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Ah !Des nouvelles ! En France, le genre n’occupe pas les têtes de gondoles. Un genre mineur ? Pourtant non. Il requiert une imagination folle et un sens de la construction maitrisé. Aux Etats-Unis par exemple, les auteurs de nouvelles sont particulièrement salués alors que de ce côté de l’Atlantique, cet art tombe en désuétude. Dommage.

Histoire de vous donner goût à ces histoires courtes, je vous invite à plonger dans le recueil de nouvelles de Sylvain Tesson, le voyageur écrivain. Il signe avec « S’abandonner à vivre » dix-neuf nouvelles d’ici et d’ailleurs qui nous parlent de la vie, du destin qu’on ne contrôle pas.

TESSON Sylvain COUV S'abandonner à vivre

 

 

Sylvain Tesson ? Un aventurier qui découvre l’aventure en Islande puis à Bornéo au début des années 90. Ensuite, étudiant, il boucle un tour du monde à vélo avec Alexandre Poussin. D’autres voyages, d’autres découvertes suivront. Auteur d’articles, présentateur d’émission, Sylvain Tesson a donné également de très nombreuses conférences.  En 2010, il  choisit de passer six mois au bord du Lac Baïkal en Russie pour vivre au plus près de la nature et dans la solitude, il en écrira, « Dans les forêts de Sibérie », qui obtiendra d’ailleurs le prix Médicis Essai en 2011.

 

 

 

 

 

 

Au fil de ces dix-neuf histoires ? La vie. Et l’auteur d’expliquer, dans sa quatrième de couverture :  » Devant les coups du sort il n’y a pas trente choix possibles. Soit on lutte, on se démène et l’ont fait comme la guêpe dans un verre de vin. Soit on s’abandonne à vivre. C’est le choix des héros de ces nouvelles. Ils sont marins, amants, guerriers, artistes, pervers ou voyageurs, ils vivent à Paris, Zermatt ou Riga, en Afghanistan, en Yakoutie, au Sahara. Et ils auraient mieux fait de rester au lit. »

Pas question donc de vous raconter chacune de ces nouvelles par le menu. Vous y plongerez plus volontiers.

Extraits

Page 38 (La gouttière) : « Ce trimestre-là, le sort nous avait souri. Le docteur suivait une formation pour décrocher un diplôme de médecine tropicale. Toutes les deux semaines, il s’absentait trois jours pour des séminaires dans un Novotel périphérique où l’on ne pouvait pas ouvrir les fenêtres et où ses professeurs l’initiaient aux mystères de la bilharziose et des cycles de reproduction de la mouche filaire. Il partait le jeudi, j’arrivais sur ses pas, il rentrait le dimanche, juste après mon départ. Rien de sordide dans cette valse, j’étais organisé comme un amant suisse et Marianne avait le coeur compartimenté, les cloisons de la conscience parfaitement étanches. L’essentiel dans une double vie, c’est qu’on ne soit jamais trois à la vivre. »

Page 141 (L’ermite) : « S’accouder au bastingage d’un bateau est aussi agréable que se tenir au comptoir d’un bistro, les yeux sur les taches rondes laissées par les verres. La Lena coupait la taïga. Il restait deux mille kilomètres jusqu’ à la mer des Laptev. Le navire, un bateau à vapeur de l’époque brejnévienne, marchait à huit noeuds. Les Russes le mettaient en service pendant la saison d’été. Ces hommes avaient supporté le communisme pendant soixante-dix ans et continuaient à entretenir des machines hors d’âge. Les Russes n’ont aucun respect pour leur propre existence mais un sens pathologique de la conservation des objets. »

Page 201-202 ( Le train) : « Tout ce qui bouleverse la vie advient fortuitement. Le destin ressemble à ces seaux d’eau posés en équilibre sur la tranche des portes. On entre dans la pièce, on est trempé. Ainsi va l’existence. J’ai été initié à la vérité du “pofigisme” le soir où je m’y attendais le moins.

Pofigisme n’a pas de traduction en français. Ce mot russe désigne une attitude face à l’absurdité du monde et l’imprévisibilité des événements. Le pofigisme est une résignation joyeuse, désespérée face à ce qu’il advient. Les adeptes du pofigisme, écrasés par l’inéluctabilité des choses, ne comprennent pas qu’on s’agite dans l’existence. Pour eux, lutter à la manière des moucherons piégés dans une toile d’argiope est une erreur, pire, le signe de la vulgarité. Ils accueillent les oscillations du destin sans chercher à en entraver l’élan. Ils s’abandonnent à vivre.

Les Russes sont tous atteints à des degrés divers par cette torpeur métaphysique. Les Européens de l’Ouest, eux, ont oublié ce qu’ils doivent au stoïcisme, à Marc Aurèle, à Epictète. Ils méprisent ce penchant à l’inertie. Ils lui donnent le nom de fatalisme, font la moue devant la passivité slave et repartent vaquer à leurs occupations, les manches retroussées et les sourcils froncés. L’Europe de Schengen est peuplée de hamsters affairés qui, dans leur cage de plastique tournant sur elle-même, ont oublié les vertus de l’acceptation du sort. »

Mon avis

Voilà un réjouissant recueil de nouvelles ! Je ne connaissais pas Sylvain Tesson. Je découvre une très jolie plume, je voyage sans lâcher mon livre et découvre qu’il ne sert à rien de lutter contre le sort. Une jolie découverte en somme.

« S’abandonner à vivre » (nouvelles), Sylvain Tesson, Gallimard, 17,90€.

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