Le Mans : une zone de sécurité prioritaire au gout amer



Le salon de coiffure où travaille Coraline est situé en plein coeur des Sablons, au Mans. Un « quartier sensible », en langage commun. L’établissement s’est fait braquer par deux jeunes armés, juste après Noël. « Depuis, on n’est pas trop rassuré », avoue la jeune femme. Un médecin séquestré et frappé dans son cabinet en décembre, deux véhicules et une loge de concierge incendiés en novembre, un collège entièrement brûlé en 2010… les actes de délinquance semblent se multiplier.

Au coeur du quartier, le commissariat des Sablons passe pourtant inaperçu auprès des habitants.

Au coeur du quartier, le commissariat des Sablons passe pourtant inaperçu auprès des habitants.

Pour enrayer cette violence, le ministère de l’Intérieur vient de placer les Sablons en zone de sécurité prioritaire (lire en bas de page) avec deux autres quartiers du Mans – Ronceray-Glonnières et Bellevue -, qui concentrent la moitié des violences urbaines de l’agglomération. Ce nouveau dispositif, déployé dans 64 villes, doit éradiquer la délinquance grâce à une présence policière accrue et des partenariats entre les différents acteurs. 

« Une bonne chose » pour Coraline, selon qui les policiers doivent jouer un rôle dissuasif. Le commissariat « ne sert pas à grand chose », déplore-t-elle. Placé juste en face du salon de coiffure, était fermé au moment du braquage.

« Ce n’est pas une zone de non-droit, mais on pourrait basculer »

Mais pour Monique Berthet, gérante du bar Le Victoria, une présence policière intensive « mettrait le feu aux poudres ». Elle était installée aux Sablons depuis seulement deux semaines, lorsqu’elle a subi deux cambriolages d’affilée, il y a seize ans. Depuis, les incivilités et la petite délinquance ont pris le relais : lancers de canettes, insultes, bagarres. Elle encaisse, et se fait discrète pour « ne pas chercher les problèmes ». Le soir, elle baisse son rideau de fer « bien plus tôt qu’avant ».

Le bar de Monique Berthet a été cambriolé deux fois.

Le bar de Monique Berthet a été cambriolé deux fois.

Pourtant, le quartier est attrayant, malgré ses barres de HLM. Grâce au plan de rénovation urbaine, de nombreux bâtiments ont été réhabilités, d’autres démolis pour laisser place à de petites maisons ou des immeubles bas, et de nombreux espaces verts ont été créés. Le tramway est venu désenclaver la zone en 2007, qui a vu se construire un théâtre et une zone de loisirs au bord de l’Huisne.

« Ce n’est pas une zone de non-droit », acquiesce le maire PS du Mans, Jean-Claude Boulard, « mais les indicateurs montrent qu’on pourrait basculer. Et c’est ce que nous voulons éviter ». La ville s’est donc portée volontaire pour entrer dans le dispositif des ZSP. Le projet, qui visera principalement le trafic de drogue, doit être mis en place d’ici la fin de l’année. Mais ses contours sont encore flous.

Le visage du quartier a beaucoup changé. Depuis peu, le tram le relie au centre-ville.

Le visage du quartier a beaucoup changé. Depuis peu, le tram le relie au centre-ville.

Comme le préconise le ministère de l’Intérieur, les ZSP doivent être le fruit de concertations entre acteurs sociaux, forces de l’ordre, élus et habitants. Mais pour le moment, aucune association d’habitant n’a encore été contactée. « On nous sollicite pour avoir des renseignements, mais on n’est pas intégré dans la coordination », regrette Lucie Landeau, qui préside l’antenne locale de la Confédération nationale du logement.

« Le mot sécurité fait peur. Et zone, ça fait zonard, ça fait pas normal »

Si elle approuve l’idée d’une police « proche de la population », elle estime que « ce n’est pas la solution à tout ». Les Sablons comptent 30% de chômeurs, « sans compter les temps partiels subis, surtout pour les femmes ». Plus de 70% des familles sont sous le seuil de pauvreté. Pour Lucie Landeau, la ZSP ne sera efficace que si elle s’accompagne de mesures pour l’emploi. Car « si la police vient seule à la rencontre des personnes en difficulté financière et mal intégrées, on va droit à l’échec ».

Jocelyne Fouqueray, responsable de l’association d’habitants Ligne 14, fait le même constat. Habitante depuis quarante ans, elle a très peur que l’étiquette « ZSP » écorne encore l’image de ce quartier qu’elle adore. « Le mot sécurité fait peur, et zone, ça fait zonard, ça fait pas normal », argue-t-elle.

Jocelyne Fouqueray (au centre) a peur que le classement en ZSP stigmatise le quartier.

Jocelyne Fouqueray (au centre) a peur que le classement en ZSP stigmatise le quartier.

Après la ZUS et la ZEP, « ne pouvait-on pas simplement mettre en place une police de proximité au lieu d’appeler ça une zone de sécurité prioritaire ? » Jocelyne Fouqueray regrette que les élus voient les habitants comme « ayant besoin d’être sécurisés en permanence ».

« Il n’est pas question pour nous de donner une image stigmatisante », répond Jean-Claude Boulard. « Une image est fugace, nous voulons agir pour qu’elle ne devienne pas une réalité. » L’inactivité est « la plaie majeure », reconnaît le maire, qui entend mettre en place « massivement » des emplois d’avenir dans ses ZSP. Mais « le temps qu’on résolve le problème de l’emploi, on ne va pas se priver de sécurité ! En quoi pisser dans une cage d’escalier fait reculer le chômage ? » A méditer.

 

La promesse

L’action

Quinze premières ZSP ont été mises en place en septembre dernier par Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, et 49 autres en décembre. Une cinquantaine de plus devraient être définies début 2014.

Ces zones, particulièrement touchées par la violence et le trafic, doivent permettre de juguler la délinquance, notamment grâce à des partenariats entre différents acteurs, comme la police, les écoles, les associations d’habitants ou les services sociaux. Avec un principe de base : chaque territoire doit bénéficier de réponses appropriées.

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