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COURAGE OKOK

 

Hugo Boris, je l’avais découvert avec POLICE,  formidable roman sorti en 2016 qui, le temps d’une nuit, nous entraînait dans une voiture de police le temps d’un transfert. Un roman pêchu et terriblement contemporain qui a fait l’objet d’une adaptation pour le cinéma.

Le film d’Anne Fontaine avec Omar SyVirginie Effira et Grégory Gadebois devait sortir sur les écrans le 1er avril. Le confinement en a décidé autrement.

Ici, découvrez la bande-annonce du film qui sortira finalement en septembre :

Cette fois, pas de récit ou de roman. Mais un patchwork de morceaux glanés, de saynètes vues et retranscrite sur des bouts de papier par l’auteur et déposés dans une pochette.

Pendant quinze ans, l’auteur a noté, observé, raconté ce qu’il a vu dans le métro, dans le RER. Il y raconte ses lâchetés, les nôtres aussi. Et aussi les petits actes héroïques.

 

 

Alors  qu’il venait d’obtenir sa ceinture noire de karaté, Hugo Boris était resté interdit pendant une altercation dans les transports en commun. Et s’était contenté de tirer la sonnette d’alarme. Ce manque de courage l’a obsédé  alors il a commencé à observer. Pendant quinze ans.

Des notes, prises sur le vif, qu’il a oubliées dans une pochette, jusqu’au jour où il a ouvert ce qu’il appelle son « herbier ». Dedans, des morceaux de violence réelle ou supputée. Avec ceux qui la portent et/ou la subissent. Salutaire.

Dans un article qui remonte un peu de Slate, la journaliste Fanny Arlandis s’était intéressée à cette réaction du groupe quand il y a une agression à laquelle tous ses membres assistent cependant. Elle explique qu’en décembre 2013,  » deux étudiants américains ont mené l’expérience. Sur le campus d’une université, ils ont filmé les réactions des passants à la simulation d’une agression. Certains interviennent, un autre filme pour enregistrer la violence. Mais beaucoup ne bougent pas, ou s’écartent. Les deux étudiants arrêtent alors la fausse agression et demandent aux passants d’expliquer leur comportement. «Je suis désolé, dit l’un, je ne pense pas que ce soit mes affaires, je ne veux pas avoir de problèmes». »

Il y a donc la peur, premier frein à l’intervention. Mais il y a aussi un phénomène de déresponsabilisation dès qu’il s’agit de l’espace public. La responsabilité est facilement reportée sur les autres: chacun pense que quelqu’un va intervenir. La culpabilité n’en est que plus facilement partagée.

Et comme tout le monde compte sur les autres, personne n’intervient. CQFD.

Deux psychologues américains en ont même tiré une théorie à partir de l’histoire, tragique, de cette jeune new-yorkaise agressée, violée et poignardée en pleine rue, devant trente-huit témoins, une nuit en 1964.  On parle de « l’effet du passant «  selon lequel plus il y a de témoins, moins on intervient.

Pas de situations aussi dramatiques dans les « petits papiers  » de l’auteur, mais des situations qui, avec le recul, l’amène à réfléchir à ce qu’il a fait… et ce qu’il aurait dû faire. Et on peut, évidemment, se mettre à sa place. Et comme lui, rendre hommage à ceux qui n’ont pas peur. 

 Extraits

Page 29 : « […] Je ne parviens pas à réconcilier les informations entre elles, la sensation de piqûre, l’alerte de Mathilde, les silhouettes qui sont passées derrière moi, retard dont j’use avec profit pour décider que cela n’a pas de sens d’aller leur demander des comptes. Je ne cours pas après eux, ne veux pas être mêlé à l’événement. J’extrapole en une seconde le passé et le futur de mon agresseur, toutes les violences psychologiques et physiques qu’il faut avoir subies soi-même pour atteindre un niveau d’empathie aussi bas, le potentiel de cruauté dont on est capable quand on en est à jeter son mégot allumé dans le cou d’un inconnu. Je me réfugie dans la sagesse et la pitié. Je le plains. « 

Page 67 : « Les passagers autour de moi n’ont peut-être pas vu que ces types disséminés dans le wagon se connaissent. Il me semble que je suis le seul à discerner le danger, alarmé comme un animal de guet. J’ai la prémonition de l’agression imminente. J’en ai détecté tous les microsignaux, les ai réunis pour leur donner un sens. Je vois l’embrouille venir avec une avec une certitude absolue alors qu’il ne se passe encore rien. Je l’anticipe sans la moindre hésitation, avec la prescience du marin qui aurait développé une connaissance de la mer quasi divinatoire et annoncerait le coup de chien sous le ciel bleu. Mais au lieu de me donner un peu d’assurance, ce coup d’avance me tétanise. Je baisse les yeux pour devenir invisible. »

Page 69 : […] Le RER, lui, est reparti. Le silence qui se reforme me trouve à l’extérieur de la gare, dans une ville et un quartier inconnus. Comment vous dire ? Quelqu’un comme moi, en temps de guerre, ne pourrait pas survivre. 

Je fais le pied de grue quelques secondes pour me donner une contenance alors que je suis le seul spectateur de cette tragi-comédie, puis je reviens sur mes pas, achète un nouveau titre de transport à l’automate, tape mon code de carte bancaire en vérifiant qu’il n’y a personne dans mon dos, regagne le quai. Ma peur ne se rend toujours pas et je patiente à proximité de trois ouvriers russes, qui attendent comme moi le prochain RER, pour me placer symboliquement sous leur protection. » 

 « Le courage des autres », Hugo Boris, Grasset, 17€

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