Karim était torturé chaque jour par son beau-père, sous les yeux approbateurs de sa mère. Souffre-douleur d’un foyer de banlieue parisienne plongé dans la misère, il n’a eu de cesse de chercher un peu de considération. En vain.

« La prison était bien en dessous de mes ambitions en terme de réinsertion »

Le petit garçon commence alors à voler, sur les ordres de son beau-père. C’est sa « manière d’exister ». Puis s’enchaînent les cambriolages et les braquages de petits commerces. Devenu adolescent, il est placé en foyer et tombe dans la délinquance. Jusqu’à ce que tout bascule. Un braquage chez un grossiste de drogue tourne mal, un homme est tué. Karim Mokhtari a tout juste 18 ans. Lui et ses deux complices prennent dix ans ferme.

Commence alors un parcours carcéral en forme d’exorcisme. En proie à une rage incontrôlable, violent envers les détenus et les surveillants – qui le lui rendent bien -, le jeune Mokhtari passe les deux tiers de sa première année au mitard. Dans cette cellule d’isolement, sombre et vide, il tente même de mettre fin à sa vie.

La tentation du suicide reviendra à plusieurs reprises. Jusqu’à la prise de conscience, qui lui vient comme un éclair alors qu’il a son drap noué autour du coup, prêt à en finir. « Je pensais que la prison m’aiderait à me reconstruire. Quand j’ai vu qu’elle était bien en dessous de ces ambitions en terme de réinsertion, ça m’a redonné encore plus la pêche pour me battre », explique-t-il.

« Ma réinsertion on ne me l’a pas donnée, je l’ai braquée »Rédemption

Karim Mokhtari décide de renaître, malgré les nombreux obstacles qui lui barrent le chemin vers une « vie normale ». « Ma réinsertion on ne me l’a pas donnée, je l’ai braquée », constate-t-il, amer. L’ancien détenu se souvient de son insistance pour participer à des formations, pour pouvoir travailler à l’atelier de la prison. Tenace, il en vient même à faire la grève de la faim.

Grâce à tous ses efforts, l’ex-petit caïd obtient des remises en peine et sort de prison en novembre 2002. Il rejoint aussitôt une association de réinsertion par le travail, Ateliers sans frontières, où il forge sa conscience citoyenne. « Je t’aide, je m’aide » devient la devise de celui qui se considère comme « un citoyen de tous les instants ».

Aujourd’hui marié et père de deux filles, Karim Mokhtari est un acteur engagé dans le changement du monde carcéral, notamment via l’association Carcéropolis dont il est porte-parole. Conscient d’être « un sur mille », ce repenti entend mettre son parcours au service des détenus. C’était le sens de sa participation à la conférence de consensus sur la récidive en février (lire ci-dessous), qui a été « encourageante » dans son refus du tout carcéral.

« Est-ce qu’on leur propose juste de la vengeance ou est-ce qu’on les ramène à une dimension plus humaine ? »

« J’ai trouvé ma peine incohérente », témoigne-t-il. « Moi ce que j’attendais de la justice c’est qu’elle me donne les moyens de me réparer, et de réparer ce que j’avais commis. Or, elle n’a fait qu’assurer une vengeance sociale sur moi en m’enfermant et en essayant de m’oter l’humanité qui m’anime. »

La parole habile, Karim Mokhtari use de formules chocs. Ses mots sont autant de coups portés aux peines planchers et à la détention des mineurs. Il rêve que chacun puisse « entrer dans un parcours de réinsertion dès son entrée en prison ». Et si « l’enfermement peut faire partie de la peine », il doit être « l’ultime recours ».

« Que propose-t-on à des gens qui n’ont pas réussi à vivre en société ? », interpelle-t-il, incarné par son discours. « Est-ce qu’on leur propose juste de la vengeance et de l’exclusion sociale ou est-ce qu’on les ramène à une dimension plus humaine ? » Et à ceux qui le taxent d’utopiste Karim Mokhtari répond simplement qu’il est un « idéaliste en action« .

La promesse

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L’action

Le jury de consensus sur la prévention de la récidive, installé en septembre 2012, a remis son rapport à Christiane Taubira le 20 février dernier. Ses conclusions vont beaucoup plus loin que ce qu’imaginaient les socialistes.

Selon le rapport, la prison n’est pas efficace pour prévenir la récidive et ne doit plus être « qu’une peine parmi les autres ». Le jury propose de supprimer les peines automatiques qui contribuent à surpeupler les prisons, de créer une peine de probation indépendante, sans lien avec l’emprisonnement et d’élargir les libérations conditionnelles.

Ce serait les prémisses d’une grande loi pénale pour laquelle aucun calendrier n’a encore été fixé.

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4 réponses à Karim Mokhtari, ancien détenu : « La prison fabrique de la récidive »

  1. berté marie dit :

    Bravo !
    Mon fils a fait de la prison suite à un accident dans lequel sa petite amie a perdu la vie, dans ses analyses c’est vrai il y avait des traces de drogue. La prison l’a bien aidé a finir de se détruire et a se détacher de cette vie dont il n’a plus rien à faire, ça fait maintenant 10 ans qu’il survit avec cette culpabilité, il a accepté sa peine comme punition, mais la pire des punitions pour lui c’est le manque de celle qu’il aime.

  2. Ping : Récidive : « Ce qui fonctionne, c’est l’aménagement de peine » | Hollande, ses promesses et moi

  3. Perrier dit :

    J’adore! merci beaucoup .
    J’ai adoré et dévoré votre livre , j’avais parfois l’impression de me sentir à votre place et ressentir les mêmes émotions que vous. Merci beaucoup.
    Ou pourrions nous vous contactez ?
    Merci d’avance

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