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Rentrée littéraire hiver 2022

MONUMENT NATI

 

Julia Deck fait partie des auteur(e)s que je suis depuis plusieurs années. Avec jubilation. J’aime son ton, ses univers toujours renouvelés et son regard sur notre société… et ses travers.

Une auteure que Quatrième de couv a parlé icimais aussi là et encore ici

Une histoire rocambolesque, des personnages truculents, c’est encore le cas avec Monument national, qui met un peu de soleil et de sourires dans cette rentrée littéraire d’hiver.

La quadragénaire, secrétaire de rédaction pour de nombreux journaux et magazines, enseigne également les techniques rédactionnelles en école de journalisme. Monument national est son cinquième roman.

L’histoire ? C’est celle d’une famille pas tout à fait comme les autres. Il y a le père, Serge Langlois. A l’aube de ses 70 ans, c’est lui le « monument national « . Comédien, acteur, il est le combo parfait entre Belmondo, Delon et Johnny Hallyday. Une star dont la vie est scrutée, étalée sur papier glacé. Pour l’y aider, Ambre, sa femme de 35 ans sa cadette qui raconte la vie de la tribu sur Instagram. Histoire de donner envie. Ambre, donc. Qui a changé son prénom, qui était copine de lycée avec Virginia, la première fille de Serge Langlois. Virginia, comédienne devenue chanteuse vit désormais aux Etats-Unis, mais suit de près ce qui agite la vie de son père.

Ambre, qui ne pouvait pas avoir d’enfant, a adopté une enfant en Asie centrale. Elle vit dans un château à Rambouillet cherche des idées pour fêter dignement le 70e anniversaire de son mari. A l’Elysée ? A l’Elysée. A moins que des ennuis, conséquents, bouleversent tous les plans. Et mettent la famille au bord de la ruine…

Les ennuis s’incarnent, entre autres, en la personne de Cendrine Barou. Elle, c’était une caissière du 93 qui deviendra la nounou de Joséphine, la narratrice de ce roman du haut de ses 7 ans. Cendrine s’installe au château avec son fils hyperactif et mal-élevé, MarvinCendrine et son passé, Cendrine et sa nouvelle identité…

Chez les Langlois, le personnel de maison est pléthorique : il y a Raph, le chauffeur ; Madame Eva, l’intendante ; Hélène la cuisinière et son mari, Julien, le jardinier, mais aussi Abdul, le coach sportif.

Et quand le « monument national » meurt brutalement, tout s’emballe. La satire vire au roman policier.

Au fil des pages, une galerie de portraits, des situations cocasses qui en disent long sur le lutte des classes aujourd’hui, entre Gilets jaunes, et storytelling présidentiel…

Un bon moment de lecture autour de la fin rocambolesque et pathétique d’un clan.

Extraits

 Pages 39-40 : « Ambre s’était résolue à adopter de petits Éthiopiens. À l’école primaire, elle avait braillé à tue-tête une chanson exprimant combien ils souffraient dans leur contrée abstraite, loin du coeur et loin des yeux. Pour manifester son bon vouloir, elle se promena dans les orphelinats du monde, auxquels elle fit des dons substantiels. Mais elle alla de déconvenue en déconvenue quand,  promue ambassadrice de l’Unicef grâce à ses bonnes oeuvres, elle découvrit que ce titre ne suffisait pas toujours pour se procurer les enfants qu’on voulait. Il fallait composer avec les réglementations locales, des différends plus ou moins nébuleux entre les pays. Puis, quand on avait contourné ces obstacles, on pouvait enfin parler du prix. Car ces transactions n’allaient pas sans occasionner de multiples frais. Il fallait sans cesse rassurer les autorités sur sa capacité à pourvoir aux besoins, supposés exorbitants, des petits qu’on vous cédait. Ces manoeuvres usèrent sa patience. Elle finit par se rabattre sur mon frère et moi, nés en plein coeur de l’Asie centrale. D’une pierre trois coups, elle devint mère, affirma sa position d’épouse entièrement dévouée à sa famille et à la paix dans le monde, et s’assura la matière d’un compte Instagram bien nourri. »

Pages 58-59 :  » Les familles avoisinantes habitaient leurs terres depuis des siècles. Leurs ancêtres avaient bâti les manoirs qui abritaient aujourd’hui leur progéniture, formidablement nombreuse et pointilleusement éduquée. Et si le confort de notre château n’avait rien à envier à leurs noires murailles, une chose impossible à nommer nous faisait défaut.
Sans le moins du monde relever nos manquements, les familles alentour nous tournaient le dos. Nous savions pourtant ce qu’on pensait de nous. Nos voisins jugeaient que notre fortune était bien trop jeune, et que la gloire de Serge ne compensait en
rien notre déficit au regard de certaines lois immémoriales.
Seul le déclin de tout ce qui fondait leur droit avait pu imposer notre présence sur leur territoire. Et il suffisait de nous avoir croisés  une fois pour comprendre que jamais nous n’acquerrions la légitimité inscrite, par l’accumulation des siècles, dans l’humus de leurs terres et le sang de leurs veines. »

Page 171 : « Comme les avoirs de Cendrine étaient gelés pendant la bataille juridique, elle se terrait dans sa chambre en attendant de toucher son magot. Ambre n’était pas le genre de personne à fomenter un meurtre. Mais un coup de nerf, un instrument contondant sont si vite arrivés. Cendrine s’enfermait donc à double tour et se faisait porter sa nourriture par notre chauffeur. Ralph n’avait jamais manifesté beaucoup d’intérêt à son égard. On s’interrogea sur cette attitude secourable. Puis Madame Éva conjectura que Cendrine avait sans doute sur lui « un dossier ». C’était l’explication la plus plausible, et personne ne s’étonna plus de le voir monter des plateaux de chips et d’Oreo – car, fidèle à ses passions sinon à tout le reste, Cendrine avait puissamment résisté aux raffinements de nos moeurs. »

Monument national, de Julia Deck, Editions de Minuit, 17€.

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