Des jeunes médecins attachés à leur liberté



En France métropolitaine, certaines parties du territoire souffrent d’un manque de médecins. Dans les années à venir, cette démographie médicale verra ses déséquilibres se marquer encore plus selon les installations(ou non) de nouveaux praticiens. Dans les cinq ans, de nombreux médecins, dont certains sont des médecins de campagne « à l’ancienne » prendront leur retraite. Parfois sans remplaçant.

Nous sommes allés à la rencontre d’étudiants en médecine, au cursus plus ou moins avancé, désireux de s’installer dans un  » désert médical « . Trois d’entre eux, Lena, Rachelle et Charlotte nous expliquent pourquoi.

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  » J’ai choisi de faire médecine générale et je l’ai choisi à une seule condition : m’installer en milieu rural. C’est obligatoire « . Lena a 24 ans. Elle est en 6e année de médecine à la faculté de Tours et passera en fin d’année scolaire l’ECN (épreuves nationales classantes) qui détermine, selon son classement, la suite de son parcours. Mieux l’étudiant est classé et plus il peut choisir sa spécialité et le lieu où il l’apprendra.

Mais son choix est déjà fait.  » Je souhaite faire mon internat à Tours mais je ne sais pas encore si je m’installerai dans la campagne de la région Centre ou d’une autre région. Ce n’est pas encore déterminé.  »

Entre la première étude d’année en médecine – souvent redoublée tant le concours est sélectif – et l’obtention du diplôme, de nombreuses années passent. Des années durant lesquelles chaque futur médecin murit, construit une partie de sa vie sociale et sentimentale et affine surtout son choix de carrière.  » Pour moi, ça n’a pas été une vocation, reprend Léna. C’est venu petit à petit, au fil des stages. Pendant ma quatrième année, j’ai eu la chance de faire un stage chez un médecin généraliste, en campagne et c’est là que je me suis dit que les années d’études qu’il me restait à faire, je voulais les passer là dedans « . La médecine générale et l’installation en milieu rural.

Pour d’autres, le choix est plus précoce.  » J’ai envie de m’installer en campagne, explique Charlotte, 20 ans, en troisième année, également à la faculté de Tours. J’ai toujours vécu à la campagne, c’est un milieu que je connais bien et ça ne m’intéresse pas d’aller en ville. C’est un choix personnel, sans raison particulière mais c’est un contexte, j’aime bien la campagne, la façon dont les gens sont, où les rapports sont souvent plus privilégiés.  »

 

(Conseil national de l'ordre des médecins 2012, G.Le Breton-Lerouvillois, 2012)

(Conseil national de l’ordre des médecins 2012, G.Le Breton-Lerouvillois, 2012)

Elle a fait le choix de la faculté de Tours, par commodité. Pas forcément par vocation. « A 18 ans, je ne savais pas ce que j’allais faire de ma vie « . Mais elle sait qu’à la fin de son parcours, 10 ans après l’avoir commencé, elle voudra avoir le choix de son installation, dans la spécialité qu’elle aura pu choisir après l’ECN.  » Quand on aura fini nos études, on aura tous entre 28 et 30 ans, voire plus. C’est compliqué de se dire : on va être obligés de s’installer là ou là. A 30 ans, on a envie d’être un peu libre. Rajouter des contraintes en plus, ça commence à faire beaucoup d’autant plus que les études sont déjà suffisamment longues. Mais ce qui est pire, c’est de changer les règles en cours de route. Quand on est rentrées en médecine, on entendait bien sûr parler des déserts médicaux mais les nouveaux projets de loi, dont on est pas toujours au courant, risquent de changer la règle du jeu en cours de route et on risque de se retrouver coincés au final.  »

Charlotte veut conserver une liberté de choix totale, pour décider, une fois son chemin d’étudiante terminé la meilleure solution pour concilier de la meilleure manière son métier et sa vie personnelle.  » J’ai choisi ce métier car je voulais une relation sociale avec les gens et c’est ce qui me touchait le plus.  » C’est pour ça qu’elle n’a pas signé de CESP, le contrat qui lie financièrement la Région et l’étudiant qu’elle aide financièrement. Trop d’incertitudes pour Charlotte qui a peur, en plus des classements de l’ECN en parallèle, de ne plus avoir assez de choix avec ce contrat imposé et qu’au final elle ne puisse choisir une spécialité qui lui convienne.

Elle estime que ce qui décourage principalement les jeunes médecins à s’installer à la campagne, c’est leur méconnaissance de la chose.  » Je me suis rendu compte que les étudiants de mon âge ne connaissaient pas la campagne. Pour beaucoup, les ruraux sont encore des gens qui habitent à la ferme, au milieu d’un champ et qu’il n’y a rien autour.  » Dans sa promotion, une liste d’avantages et d’inconvénients a été élaborée par les étudiants… et les colonnes étaient très déséquilibrées.

D’autres pourtant l’ont signé ce CESP. Rachelle, 22 ans, également en troisième année.  » Au début, je n’avais pas du tout choisi la région où je souhaitais m’installer, je savais juste que je voulais aller en zone rurale. Après, il se trouve que financièrement c’était difficile pour moi de poursuivre mes études, et je me suis donc tournée vers ce que proposait l’ARS : le CESP (contrat d’engagement de service public). Ce contrat tombait bien mais il m’oblige à m’installer à la fin des études en région Centre. Le choix au final n’est pas infini mais on doit quand pouvoir avoir le choix de la zone où s’installer.  »

Mais pour Rachelle, le choix était fait avant cet événtuel contrat. « Je fais médecine non seulement parce que j’aime ce métier mais aussi parce qu’il représente pour moi 40 % de sciences et d’études et 60 % de social. C’est comme un devoir civique pour moi. Je vois qu’il y a un manque de médecins en milieu rural et je me dis qu’on doit y aller. Cela fait très longtemps que j’ai fait ce choix.  » 

 

Les départements français potentiellement en danger de manque de médecins libéraux

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Aucune des trois n’imagine qu’on puisse contraindre de jeunes médecins à s’installer quelque part à la fin de leurs études après tant de sacrifices. « Rares sont ceux qui savent ce qu’ils veulent faire à la fin de leurs études, poursuit Rachelle. Nous n’avons pas fait la moitié de notre parcours, nous n’avons fait que quelques stages, moi en réanimation et en anesthésie… donc on ne peut pas vraiment décider.  »

« Je suis totalement contre le fait qu’on oblige les médecins à s’installer quelque part. Outre la question de la motivation, cela remet en cause tous les choix personnels de projet de vie. Je trouve les études suffisamment longues pour qu’on nous impose quelque chose. Moi, une carrière universitaire, ça ne m’intéresse pas mais certains en rêvent et en ont envie. Comment leur dire, pendant cinq ans vous allez dans une zone déserte et puis vous reviendrez en ville faire la formation que vous voulez ?  »

Lena martèle :  » Je veux avoir le choix toujours. Il était hors de question de me restreindre. Je pense qu’on a déjà assez de restrictions comme ça avec le travail qu’il ne faut pas nous en mettre une autre. Pour moi, l’épanouissement passe par la liberté. En revanche, il faudrait peut être que les étudiants en médecine fassent plus de stages en médecine générale et notamment en rural car je pense que beaucoup n’ont pas la moindre idée de ce qu’il s’y passe et qu’ils en ont peur.  »

Au cours des trois années à venir, elle va murir son projet, peut-être croiser lors de remplacements des médecins dont elle aura envie de prendre la suite. Elle parle aussi beaucoup avec une future consoeur, avec qui elle pourrait s’installer en duo quelque part, en zone rurale. « Je veux m’installer avec des collègues médecins, infirmiers… mais pas forcément dans une maison médicale. On n’a pas besoin d’être quinze dans une structure pour que ça fonctionne mais il faut créer un réseau local.  »

Rachelle va dans le même sens. « J’aimerais connaître plus de personnes ayant décidé de s’installer en milieu rural. Cela faciliterait les choses.  »

Enfin, il y a une part d’indicible sur laquelle peut-être aucune incitation ou obligation ne peut jouer.  » Il va falloir que notre génération soit plus courageuse, souligne Lena, et qu’on s’installe là où le besoin est, et pas où on croit que la vie est plus belle… Même si moi, je pense que la vie est belle en campagne.  »

 

La promesse

Engagement 16

L’action

La ministre de la Santé et des Affaires sociales, Marisol Touraine, a présenté un  » Pacte territoire-santé » avançant 12 engagements autour de trois objectifs.

Pacte Territoire Sante – 12 Engagements – Pwp by Olivier Pirot

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