Noirs, arabes ou barbus : « Vos papiers ! »



Dans certains quartiers, le contrôle d’identité fait partie du quotidien. Des associations le dénoncent. Principalement visés, les jeunes à la peau noire ou basanée se font parfois contrôler plusieurs fois par jour, sur fond de menaces et d’insultes de la part des policiers.

Conformément aux promesses de François Hollande, gouvernement et associations s’entendent pour lutter contre le « contrôle au faciès ». Mais s’accorder sur les solutions est une autre histoire…

Les enfants n’échappent pas aux contrôles. (Photo Stop le contrôle au faciès)

« Je sortais d’un bureau de tabac devant la gare quand deux policiers m’ont arrêté et m’ont fouillé en public« . Il était 14h, cet après-midi de juillet, quand Bilal* a subi son premier contrôle d’identité. « Ils ont enfilé des gants et ont mis les mains dans mes poches » pour chercher des stupéfiants, raconte ce Congolais de 43 ans, qui réside au Sanitas, un quartier sensible de Tours.

Depuis, Bilal a subi deux autres contrôles. A chaque fois au centre-ville, en plein après-midi. Son allure soignée – petit pull bleu et casquette-bérêt sur la tête – n’en fait pourtant pas un voyou. « Ma couleur de peau y est sûrement pour beaucoup« , assure-t-il.

Comme lui, de nombreux hommes noirs et arabes subissent des contrôles d’identité à répétition. Parfois plusieurs fois par jour. Dans un rapport publié le 26 janvier 2012, l’ONG Human Rights Watch rapportait que « la police française utilise certains pouvoirs trop étendus » pour effectuer des contrôles en se fondant sur « la race et l’apparence ethnique, plutôt que sur le comportement réel des personnes ». Un noir ou un arabe a en moyenne sept fois plus de chances de se faire contrôler qu’un blanc, d’après une étude du CNRS datant de 2009.

Ainsi Julie*, jeune Tourangelle à la peau pâle, n’avait jamais attiré la police avant cet été. Alors qu’elle roulait avec « deux jeunes noirs du Sanitas », une voiture de police « a fait demi-tour ». Elle n’avait commis aucune infraction, ce qui n’a pas empêché trois agents de la BAC de fouiller son véhicule et son sac à main. « Ils ont plaqué les garçons contre la voiture et les ont fouillé », rapporte la trentenaire. « Ils avaient la tête de l’emploi, et comme j’étais avec eux, je ne devais pas être quelqu’un de bien ».

 

Gérald Bouvet, Léna Legendre et Munia Ewanjé Epée Boggio, du collectif D’ailleurs nous sommes d’ici 37, réclament la mise en place du récépissé.

 Le défenseur des droits, Dominique Baudis, a bien avancé quelques solutions dans son dernier rapport. Il prône notamment un retour au matricule, disparu de l’uniforme des policiers depuis 1984. Une option largement approuvée par le ministre de l’Intérieur, mais décriée par le collectif Stop le contrôle au faciès.

On ne lutte pas pour la politesse ou pour un numéro sur un uniforme !

« Le matricule pointe des dérives individuelles, alors que le récépissé remet à plat tout un système », avance Sihame Assbague, sa porte parole. Voilà le cheval de bataille des militants : un reçu, dont une partie serait remise à la personne contrôlée. Il comprendrait la date, l’heure, le lieu, le motif du contrôle ainsi qu’un léger compte-rendu. « Le citoyen aurait une preuve à présenter » en cas d’abus, assure-t-elle, « on ne lutte pas pour la politesse ou pour un numéro sur un uniforme ! »

 Au delà des discriminations raciales, Stop le contrôle au faciès lutte contre l’impunité dont jouissent certains membres des forces de l’ordre. Très peu de contrôles abusifs débouchent sur une plainte, car il n’existe aucun recours. Le refus d’obtempérer, le fait de poser trop de questions, ou tenter de protester peuvent déboucher sur des inculpations pour « outrage à agent ».  « A partir du moment où tu réagis, tu as tort. La police a toujours raison », résume Bilal.

Human Rights Watch dénonce même des propos insultants et un usage excessif de la force. Stop le contrôle au faciès reçoit entre cinq et dix plaintes par jour, grâce au numéro spécial mis en place pour les victimes. « Dans un cas sur trois, ça dégénère avec des violences verbales ou physiques« , assure Sihame Assbague.

Pour la première fois en France, le collectif a engagé en juin une procédure collective en justice contre l’Etat. L’un des plaignants, Bocar Niane, raconte comment il a été menacé et palpé en public. Ce collaborateur d’élu de 33 ans, vivant à Saint-Ouen en Seine-Saint-Denis, se rendait au travail en novembre 2011. « Un agent de police arrive et me prend par le bras », se souvient-il. « Il m’écrase contre un mur et m’écarte les jambes » avant de « me menacer à coup de taser« .

Quand je vois un policier, j’ai tendance à changer de trottoir.

« On se demande vraiment ce qui se passe. Vous ne comprenez jamais pourquoi vous êtes contrôlé », dit-il.  Les policiers « ont l’art de te mettre hors de toi », acquiesce Bilal. « Il y a une ambiance bizarre, ils te mettent la pression, ils sont agressifs ». Alex*, lui, a l’habitude. A 40 ans, cet habitant du Sanitas, originaire des Antilles, se fait contrôler plusieurs fois par mois. « Maintenant je sors ma carte d’identité dès que je vois un policier », confie-t-il. Mais à chaque fois, « c’est une sorte de viol » qui « donne la rage ».

Cette colère refoulée contribue au fossé qui se creuse entre la population et la police, et peut avoir des conséquences explosives. Human rights watch y voit même une cause des émeutes dont les cités françaises a été le théâtre en 2005. « Maintenant quand je vois la police, je suis méfiant et j’ai tendance à changer de trottoir« , témoigne Bilal.

Alex est persuadé que les feux de voiture réguliers dans son quartier sont « une réaction au racisme ». Au delà des contrôles d’identité, il tient à dénoncer une attitude générale des forces de l’ordre. « Les policiers traitent de singes des gamins de douze ans », rapporte-t-il. Et au moindre incident, « ils envoient direct les CRS ». Pour l’apaisement, il faudra encore attendre.

 

La promesse

 

Les déclarations de campagne

« Le contrôle au faciès est une discrimination de la vie quotidienne, une injustice que je n’accepte pas. Je veux y mettre un terme car chaque citoyen mérite la même considération, le même respect », déclarait le candidat Hollande aux médias en avril 2012.

 

L’action

Jean-Marc Ayrault a annoncé en juin la mise en place d’un récépissé à remplir par les forces de l’ordre lors de chaque contrôle d’identité, une mesure réclamée par les associations. Le Premier ministre promettait l’adoption rapide d’une loi pour entériner le dispositif.

C’était sans compter sur les velléités du ministre de l’Intérieur. Le 18 janvier, Manuel Valls a purement et simplement enterré le récépissé, auquel étaient opposés les syndicats de police. Il propose le retour d’un numéro d’identification sur l’uniforme des policiers, qui pourraient ainsi être clairement identifiés.

Un nouveau code de déontologie a également été rédigé, et sera rendu public en avril. Il proscrit le tutoiement lors des contrôles d’identité et réglemente pour la première fois les palpations, qui devront être pratiquées à l’abri des regards et uniquement en cas de menace pour la sécurité des policiers.

  • Facebook
  • Twitter
  • Delicious
  • LinkedIn
  • StumbleUpon
  • Add to favorites
  • Email
  • RSS
Cette entrée a été publiée dans Vie en société, avec comme mot(s)-clef(s) , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , . Vous pouvez la mettre en favoris avec ce permalien.

Une réponse à Noirs, arabes ou barbus : « Vos papiers ! »

  1. Ping : Matricule : « les policiers sont déjà assez surveillés » | Hollande, ses promesses et moi

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>