Logements sociaux (2/2) : Saint-Pierre-des-Corps, la ville qui en faisait trop ?



Alors que des villes, comme Saint-Maur-des-Fossés en Seine-et-Marne, crient au scandale à l’idée d’ouvrir de nouvelles portes aux logements sociaux, à Saint-Pierre-des-Corps, la promesse 22 de François Hollande, qui l’engage à renforcer la loi SRU (lire en bas de page) passe comme un TGV sur ses rails. C’est qu’avec 43 % de logements sociaux, la ville cheminote est déjà bien au delà des 20% exigé actuellement par la loi, et même des 25% que la loi Duflot devrait imposer. Une fierté historique… et politique.

 

Avec 43% de logements sociaux, Saint-Pierre-des-Corps double le taux exigé par la loi.

Avec 43% de logements sociaux, Saint-Pierre-des-Corps double le taux exigé par la loi.

 

Dans le domaine du logement social, Saint-Pierre-des-Corps, fief communiste de 15.000 habitants, coiffe haut la main l’agglomération tourangelle, devant La Riche (33%), Tours (30%) et Joué-les-Tours (28%), et très loin devant Fondettes (7,6%) et Veigné (6,2%), les deux communes les moins bien dotées en habitat social. Sur les 19 communes de l’agglo, neuf sont en deçà du taux de 20% exigé par la loi SRU. « Certains ont décidé que dans leur commune, on excluait du monde », regrette Marie-France Beaufils, inamovible sénatrice-maire de la ville cheminote depuis 1983. Les mêmes qui parlent parfois de Saint-Pierre-des-Corps comme d’un « ghetto », et accusent l’élue communiste d’avoir trusté la construction de logements sociaux « pour garder sa ville ».

Marie-France Beaufils, sénatrice-maire, communiste, de Saint-Pierre-des-Corps depuis 1983.

Marie-France Beaufils, sénatrice-maire, communiste, de Saint-Pierre-des-Corps depuis 1983. (Photo archives NR)

 

Elle n’était pourtant pas là en 1967, quand les emblématiques tours de la Rabaterie sont sorties de terre, en plein champs, pour donner un peu de solide aux locataires des baraquements, vestiges de l’urgence d’après-guerre. Denise Devillaire, 81 printemps, dont 20 à la présidence de l’amicale des locataires des Rosiers, à une traverse de route de la Rabaterie, s’en souvient : « Il fallait reloger les gens convenablement ». Elle fait le même constat à son retour, après un séjour de quelques années à Châteauroux, et encore aujourd’hui. Humaniste et bien pensante ; réaliste aussi.

Denise Devillaire, présidente de l'amicale des locataires de Rosiers depuis 20 ans.

Denise Devillaire, présidente de l’amicale des locataires de Rosiers depuis 20 ans.

Dans les cages d’escaliers, au pied des immeubles, « en 20 ans, les mentalités ont beaucoup changé, constate Denise. On se parle toujours, on se dit bonjour, mais on se fréquente moins ». En cause selon elle, le renouvellement des locataires qui ne « s’installent plus à long terme », une proportion croissante d’immigrés, plus isolés, l’explosion des familles, le chômage, qui brisent les liens sociaux…

A la Rabaterie, vestige tout en hauteur des HLM des années 70, « il y a de plus en plus de logements vides », constate Manuel Bettencourt, 30 ans de tours et président de l’amicale de locataires de l’Aubrière. Ceux qui peuvent fuient les étages de la Rabaterie, pour d’autres logements sociaux de la commune, plus chers mais plus bas et moins délabrés, ou vers le parc privé.

Sylvie Marchais et Manuel Bettencourt, deux présidents très impliqués des amicales de locataires.

Sylvie Marchais et Manuel Bettencourt, deux présidents très impliqués des amicales de locataires.

 

« C’est vrai qu’il y des incivilités dans le quartier de la Rabaterie, quelques jeunes qui traînent », admet Sylvie Marchais, dynamique  présidente de l’amicale des locataires de la Boulangerie – un ensemble bas et peuplé « d’anciens », proche de la gare. « Mais rien à voir avec sa réputation », assure-t-elle : « Pendant les émeutes des banlieues en 2005, une seule voiture brûlée à la Rabaterie. »

Manuel, lui, préfère parler des fêtes organisées entre voisins, des coups de mains. La maire Marie-France Beaufils de « réhabilitation » et de « mixité ».

Le quartier est en Zone urbaine sensible. Plus de plafonnement des revenus, donc, pour accéder à ces logements à bas prix. « Il y a des étudiants, des jeunes couples », assure la maire. Pour encourager l’installation de foyers plus aisés, condition de la mixité sociale, un vaste programme de réhabilitation est engagé, qui a commencé par la construction de deux immeubles et quatre maisons individuelles signé d’un grand architecte (Paul Chemetov) et se terminera par l’installation de 10 potagers après réfection complète des tours… La volonté est là, la réalité peine à suivre.

Le bel immeuble flambant neuf, offrant grands espaces et lumière à des prix défiant toute concurrence dans l’agglomération tourangelle peine à se remplir – la réputation du quartier et quelques malfaçons sont tenues responsables – ; les locataires des tours, « mal informés » des travaux prévus selon Manuel Bettencourt, renaclent, notamment sur la hausse de 10% des loyers. « Et puis 10 potagers, pour 80 appartements, ça a du sens ? » s’interroge Manuel .

A une heure de Paris en TGV, Saint-Pierre-des-Corps devient aussi le fief d'une population plus aisée, a cheval entre Paris et la province.

A une heure de Paris en TGV, Saint-Pierre-des-Corps devient aussi le fief d’une population plus aisée, a cheval entre Paris et la province.

Ni les rénovations, ni l’accès à la propriété, les différents paliers de ressources ou la construction de petits ensembles et de maisons individulles disséminés dans la ville ne résoudront « les problèmes de pouvoir d’achat, de chômage, des salariés précaires », admet Marie-France Beaufils. L’élue espère juste que l’arrivée de nouveaux locataires fera revenir les grandes enseignes, parties ailleurs « chercher des paniers plus importants ». « Si la population se rajeunit et se diversifie, cela fera une nouvelle attraction pour les commerçants », augure l’élue. Mais pour rien au monde elle ne remettrait en cause ce qui a construit l’identité de la commune ouvrière.

Alors que les « navetteurs » parisiens mettent la pression sur le foncier, notamment aux alentours de la gare, Marie-France Beaufils s’accroche sans hésitation « au taux de 40% » d’habitat social » : « on ira pas au delà, pas en deçà non plus », assure-t-elle. Une garantie du « brassage des populations ».

La promesse

Proposition 22 "Je veux faire plus de logements"
Proposition 22 « Je veux faire plus de logements »

 

L’action

A peine installée au ministère du Logement, la ministre écologiste Cécile Duflot a réaffirmé, le 22 mai 2012, l’engagement de François Hollande de relever le taux minimum de logements sociaux de 20% à 25% dans les villes de plus de 3.500 habitants (1.500 en Île-de-France), et de multiplier par cinq les pénalités pour les communes récalcitrantes. Après un coup d’arrêt lié à des problèmes de procédures, la loi Duflot sur le logement social a été adoptée le 27 novembre à l’Assemblée nationale et par le Sénat le 18 décembre.

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