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Sélection prix Roblès 2015

Nouvelle découverte parmi les six premiers romans sélectionnés pour le prix Roblès 2015 ( organisé par les bibliothèques et alimenté par les avis émis au sein des nombreux comités de lecture), qui sera décerné en juin, dans le Loir-et-Cher. Cette fois, c’est à un véritable voyage dans le temps que nous convie l’auteure, Béatrice Castaner qui signe avec « Aÿmati », un roman atypique dans sa construction et sa langue. Tout en sensibilité. Mais étrange.

ayamati_couv  Béatrice Castaner, agée de 54 ans, signe avec « Aÿmati » un roman pour le moins original. Secrétaire générale  du festival des Francophonies en Limousin, elle vit et travaille à Limoges, après avoir fait des fouilles archéologiques et du théâtre.

L’histoire ? Elle est triple. Trois périodes se mélangent, se répondent. Trois femmes racontent leur histoire à travers celle de leurs congénères.

Aÿmati, une jeune femme de 30.000 ans, vit sur le continent européen. Mära, elle, va naître en Amérique du Nord. L’une et l’autre sont les deux dernières représentantes de leur espèce, néandertalienne pour la première, sapiens pour la seconde. Le seul lien entre elles ? Une statuette en ivoire.

Dans les années 2000, il y a aussi Gabrielle, archéologue française qui sera l’articulation entre les deux espèces. Elle travaille avec Myn, qui en 2030, a fondé un parc africain en primatologie. Vingt ans plus tard, tout sera détruit, même les espèces…

Au fil des pages et des chapitres, les trois personnages et leurs récits se croisent, se répondent. Les questions se posent : celle de la transmission, celle de l’héritage aussi. A travers l’art notamment.

Extraits

 Page 41 :« Durant quatre jours, Aÿmati a parlé massé chanté caressé embrassé transmis à Jy le récit de leur clan, pour que Jy le reçoive de l’autre côté de la vie. Elle a dessiné sur son corps à l’ocre rouge les animaux qui l’ont nourrie pour que Jy les retrouve là-bas. Durant quatre nuits Aÿmati  a tenu à distance les hyènes qui sont venues se nourrir de l’odeur de la mort. Qui exigeaient leur dû, ce corps qui pourrit, pour le démembrer le décharner, casser ses os, engloutir la moelle et s’en repaître quelque temps. »

Page 47 :« Elle sculpte, avec ses pointes de silex, les morceaux d’ivoire posés tour à tour sur ses genoux protégés par une pièce de cuir. Sur chaque figurine, aucune bouche ne s’ouvre pour laisser passer les mots. Les parles sont entre les lèvres d’Aÿmati, sont dans le murmure qu’elle transmet à chaque statuette, dans les histoires qu’elle mène avec chacune, pour rester en vie. »

Pages 108-109 :« Tu sais ce que sont les racines, Mära ? Les racines, celles qui t’ancrent dans la terre où tu es née. pas les racines gorgées de sang qui te sont données à ta naissance; non plus celles qui te rattachent à un lieu géographique, à une langue ou à une culture. Non, celles-ci sont éphémères ou tronquées parfois pour en faire des armes de guerre. Oserais-je dire les “vraies” racines ? Mais il n’y a pas de vérité qui ne s’envole lorsque nous croyons l’atteindre. Alors comment te dire ? Les racines, celles données par le vivant. Celles qui ont repris attache en moi lorsque j’ai eu Poss dans les bras, il y a huit ans. »

Mon avis

 Voilà un livre étonnant ! Tant par son sujet que dans sa forme.  Une très jolie découverte ! Le lauréat 2015 ? Allez savoir. Des quatre premiers romans sur les six sélectionnés que j’ai lus, c’est, de loin, le plus original. Mais, patience, le lauréat sera connu d’ici quelques semaines. En attendant, bonne lecture !

« Aÿmati », Béatrice Castaner, Serge Safran éditeur, 14,50€.

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BEREZINALe sujet de ce récit n’est pas banal, son auteur non plus. Avec « Bérézina », Sylvain Tesson signe un livre atypique, truculent… et historique.

Le stégophile – se dit de celui qui est passionné d’escalade de toits –, écrivain, aventurier et russophile éclairé s’est, en effet, lancé dans un drôle de défi : de Moscou jusqu’à Paris, en side-car, revivre la retraite napoléonienne en suivant les traces de l’empereur corse avec la Grande Armée.

Une aventure menée à trois, puis à cinq, en plein hiver. Deux cents ans après.

Le récit de voyage, qui se lit d’une traite, est un petit bijou. Rien ne manque : ni l’alcool, ni le froid mordant, ni les anecdotes sur la Russie d’aujourd’hui au fil des 4.000 kilomètres parcourus. En trame de fond, la grande Histoire. Et la fascination de l’auteur pour Napoléon.

Sylvain Tesson, dont j’avais évoqué le précédent recueil de nouvelles « S’abandonner à vivre »  ici, adepte des expériences assez extrêmes à travers le monde, se remet aujourd’hui d’un accident assez stupide, qui a eu lieu en août dernier. Il venait de rendre le manuscrit de « Bérézina » ( commencé juste après la mort de sa mère)  à son éditeur, lors d’une fête chez son ami  et auteur Jean-Christophe Rufin, à la montagne, il tombe d’une gouttière. Coma, traumatisme crânien, paralysie faciale… et l’obligation de changer de vie.

L’histoire ? C’est donc celle de Sylvain Tesson, de ses deux camarades Cédric Gras et Thomas Goisque ainsi que de leurs deux amis russes, Vitaly et Vassili. Le 2 décembre 2012, ils montent sur et dans les side-cars, dont des exemplaires de la fameuse marque Oural, et prennent la route. Objectif ? « Nous avions le bicorne, nous avions la date. Restait à trouver les fantômes. Ils attendaient sur le bord de la route (p.34) »

Au fil des pages, on suit leur épopée, émaillée de portraits des protagonistes, de descriptions et d’anecdotes historiques et/ou alcooliques. C’est selon.

Découvrez ici une vidéo qui relate le projet et l’aventure qui en a découlé

Extraits

Page 89 :« Le quatrième jour. De Smolensk à Borissov.

En cette matinée où un soleil, semblable au plafonnier d’une salle de bains khrouchtchévienne, se juchait au-dessus des remparts de Smolensk, notre situation allait connaître une amélioration. Désormais, nous ne roulerions plus à trois sur la même Oural. Gras resterait dans mon panier, Goisque rejoindrait celui de Vitaly. Vassili, lui, convoierait les bagages sur sa monture. Les Russes nous avaient apporté nos sacs et nous retrouvâmes duvets, collants et lainages que nous avions négligé d’empiler en partant vers Borodino. Nous avions commis l’erreur de toutes les armées de l’Ouest qui s’engagent en Russie en mésestimant le froid. »

Pages 92-93 :« Nous autres, latins, nourris de stoïcisme, abreuvés par Montaigne, inspirés par Proust, nous tentions de jouir de ce qui nous advenait, de saisir le bonheur partout où il chatoyait, de le reconnaitre quand il surgissait, de le nommer quand l’occasion s’en présentait. Dès que le vent se levait, en somme, nous tentions de vivre. Les Russes, eux, étaient convaincus qu’il fallait avoir préalablement souffert pour apprécier les choses. Le bonheur n’était qu’un interlude dans le jeu tragique de l’existence. Ce que me confiait un mineur du Donbass, dans l’ascenseur qui nous remontait d’un filon de charbon, constituait une parfaite formulation de la “difficulté d’être” chez les Slaves :“Que sais-tu du soleil si tu n’as pas été à la mine ?” »

Pages 130-131 :« L’empereur était le ciment qui maintenait les débris de l’armée. Son magnétisme obligeait les officiers. Son énergie galvanisait les soldats. La certitude de sa présence, même invisible, insufflait à chacun le désir de se tenir debout pour s’acquérir un peu de la gloire générale. Une fois le souverain parti, tout pouvait se débander. Et tout se débanda. Et Murat ne put rien contre la déréliction. L’armée se traînait, aimantée par la perspective de Vilnius. Comme au temps de Smolensk, quelques semaines plus tôt, les débris humains avaient besoin d’un mirage. Et, comme Smolensk, Vilnius fut loin des attentes.

Ce fut une horde de squelettes vivants qui se pressa aux portes de Vilnius le 8 décembre. Quarante mille hommes affamés fondaient sur une bourgade assoupie qui ignorait tout de la débâcle. Les bourgeois, voyant arriver ces torrents de possédés couverts de peaux de bêtes, firent ce que font les bourgeois quand ils sont menacés : ils fermèrent les portes de la ville. »

Mon avis

 Road-trip enthousiasmant, aventure humaine et littéraire, « Bérézina » est une perle. Les amateurs de l’écriture de Sylvain Tesson seront ravis, les fidèles à la mémoire de l’empereur également. Un récit passionnant qui donne envie de rouvrir son livre d’Histoire.

« Bérézina », Sylvain Tesson, Editions Guérin, 19,50€.

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et-tu-nes-pas-revenu-loridan-ivens-couvLe 70e anniversaire de la libération des camps d’Auschwitz marque cette année 2015. L’occasion pour certains d’entre nous de plonger dans des livres d’Histoire. Pour d’autres, dans des témoignages.

Celui de Marceline Loridan-Ivens s’impose. Une évidence tant les mots de cette octogénaire frappe notre coeur. Et notre conscience. Avec « Et tu n’es pas revenu », coécrit avec Judith Perrignon, la cinéaste et documentariste revient sur son histoire.

Celle de sa dénonciation. Celle de sa déportation avec son père. Celle de son retour et du silence assourdissant qui l’entoure. Celle de sa colère et du regard désabusé qu’elle porte aujourd’hui sur la vie.

Au fil des 107 pages, un formidable témoignage d’amour à son père Shloïme Rosenberg ( un juif polonais émigré en France) qui ne reviendra pas de l’enfer.

Des mots, des faits, qui rappellent l’horreur de la guerre. A 15 ans, la jeune Marceline est arrêtée, déportée. Elle fait partie des quelque 200 survivants ( sur les 2.500 a en être revenu. Au total, entre 1940 et 1945, 1,1 million de personnes a péri à Ausshwitz-Birkenau) à pouvoir encore raconter l’indicible, ce qu’elle a vécu dans sa chair. Là-bas, en Pologne, elle deviendra une esclave au service de la mort, en charge du tri des vêtements de ceux qu’on envoie mourir dans les chambres à gaz.

Elle évoque celles qui, au coeur de l’horreur, deviendront ses amies, celles qui ne pas revenues. Elle raconte aussi la difficulté à vivre ensuite, après sa libération, le 10 mai 1945. Et porte un regard désabusé sur la mémoire collective, sélective.

 

En janvier, Marceline Loridan-Ivens était l’invitée de Patrick Cohen au 7-9, de France-Inter. Ses mots claquent.

 

 

Extraits

Page 55 :« Maman disait tenir de quelqu’un qui t’avait vu à Auschwitz, que tu avais quitté le camp avec la marche de la mort au mois de janvier 1945, qu’on t’avait vu à Dachau ensuite, que tu aurais dû y rester, mais que tu t’étais remis en marche pour soutenir un homme que ne pouvait plus avancer sans toi et que les Allemands auraient abattu. D’après Maman, tu n’avais pas été désigné pour marcher encore, tu t’étais sacrifié. Je n’y croyais pas à son histoire. Au camp, on ne choisissait rien, pas même sa façon de mourir. Mais Dachau c’est possible, j’ai lu que bien des détenus de Gross-Rosen ont été transférés là-bas. Qu’importe que ce ne soit pas écrit. On ne peut plus faire d’inventaire dans le fracas de l’après-guerre. L’administration française a peut-être délivré ces certificats en vrac, inscrivant en face des noms, des lieux et des dates probables, pas forcément vérifiés. Je ne crois à rien de l’histoire officiellement écrite par la France. »

Pages 69-70 :« Jacqueline m’offre des fleurs le 10 main comme si c’était mon anniversaire. Chaque année, ça me touche beaucoup, nous sommes proches, différentes et attentives l’une à l’autre, il ne reste que nous deux. Le 10 mai, c’est la date de ma libération par les Russes à Theresienstadt. Je suis née ce jour-là. Je sais que Jacqueline le fait pour moi mais aussi pour son père.

Mon retour est synonyme de ton absence. A tel point, que j’ai voulu l’effacer, disparaître moi aussi. J’ai sauté dans la Seine deux ans plus tard, l’année où Henri se mariait. C’était un peu après le quai Saint-Michel, j’avais enjambé le parapet, j’allais m’élancer quand un homme m’a retenue. Puis j’ai eu la tuberculose, on m’a placée dans un sanataroum chic en Suisse, à Montana. Maman venait me voir parfois. Je ne supportais pas son impatience, cette façon qu’elle avait de me réclamer d’aller bien et d’oublier. J’étais si lourde. J’ai tenté de mourir une deuxième fois. »

 Page 83 :« Et si je suis restée sèche, menue, c’est parce que j’ai souvent pensé devant ma glace, dix, vingt ou trente ans plus tard, Faut que je reste mince et svelte pour ne pas passer au gaz la prochaine fois. Je n’ai jamais eu d’enfants. Je n’en ai jamais voulu. Tu me l’aurais sans doute reproché. Le corps des femmes, le mien, celui de ma mère, celui de toutes les autres dp,t me ventre gonfle puis se vide, a été pour moi définitivement défiguré par les camps. J’ai en horreur la chair et son élasticité. J’ai vu là-bas s’affaisser les peaux, les seins, les ventres, j’ai vu se plier, se friper les femmes, le délabrement des corps en accéléré, jusqu’au décharnement, au dégoût et jusqu’au crématoire. »

Mon avis

Voilà un témoignage bouleversant pour honorer la mémoire de tous ces déportés. A lire absolument histoire, au moins, de faire reculer la bêtise.

« Et tu n’es pas revenu », Marceline Loridan-Ivens avec Judith Perrignon, Grasset, 12,90€.

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Sélection prix Roblès 2015

 

VOYAGE OCTAVIO Aux antipodes de l’univers de « Karpathia », nous voilà au Venezuela, là, au pays d’Octavio. Poursuivons ainsi notre découverte des six premiers romans sélectionnés pour le prix Roblès 2015 dont nous connaitrons le lauréat au mois de juin.

Avec « Le voyage d’Octavio », Miguel Bonnefoy livre une fresque picaresque et une fable baroque.

Dans ce premier roman – Miguel Bonnefoy est cependant déjà l’auteur d’un recueil de nouvelles « Icare et autres nouvelles », salué en 2013 par le prix du Jeune écrivain de langue française – l’auteur franco-vénézuelien plonge ses lecteurs dans l’univers d’un jeune paysan analphabète qui, d’aventures en rencontres, découvrira l’amour et l’écriture.

Tous les codes du roman picaresque sont là. L’histoire d’un héros miséreux qui vit des aventures extravagantes et pittoresques alors, en toile de fond un pays aux accents magiques et aux allégories joyeuses.

Si le livre s’ouvre sur l’épidémie de peste qui s’abat sur le village de Saint-Paul-de-Limon, il nous fait suivre, des décennies plus tard, le jeune Octavio. Il prête ses bras et sa force à tous ceux qui le lui demandent. Même les voleurs, commandés par le cultivé mais terrible Guerra.  Il rencontrera la belle Venezuela qui lui apprendra les mots et l’écriture avant de fuir, une fois encore.

On le suit de page en page, arpentant son pays, entre légendes, poids de la religion et celui, plus cruel encore, de la société. On découvre ainsi le Venezuela, pays de l’auteur qui a d’ailleurs écrit « Le voyage d’Octavio » directement en français. Né d’une mère vénézuelienne et d’un père chilien, Miguel Bonnefoy a grandi entre la France, Caracas et le Portugal.

Extraits

Page 43 :« Ici, on parlait du banditisme avec respect, comme d’un art, ou bien d’un métier délicat. Guerra était entouré d’une confrérie de vieux cambrioleurs qui ressemblaient à des alchimistes, tous décidés à revenir à une époque où la crasse et la rusticité n’étaient pas encore entrées dans les moeurs. L’argent du butin se rassemblait dans une cagnotte commune et se distribuait à parts égales. La majortié suivait l’Evangile, d’autres priaient confusément la Vierge, les saints et tous les morts du cimétière. Ces hommes n’étaient ni des Lacenaire, ni des Villon, ni des Caravage. C’étaient seulement des êtres de nulle part, exerçant un métier cruel avec rigueur et passion. »

Page 70 :« La faim les traîna jusqu’aux cimétières. Ils fourragèrent au fond des tombes, pillant dans l’obscurité des caveaux, trouvant de petites croix en bronze épinglées à des haillons, des rosaires en nacre, des ceintures brodées en perle de verre. Ils découvrirent une fois une petite statue yanomami transformée en lutrin où les pages d’une bible avaient été dévorées par la vermine. Ils devinrent si miséreux que, du côté du péché, la moral penchait pour eux. »

Page 85 : « A partir de ce jour, le voyage d’Octavio ne fut plus celui du mendiant. Son errance prit une purelé telle qu’elle semblait inviter tout homme à la suivre aveuglément. La disparition de l’hôte lui laissa un émoi brutal qu’il transforma aussitôt en élan de curiosité. Il ne sortir pas de la forêt de San Esteban. Il préféra parcourir les hameux en bordure de l’autoroute vers Moron.

Il s’engagea dans les lisières, entre Las Trincheras et El Cambur, où il trouva des villages si isolés qu’on n’y recevait pas de courrier. Là où il passait, il apportait toujours la richesse des moissons, la bonne récolte, les nouvelles d’un hameau voisin. Il marchait dans les rues entre les chats et les chèvres, la boue jusqu’aux chevilles, vêtu d’une étoffe légère, ceinte d’une courroie, où il avait accroché un sac rempli d’akènes et de fruits secs. Il portait en bandoulière les pattes d’un coq dont il avait mangé la moitié et salé le reste pour une autre bouche que la sienne. »

Mon avis

Voilà un hymne au Venezuela ! Et un premier roman tout en poésie et en allégories. Quelques moments savoureux dans ce roman, mais je n’ai pas été sensible à l’atmosphère qui s’en dégage.

« Le voyage d’Octavia », de Miguel Bonnefoy, Rivages.

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  Sélection prix Roblès 2015

COUV KARPATHIAOn poursuit la découverte de la sélection 2015 du prix Roblès avec « Karpathia » de Mathias Menegoz. Comme Adrien Bosc ( qui a cumulé les récompenses pour son « Constellation », Mathias Menegoz a obtenu un prix prestigieux en raflant le prix Interallié.

L’auteur signe là une fresque historique assez incroyable qui, au fil de presque 700 pages, nous fait découvrir la Transylvanie, en 1833.

MENEGOZMathias Menegoz a 46 ans. Scientifique de formation, il s’est penché sur l’une des branches de sa famille et a ainsi découvert les différentes communautés de la Mitteleuropa. Après des mois de recherches à la bibliothèque nationale autrichienne, il a imaginé ce roman-fleuve. Passionnant.

L’histoire ? C’est celle du comte Alexander Korvanyi. Ce capitaine hongrois, héritier d’une grande famille de seigneurs féodaux, décide de quitter Vienne et l’armée pour s’installer sur ses terres, en Transylvanie, une terre complexe où se mêlent Magyars, Saxons et autres Valaques. Une terre où tentent de coexister plusieurs religions, différentes juridictions… et un régime féodal qui était un peu tombé en désuétude.

Avec  sa jeune épousée autrichienne Cara von Amprecht, il va tenter de remettre son monde au pas. Non sans mal. Il lui faut gagner la confiance de son intendant, se faire obéir de ses serfs et faire fructifier ses terres et ses droits. De quoi perturber, et c’est peu de le dire, les habitudes prises depuis la forteresse familiale n’était plus tenue par la famille Korvanyi.

Une chasse qui se transforme en guérilla, d’horribles légendes qui reprennent vie après un viol, une étrange et sécrète confrérie des forestiers qui souhaite émanciper les hommes qui vivent là tout en multipliant les pillages… Cara et son mari se battent, mais comment faire quand l’ennemi est aussi à l’intérieur ?

Extraits

 Page 178 : « Le compte passa en revue les chefs des principales familles que lui présentait Lànffy. Il fit un bref discours en hongrois pour annoncer qu’il vivrait désormais presque tout le temps au château, qui l’époque de l’abandon et du laisser-aller était finie et qu’il consacrerait tous ses efforts à restaurer l’ordre, la justice et la prospérité dans ses domaines. L’assemblée sur la prairie fit apparaître clairement l’infériorité numérique des Saxons et des Magyars par rapport aux Valaques. »

Page 370 : « Le comte était haï par les serfs valaques plus que par les autres communautés : il avait banni Ion Varescu, il avait pris parti en faveur des Tziganes et maintenant il les chargeait de faire seuls la corvée des moissons, pour les exclure de toute participation à la Jagdfest… Cependant, puisqu’ils étaient habituellement les plus maltraités de tous les serfs, ils étaient aussi les plus endurcis. Pour résister à l’oppression, les Valaques de la Korvanya avaient un avantage secret par rapport aux autres serfs : même si la plupart d’entre eux ignoraient presque tout des forestiers et de Vlad leur maître, ils baignaient dans les légendes tissées autour de lui. Ils avaient foi en une Puissance mystérieuse qui veillait sur eux. Ainsi les prières qui s’élevaient de l’église orthodoxe prenaient une force particulière. Ces prières les réconfortaient d’autant mieux qu’ils croyaient confusément sentir la proximité du Sauveur auxquelles elles s’adressaient. En ces temps de crise, le pope s’efforçait d’étouffer ses propres scrupules théologiques et tolérait cette confusion sans la combattre ni l’entretenir ouvertement. »

Page 520 : « Parmi les forestiers qui attaquaient le château des Korvanyi, seul Vlad en connaissait l’intérieur. Ses souvenirs anciens n’avaient perdu ni en férocité ni en précision. Les autres forestiers furent un peu désorientés après avoir atteint leur premier objectif, la capture du portail. Mais leurs ordres étaient simples : tout tuer et tout détruire, le plus vite possible. Ils se dispersèrent donc par groupes de deux ou trois pour traquer leur gibier et fouiller les différents bâtiments avant d’y mettre le feu. Malgré les recommandations de leurs chefs, nombre d’entre eux étaient aussi prêts à s’attarder et à s’encombrer en pillant les richesses du seigneur Korvanyi, tant le succès facile de leur premier assaut les mettait en confiance. »

Mon avis

Voilà un roman qui ne m’inspirait pas vraiment au départ et que j’ai pourtant dévoré ! Si l’histoire ne s’étale pas sur une longue période, elle est cependant très dense, très riche… et pleine de rebondissements. Loin des clichés sur la Transylvanie, nous voilà au plus près d’un contexte social, racial et religieux plutôt compliqué. Le comte Korvanyi, lui, ne changera pas de ligne de conduite, au milieu des montagnes et des grandes forêts que ses aieux lui ont transmis. Un premier roman remarquable.

« Karpathia », Mathias Menegoz, P.O.L., 23,90€.

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Sélection prix Roblès 2015

Le prix Roblès, c’est reparti ! Depuis 1990, ce prix, créé par les bibliothèques du Loir-et-Cher, est décerné courant juin, par les lecteurs réunis au sein de comités. En course, six premiers romans, sortis récemment, déjà primés ou pas.

Quid de la sélection 2015 ? Elle compte six univers :

- « Le voyage d’Octavio » de Miguel Bonnefoy (Rivages).

- « Constellation » d’Adrien Bosc (Stock).

- « Àÿmati » de Béatrice Castaner (Flammarion).

- « En face » de Pierre Demarty (Flammarion).

- « Les enquêtes de Monsieur Proust »  de Pierre-Yves Leprince (Gallimard).

-  « Karpathia » de Mathias Menegoz (P.O.L.).

Qui succédera à Nicolas Clément, auteur de « Sauf les fleurs » qui avait remporté l’édition 2014 et dont j’avais beaucoup le texte ( redécouvrez le post ici ).

Bosc_AdrienPremière étape littéraire avec « Constellation », d’Adrien Bosc. Ce dernier, âgé de 29 ans, est écrivain et éditeur. Il a fondé les Editions du Sous-sol.

L’histoire ? La quatrième de couverture est, on ne peut plus claire.

 Le 27 octobre 1949, le nouvel avion d’Air France, le Constellation, lancé par l’extravagant M. Howard Hughes, accueille trente-sept passagers.

Le 28 octobre, l’avion ne répond plus à la tour de contrôle. Il a disparu en descendant sur l’île Santa Maria, dans l’archipel des Açores. Aucun survivant. La question que pose Adrien Bosc dans cet ambitieux premier roman n’est pas tant comment, mais pourquoi ? Quel est l’enchaînement d’infimes causalités qui, mises bout à bout, ont précipité l’avion vers le mont Redondo ? Quel est le hasard objectif, notion chère aux surréalistes, qui rend « nécessaire » ce tombeau d’acier ? Et qui sont les passagers ?

Si l’on connaît Marcel Cerdan, l’amant boxeur d’Édith Piaf, si l’on se souvient de cette musicienne prodige que fut Ginette Neveu, dont une partie du violon sera retrouvée des années après, l’auteur lie les destins entre eux. « Entendre les morts, écrire leur légende minuscule et offrir à quarante huit hommes et femmes, comme autant de constellations, vie et récit. »

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CVT_Un-membre-permanent-de-la-famille_1819Après le Japon, cap sur l’Amérique ! Celle de Russell Banks en prime. Celle d’hommes et de femmes ordinaires qui ne trouvent plus leur place dans la société ou qui se rendent compte que celle-ci ne tient plus qu’à un fil. Alors ils se lancent dans des plans voués à l’échec, des histoires ratées.

Avec « Un membre permanent de la famille », l’auteur américain dont l’oeuvre est traduite dans vingt langues, nous évoque en douze nouvelles la « middle-class » d’aujourd’hui, de New-York à Miami.

Né en 1940, Russell Banks, est  l’un des écrivains majeurs de sa génération. Président du Parlement international des Ecrivains, il est également membre de la prestigieuse American Academy of Arts and Letters.

Familles éclatées

Treize ans que cet auteur n’avait pas publié de recueil de nouvelles. Pour lui, l’exercice est très différent de l’écriture d’un roman. Il compare ce dernier à « un mariage », celle de la nouvelle s’apparentant à une « liaison ».  » C’est bref, intense, il faut se concentrer », expliquait-il cet hiver à l’antenne de France Culture.

Avec « Un membre permanent de la famille », nous voilà happés dans douze histoires. Douze destins. Douze histoires avec cependant la même toile de fond : un contexte compliqué, une famille éclatée, des difficultés matérielles ou morales…

 

 Les histoires sont donc multiples. Ici un ancien Marine arrêté par ses propres fils après avoir braqué une banque, là, la mort d’un chien qui achève de distendre les liens entre un père et ses filles après le divorce, ou encore une femme, noire, enfermée malgré elle dans le parking d’une concession automobile sur lequel un pitbull monte la garde…  Sans oublier l’histoire de cet artiste reconnu enfin par un prix international ou encore celle d’Isabel, qui vient de perdre son mari et qui entend s’installer définitivement à Miami, loin des montagnes et du froid.

Extraits

Page 37 :  » Un membre permanent de la famille »

« Personne, évidemment, n’a reproché à Sarge d’avoir rejeté la garde alternée et d’avoir du même coup brisé notre famille. En tout cas, pas consciemment. En réalité, à cette époque où la famille commençait à se défaire, aucun d’entre nous ne soupçonnait à quel point nous dépendions de Sarge pour continuer à ne pas voir la fragilité,l’impermanence même de notre famille. Aucun d’entre nous ne savait qu’elle nous aidait à différer l’éclatement de notre colère, à repousser notre besoin de coupable, à qui reprocher la séparation et le divorce, la destruction de l’unité familiale, la perte de notre innocence. »

Page 68 : « Transplantation »

« Quand il vous arrive un truc épouvantable et que c’est votre faute, bon sang, on n’en fait pas son deuil, se dit-il. Ce qui s’est passé, c’est à vous de vivre avec. Il avait traversé seul ses trois crises cardiaques, une opération à coeur ouvert pour un pontage coronarien et, un an plus tard, la détérioration du coeur même. Et maintenant la transplantation. Tout cela, d’une certaine manière, résultait du fait qu’il avait détruit la seule chose vraiment bien qui lui soit arrivée, son mariage avec Janice. Ni les crises cardiaques, ni le pontage ni la transplantation n’auraient eu lieu, pensait-il, s’il n’y avait pas eu le divorce. C’était une superstition, il le savait, mais il ne pouvait s’en défaire. »

Page 175 : « Les Outer Banks »

« La quincaillerie ne lui avait pas manqué une seule fois, de même que la banque n’avait jamais manqué à Alice. Ils avaient attendu la retraite avec impatience, et une fois qu’ils l’avaient atteinte, elle leur avait bien plu, tel un lieu de vacances où ils auraient décidé de séjourner toute l’année. N’ayant pas d’enfants ni de petits-enfants ni d’autres parents proches, ils étaient aussi libres que des oiseaux. Des “oiseaux des neiges”, comme on les avait appelés e, Floride et là-bas en Arizona. Quand ils étaient partis de chez eux, leur chienne Rosie était déjà vieille – dix ans ou peut-être onze, il n’était pas sûr du chiffre. Il l’avait trouvée à la fourrière, mais, bon sang, il n’avait pas imaginé qu’elle allait mourir comme ça ».

Mon avis

Des années que je n’avais plongé dans un ouvrage de Russell Banks ! J’en ai lu un bon paquet et ai retrouvé avec plaisir l’écriture et les histoires de cet auteur américain en prise avec les classes moyennes et pauvres de son pays. Un régal que ce recueil de nouvelles ! Russell Banks excelle à nous emmener dès la première page dans une histoire simple et compliquée à la fois. Pleine d’empathie pour des hommes et des femmes souvent empêtrés dans leurs soucis, leur solitude, leur ras-le-bol. Un bon moyen, pour ceux qui ne l’ont encore jamais lu, de découvrir l’univers de l’auteur.

« Un membre permanent de la famille », Russell Banks, Actes sud, 22€.

Nouvelles traduites de l’américain par Pierre Furlan.

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azamicouverture

 

Un nouveau cycle romanesque. Aki Shimazaki aime le procédé. Après deux pentalogies déjà à son actif, elle inaugure avec son nouveau roman « Azami », une nouvelle série.

Plus de trente ans que cette auteure qui a vécu les 26 premières années de sa vie dans son pays, au Japon, s’est installée au Canada et plus précisément au Québec, à Montréal.

Là-bas, elle écrit en français des romans qui, tout en finesse et sobriété mais sans faux semblant, parlent du Japon. « On ne dit pas les choses directement au Japon », dit Aki Shimazaki. Elle, a choisi un style simple et direct, minimaliste, pour ne rien cacher.

« Azami », ( ce qui signifie « chardon » en français) est donc le premier opus d’une nouvelle série, publiée chez Actes sud.  On y fait la connaissance de Mitsuo, un trentenaire, rédacteur dans une revue culturelle. Il est marié à Atsuko, avec qui il élève leurs deux enfants.  Une vie bien cadrée jusqu’au jour où il rencontre de manière fortuite un ancien camarade de classe, Gorô Kida, devenu président de la compagnie familiale, qui l’entraîne dans un club très sélect.

 

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GilSavez-vous que les romans ont chacun leur petite musique, leur mélodie ? C’est encore plus vrai avec le nouveau roman de Célia Houdart qui signe là son quatrième opus depuis 2007.

Avec « Gil », l’auteure-artiste touche-à-tout de 45 ans nous entraîne dans la vie de Gil de Andrade, que l’on rencontre alors qu’il a 18 ans, son bac et son permis de conduire en poche. Le rêve de ce fils de postier d’origine portugaise ? Entrer au Conservatoire.

Le jeune pianiste ne compte pas ses heures et ses gammes, encouragé par ses professeurs. Puis, c’est la révélation. Sa voix est plus talentueuse encore que ses doigts. Lui, le jeune homme timide qui, toujours, a parlé si bas, va faire parler de lui partout. Un ténor est né. Sensible mais fragile, inquiet.

Son père Jorge le soutient. Sa mère aussi, à sa manière. Depuis plusieurs années déjà, Lucile est soignée dans une institution, en Suisse.

De répétition en représentation, le lecteur découvre les coulisses de l’opéra et la carrière fulgurante de Gil. Un roman sensible. Pas réservé à l’élite mélomane. D’ailleurs, pour ne pas tomber dans ce type de piège, l’auteure a sciemment inventé les oeuvres et leurs compositeurs. Histoire de mettre tout le monde à l’aise.

 

 

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VOYANTUn homme. Un destin. Et, des années après, un écrivain pour raconter ce que trop de gens n’ont pas vouloir voir et entendre. L’homme, c’est Jacques Lusseyran. Son destin ? Celui d’un enfant qui, devenu accidentellement aveugle à 8 ans, sera un grand résistant, déporté à Buchenwald puis professeur apprécié aux Etats-Unis, son handicap lui interdisait d’enseigner en France jusqu’à la fin des années 50.

L’écrivain ? C’est Jérôme Garcin. Le « patron » du Masque et la Plume ( chaque dimanche à 20h sur France Inter), journaliste au Nouvel Obs est aussi « un passeur » comme il me l’a expliqué ce jeudi, lors d’une interview. Avec « Le voyant », il signe la biographie d’un homme… extraordinaire.

Un homme que l’Histoire a oublié. Trop brillant, trop différent. Jérôme Garcin s’est employé, après avoir eu accès aux archives personnelles de Jacques Lusseyran, a remettre cet homme dans la lumière. Pour longtemps. Déjà des producteurs se disputent les droits pour le cinéma et enfin, une plaque honorifique va être posée à Paris, où l’homme a grandi et s’est battu avec ses armes à lui, avant d’être arrêté par la Gestapo.

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