Vote des étrangers : « On a pas de parole, on est des figurants »



Marie-Florence Mvago se remaquille avant chaque photo. Elle sourit peu, et ne minaude pas quand on lui demande son âge : 47 ans, dont 19 de France, le reste au Cameroun. Tout en froufrous de rose et de violet, elle sirote son chocolat liégeois en écoutant attentivement le Pierre Nzinda, le président de SOS Racisme en Touraine, plaider pour le droit de vote des étrangers aux élections locales. La promesse 50 de François Hollande, mise au placard jusqu’ici (lire ci-dessous). Eddy Abossolo, son café avalé, écoute lui aussi. Cinq ans qu’il a quitté le Cameroun pour la France, sans regret.

 

Tourangeaux et Camerounais, le droit de vote aux élections locales est pour eux un vecteur d'intégration.

Tourangeaux et Camerounais, le droit de vote aux élections locales est pour eux un vecteur d’intégration.

Quand ils prennent la parole à leur tour, ils lui font écho. Ils parlent intégration, échange, tolérance, démocratie, égalité. Ils parlent de la ville, de ses habitants, de son maire. Ils parlent exclusion et racisme.

Avec une économie de phrase, Marie-Florence Mvago dit le silence auquel elle se sent tenue depuis son arrivée en France, il y a 19 ans, et son installation à Tours, sept ans plus tôt : pas de droit de vote au pays de la démocratie. « On paie notre taxe d’habitation, nos impôts, on cotise, et on ne nous demande jamais notre avis », résume-t-elle spontanément.

« On n’a pas de parole, on est juste des figurants », ajoute Eddy Abossolo en regardant, à travers la vitre du bar, les passants chargés de courses croiser à grands pas sur les trottoirs de l’avenue. L’exclusion, il la ressent « dans le monde du travail », presque chaque jour – il est intérimaire ; « ça se ressent aussi dans la rue », affirme-t-il. Obtenir le droit de vote dans la ville où il réside lui « donnerait l’impression d’être considéré, de la force ». « La possibilité de se sentir comme tout le monde, sur un pied d’égalité », ajoute celui qui a rêvé, devant sa télé, au Cameroun, de la devise de son pays d’accueil : »Liberté, égalité, fraternité ». La réalité n’est pas toujours aussi solennelle.

Pierre Nzinda, président de SOS Racisme 37.

Pierre Nzinda, président de SOS Racisme 37.

L’égalité, « nous ne l’avons même pas avec les Européens : eux peuvent voter aux élections locales, pourquoi pas les Africains ?« , questionne le président de SOS Racisme, rhétorique. De sa base tourangelle, il a suivi pas à pas la campagne présidentielle, ce candidat de gauche qui « donnait un nouvel espoir » en remettant sur le tapis une proposition que les socialistes n’ont eu de cesse d’enterrer depuis 1981. Et ces candidats, de droite pour la plupart, qui faisait trembler les foules en agitant le chiffon du communautarisme. « C’est au contraire en ne donnant aucune possibilité aux étrangers de s’exprimer comme les autres que ça risque de créer du communautarisme : une minorité qui se sent exclue a tendance à se replier sur elle-même », avance-t-il.

Les 77 députés socialistes qui ont publié une tribune dans Le Monde le 9 septembre 2012 pour presser François Hollande de mettre en oeuvre au plus vite son 50e engagement, ne disent pas autre chose :

« A celles et ceux qui nous disent que nous voulons favoriser le communautarisme par cette mesure, nous répondons que c’est au contraire l’inégalité de traitement entre l’élu et ses administrés qui favorise une organisation communautarisée de la société. »

Marie-Florence, elle, voudrait simplement être écoutée, pouvoir participer. Et de parler de Tours, « sa » ville, avec enthousiasme :  » Il y a sept ans quand je suis arrivée, ce n’était pas développé comme aujourd’hui. Il y a le tramway qui arrive, les logements sociaux qui poussent comme des champignons, les rues qui sont refaites… J’aimerais pouvoir encourager le maire à la prochaine élection », s’enthousiasme-t-elle, militante.

Marie-Florence Mvago, Camerounaise vivant de puis 19 ans en France, dont septà Tours.

Marie-Florence Mvago, Camerounaise vivant de puis 19 ans en France, dont sept à Tours.

« Avoir une voix à donner, c’est la seule manière d’être écoutés, d’être considérés comme des partenaires », ajoute Eddy, qui caresse le rêve de voter un jour « pour de vrai » : « au Cameroun, les élections ça ne veut rien dire, on vote pour rien, tout est déjà joué avant », précise-t-il.

Imprégné de culture française, « celle de la vie active, de la vie sociale, de la vie de tous les jours », précise-t-il, à l’aise dans son jogging blanc, il en apprécie « les droits, les aides », et voudrait aussi en avoir les « devoirs » : « Participer à la vie locale, on attend que ça ».

Eddye Abossolo, Camerounais installé depuis cinq ans à Tours.

Eddye Abossolo, Camerounais installé depuis cinq ans à Tours.

Pierre Nzinda prend le relais, avec son discours rôdé de militant associatif, et un débit rapide : « Vous avez des gens qui habitent dans une ville depuis des années, qui cotisent, et qui voient les projets avancer sans eux, sans qu’on les consulte, alors que cette ville, ils la pratiquent tous les jours ».  Année après année, « on voit les autres aller voter, et ça me rappelle que je ne suis pas chez moi« , rebondit Marie-Florence Mvago. Maintenant que j’ai perdu tout mes droits au Cameroun, j’ai l’impression de n’être citoyenne de nul part. »

« Donner le droit de vote dans leur ville aux résidents étrangers facilitera l’intégration », assure Pierre Nzinda. « Ca ne peut que renforcer le sentiment d’appartenance, de destin commun. » « On se sentira dans notre siècle », résume à sa façon Eddy Abossolo. Comme ses deux compatriotes tourangeaux, comme 1,8 millions d’immigrés non communautaires installés en France depuis plus de cinq ans, il espère que François Hollande tiendra sa promesse. « Il y beaucoup de choses urgentes, la crise, l’emploi, la guerre… Mais l’intégration, ce n’est pas important ? », plaide une dernière fois le président de SOS Racisme. Eddy est convaincu que cette loi fera aussi reculer le racisme : « si je peux voter, j’existe, je peux être considéré par les élus. Le reste suivra. »

 

La promesse

 

50

 

L’action

Trois décennies que la gauche promet, trois décennies qu’elle laisse traîner. En 1981, « le droit de vote aux élections municipales après cinq ans de présence sur le territoire français » était la proposition 80 du candidat, devenu président, François Mitterrand. En 2000, suite à la victoire de la gauche aux législatives de 1997,  un texte est adopté par l’Assemblée nationale… Qui n’arrivera jamais au Sénat. En 2011, c’est l’inverse : détentrice de la majorité au Sénat, la gauche tente de représenter le texte… retoqué en première lecture à l’Assemblée, dominée par la droite. En 2012, le candidat Hollande reprend la promesse à son compte. L’ouverture aux étrangers non communautaires (les ressortissants de l’UE y ont accès depuis 1998) résidents en France depuis 5 ans du vote aux élections locales est attendue par ses partisans avant les municipales de 2014. Trop « compliqué », selon la porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, le 23 octobre dernier.

Sur les 27 pays membres de l’Union européenne, 15 ont accordé le droit de vote aux étrangers aux élections locales.

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Une réponse à Vote des étrangers : « On a pas de parole, on est des figurants »

  1. Je crois que cette fois la gauche pourrai donner espoir à la minorité afin de leur améliorer leur situation et donner une nouvelle vue pour accordé le droit de vote aux étrangers aux élections locales et ne pas oublier leur droits.

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