10 fév 2015
Le capitaine des pieds carrés
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Tribune Nord (7) : le juste prix (des places), par Jérôme Boissel

Dans sa chronique (lire la précédente ici), Jérôme Boissel, notre spécialiste marketing, s’arrête cette fois sur le prix des places. Un sujet toujours sensible…

Pas cher, pas cher... Enfin, façon de parler !

Pas cher, pas cher… Enfin, façon de parler !

Le 29 décembre dernier, l’Olympique Lyonnais profitait de la trêve des confiseurs – et du manque de vigilance de supporters alcoolisés et repus – pour offrir un petit cadeau à ses abonnés… mais pas aux autres ! Dans un communiqué long de 83 mots, le club annonçait :

« A la suite d’une modification de la législation au 1er janvier 2015, les droits d’entrée des manifestations sportives vont être assujettis à la TVA au taux réduit de 5,5 %. L’Olympique Lyonnais prend acte de ce changement et informe ses supporters qu’à partir du début de l’année 2015, la TVA sera incluse dans le prix public affiché par la billetterie pour les rencontres à venir. Les détenteurs d’abonnement ne seront pas impactés par la mesure, l’Olympique Lyonnais prenant à sa charge l’impact sur ceux-ci. »

La modification de la législation dont il est question concerne l’instauration de la TVA sur les droits d’entrée des manifestations sportives applicable dès le 1er janvier 2015. Cette décision fait suite à la pression exercée par la Commission de Bruxelles et notamment l’injonction que celle-ci avait adressé à la France le 10 juillet 2014.

De son côté, fort de son effet d’annonce en première exclusivité, Jean-Michel Aulas – JMA pour les intimes – se défendait à moitié en défiant les critiques de regarder ce que feraient les autres clubs… Une réponse qui venait notamment du rugby : l’ASM Clermont Auvergne affirmait qu’aucun spectateur, ni abonné, ni ponctuel, ne serait affecté par une quelconque hausse des tarifs, le club étant disposé  à affecter ses charges plutôt que de charger la mule de la Yellow Army… On ne peut pas gagner à tous les coups, Jean-Mimi…

En tout cas, ce changement législatif permet aux Pieds Carrés d’aborder l’un des éléments les plus complexes du mix marketing : la politique de prix !

Mais quel est le juste prix ? La réponse en vidéo…

Ou plus sérieusement, en lisant la suite de cette excellente chronique !

Pour Ferrandi & Lichtlé (eds., 2014) : « Le prix d’un produit ou d’un service désigne la quantité d’unités monétaires qu’un consommateur doit payer pour l’acquérir. Cette définition fait ressortir une dimension monétaire, mathématique et objective du prix, qui est perçue négativement par le consommateur. Le prix est un coût qui ampute le budget. Il représente avant tout un sacrifice économique nécessaire lors de toute transaction. En parallèle, il est reconnu au prix une dimension informative notamment pour renseigner sur la qualité du bien et service et pour permettre une évaluation et une sélection parmi une multitude d’offres. »

La vision purement utilitariste décrite par Ferrandi et Lichtlé ne doit pas faire oublier que, d’une manière plus large, le prix comprend la somme de toutes les autres valeurs (temps, énergie, coûts physiques, coûts psychologique, etc.) que les consommateurs échangent pour avoir le bénéfice ou l’usage d’un produit.

Toujours est-il que la politique de prix doit être reliée à la politique de produit (bien manufacturé et/ou service) étant donné que le prix est fonction de la gamme de produits et de la situation du produit dans la courbe de cycle de vie… sans oublier le positionnement de la marque non plus, bien évidemment !

La politique de prix est donc, par essence extrêmement complexe, car le prix de vente est fixé de manière plurifactoriel. En effet, pour fixer un prix, il convient d’analyser :

  • des facteurs macro-environnementaux :
  1. contraintes légales et règlementaires… comme un changement de TVA par exemple.
  • des forces micro-environnementales :
  1. Prix et politique tarifaire des concurrents.
  2. Analyse de la demande.
  • son propre environnement interne :
  1. Structure des coûts : pour rappel, en France, il est normalement interdit de vendre moins cher que ce qu’il en coûte pour produire…
  2. Les objectifs de l’organisation en matière de prix…

Cette complexité n’est malheureusement pas encore maîtrisée par les clubs de football français et voici une liste non-exhaustive de ce qui est proposé aujourd’hui :

  • Abonnement à l’année.
  • Abonnement de mi-saison.
  • Achats de groupe.
  • Achats à l’avance.
  • Achats au guichet.
  • Opérations spéciales.

Inutile de vous parler de tarification dynamique ou de yield management. Aucun club, à ma connaissance, n’est aujourd’hui capable d’appliquer les algorithmes pourtant largement utilisés dans d’autres industries de loisirs comme l’hôtellerie, les transports, etc.

Ceci étant il convient de mentionner quelques initiatives qui sortent du lot…

> La gratuité

Lorsqu’il est question de gratuité dans le football, deux exemples me viennent à l’esprit. Le premier est tragi-comique. Il s’agit du Clermont Foot qui essaye, tant bien que mal, d’exister à l’ombre de son grand voisin jaune… Et en Auvergne, peut-être plus qu’ailleurs (voir par la suite), on n’a pas d’argent, mais on a des idées… Même des mauvaises. L’initiative remonte à quelques saisons en arrière.

En même temps, faut dire que le stade Montpied, c'est pas vraiment le pied !

En même temps, faut dire que le stade Montpied, c’est pas vraiment le pied !

La fréquentation moyenne du club gravite autour des 3.000 spectateurs – pas tous payants, je vous rassure ! Une idée de génie traverse alors l’esprit d’un illuminé qui propose d’inviter les spectateurs au prochain match… gratuitement… Une opération qui effraye même la préfecture. Sauf qu’elle donnera l’un des plus gros fiascos marketing de tous les temps : environ 3.000 spectateurs assisteront à la rencontre… Quelle conclusion en tirer ? Eh bien que le marché du football à Clermont, ville de plus de 200.000 habitants, est égal à 3.000 individus.

Le second exemple est plus récent – et plus exotique – puisqu’il nous vient de la deuxième division japonaise où le Yokohama FC a lancé une initiative auprès des étrangers de la ville pour qu’ils choisissent l’YFC comme second club de cœur. Bilan de l’opération : 178 spectateurs de 17 nationalités différentes ont profité de l’opération qui s’étalaient sur 3 matches pour voir un spectacle de football gratuit… Seul l’avenir (et mon contact au Yokohama FC) nous dira si le club aura su transformer l’essai ou pas.

> Le « Payez-ce-que-vous-voulez »

Le « payez-ce-que-vous-voulez » – ou PWYW dans le jargon marketing – est une pratique plus récente qui trouve sa genèse dans l’industrie de la culture, et plus particulièrement de la musique. L’exemple le plus connu – à défaut d’être le premier – est celui de l’album In Rainbows de Radiohead, pour lequel les fans étaient invités, en 2007, à télécharger le contenu depuis le site officiel du groupe pour le montant qu’ils jugeaient approprié, y compris… rien !

Une petite pause musicale :

Résultat ? Des centaines de milliers de fans ont décidé de payer pour obtenir quelque chose qu’ils auraient pu avoir gratuitement !

Dans la même logique, le club écossais d’Inverness Caledonian Thistle vient d’organiser un match de championnat où les spectateurs payaient ce qu’ils voulaient ou pouvaient… Initiative déjà vue dans les divisions inférieures, ICT est le premier club de l’élite écossaise à essayer le PWYW pour faire face à la généralisation de la désertification des stades…

> La tarification à la performance

Dernier exemple… et retour au stade Gabriel-Montpied, puisque le Clermont Foot a mis en place une politique tarifaire unique et originale, calquée sur la rémunération à la performance de certains joueurs. En effet, depuis deux saisons, les 3.000 fidèles arvernes bénéficient d’une tarification modulaire en fonction des résultats de l’équipe !

En pratique, le tarif « catalogue » est appliqué quand l’équipe figure dans le Top 10. Lorsque l’équipe est classé entre la 11e et la 15e place, les spectateurs bénéficient d’une réduction de 10% sur le prix des place. Enfin, la réduction grimpe jusqu’à 20% quand le club est classé entre la 16e et la 20e place… Au vu des résultats de l’équipe de Corinne Diacre cette année, les spectateurs n’ont pas souvent payé le prix fort… Mais j’imagine qu’ils préfèreraient payer un peu plus cher et voir un spectacle de meilleure qualité…

D’ailleurs, c’est peut-être là le vrai dilemme de la politique tarifaire dans le football. Il y a quelques jours, j’ai eu le dialogue suivant avec un membre de ma famille qui ne vit pas en Touraine :

« Vas tu aller voir le match de Coupe de France TFC – Saint-Etienne ?

- Non, car les places sont trop chères…

-Et alors ? Ce sont les Verts tout de même !

- Mais quand tu vas au cinéma, tu vas voir un film en connaissance de cause, et tu payes à la fois la qualité du film et la qualité du cinéma (confort, air conditionné, toilettes propres, pop-corn, sourire de l’ouvreuse, etc.)… Mais quand tu vas au stade, le fait de jouer l’ASSE ne garantit absolument rien et le stade sera toujours exposé aux éléments, avec la queue au guichet, un parking détrempé, et une buvette inaccessible… Alors plutôt que de payer 60€ le billet, je préfère aller voir deux fois le TFC quand il fera meilleur… »

Le Tours FC n’est pas mon club de cœur, c’est le club de ma ville, et j’y vais par opportunisme, comme j’irais au théâtre, au cinéma, au musée ou ailleurs… Et pour revenir à la définition du prix, c’est l’ensemble des sacrifices monétaires et non monétaires que l’individu est prêt à consentir pour acquérir un bien ou un service… Pour 60€, je peux voir un match de Premier League ou de Bundesliga 1 dans un cadre beaucoup adapté au consommateur post-moderne que nous sommes tous…

La preuve que pour voir un match de Premier League, Jérôme est prêt à y laisser sa chemise !

La preuve que pour voir un match de Premier League, Jérôme est prêt à y laisser sa chemise !

Tant que les clubs n’auront pas compris qu’ils évoluent dans l’industrie des loisirs et qu’ils sont en concurrence avec les restaurants, les bowlings et autres centres commerciaux, leur politique tarifaire ne saura satisfaire les nouveaux spectateurs…



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