Flux pour
Articles
Commentaires

Rentrée littéraire

C’est la rentrée ! Cette année encore, celle des livres et de leurs auteurs précède de quelques semaines celle des écoliers. L’occasion de retrouver, avec plaisir et impatience, les nouvelles oeuvres d’auteurs déjà confirmés, de découvrir celles de nouveaux écrivains en devenir. Bref, un moment particulier.

Quoi de neuf, alors ? 589 nouveaux romans sont annoncés entre le 19 août et la fin du mois d’octobre. Soir une légère baisse par rapport à l’an dernier. Parmi cette nouvelle moisson, on compte 393 romans français parmi lesquels 68 premiers romans.  Des heures de lecture et de jolies découvertes en perspective.

CHALANDONParmi les pépites de cette rentrée, « Profession du père » de Sorj Chalandon. Un auteur particulièrement apprécié par Quatrième de couv, en témoignent les deux posts écrits pour ces deux précédents romans « Retour à Killybegs » et « Le quatrième mur ».

Sorj Chalandon est né le 16 mai 1952. En 1973, il entre à Libération. Dessinateur, puis monteur de page, il devient grand reporter puis rédacteur en chef du quotidien, qu’il quitte en 2007, dans le sillage de Serge July. Depuis 2009, il a rejoint le Canard Enchaîné.

L’histoire de « Profession du père » ? C’est celle d’Emile. Un gamin ballotté entre une mère effacée et un père tyrannique et mythomane. Emile, c’est le fils unique des époux Choulans. Emile est surnommé « Picasso » puisqu’il dessine tout le temps, Emile est asthmatique et ne comprend pas grand-chose à la vie que mènent ses parents, si différente de celle des autres.

André ne travaille pas, dit qu’il a été chanteur, footballeur, professeur de judo, parachutiste, espion, pasteur d’une Eglise pentecôtiste américaine et conseiller personnel du général de Gaulle.

Jusqu’au jour où André Choulans estime que le général l’a trahi. Nous sommes, en avril 1961, en pleine guerre d’Algérie et l’indépendance vient d’être décidée.  La tentative de Salan et des trois autres généraux a échoué. Impossible à accepter pour André qui décide de tuer de Gaulle. Son fils de 13 ans va devoir l’aider. S’ensuit un roman sur l’enfance volée, l’enfance meurtrie tandis que le jeune et fragile Emile doit multiplier les entraînements, apprendre à être homme et ne surtout pas contester les décisions de son père violent.

CHALANDON II

Un huis-clos familial étouffant. Emile n’échappera qu’avec le temps aux mensonges et à la violence  de son père, à la faiblesse aveugle de sa mère.

André Choulans manipule sa femme et son fils. Des années durant. Il invente le personnage de Ted, son ami américain, parrain d’Emile et agent de la CIA.

L’adolescent s’enfoncera dans les histoires de son père, s’enfermera dans une relation dangereuse avec Luca Biglioni, son camarade de classe.

Avec « Profession du père », Sorj Chalandon explore à nouveau l’enfance, dix ans après son premier roman « Le petit Bonzi », qui traitait déjà de la même thématique.

Loin des décors irlandais ou libanais de ses précédents romans, Sorj Chalandon livre ici un roman de l’intime, sensible.

A partir de l’enterrement, sinistre, de son père, Emile démêle la pelote de ses souvenirs, de son enfance dévastée, des années d’adolescence et même de sa vie de jeune adulte martyrisée.

 

 Sorj Chalandon, sur France Inter

Extraits

Page 34 :« Lui l’évangéliste, le croisé charismatique, se disait bien au-dessus de Jésus. Dieu lui parlait. Mon père et Dieu, sans personne pour traduire. Il n’avait que faire d’une bouchée de pain sans levain, de prières en commun ou de genoux à terre. D’ailleurs, c’était lui qui me confessait. Il refusait que j’avoue mes fautes à un curé. Il s’en chargeait lui-même, en secret, dans le salon, avant que ma mère ne rentre du travail. Il mettait une robe pastorale noire à rabat blanc, et une étole violette, brodée d’une terre porteuse de croix. »

Page 137 :« En 1960, alors que Strasbourg jouait en ville, mon père avait voulu me faire la surprise, me conduire au match, m’asseoir contre lui sur le banc de touche, me raconter comment il avait failli devenir un grand joueur de foot. Et me présenter à Emile Veinante, son ami. Mais mes notes du trimestre avaient été mauvaises. Alors il a eu honte de moi. Il m’a enfermé. On ne présentait pas un âne bâté à un dieu du stade. Le soir du match, il est resté devant sa télé. Et moi dans son armoire. Pour me punir, il ne m’avait jamais plus parlé de football. »

 Pages 186-187 :« Il ‘l’avait fait, mon Dieu. Pour tuer de Gaulle, pour moi, pour Ted, pour le chef, pour sa fille, il avait tout quitté. J’étais dans mon lit. Couché sur le dos, les yeux grands ouverts. Je voyais son regard dans la nuit, la pluie dans ses cheveux, sa valise noire et blanche. Il pourrait être chez lui en une heure. Remettre l’argent là où il l’avait trouvé, et les cartes d’identité. Mais pour les pneus crevés et les fils arrachés, je n’avais pas d’idée. Il faudrait qu’il se débrouille. Je ne savais plus que faire de lui. J’ai frissonné. J’étais triste. J’avais tout programme pour qu’il renonce, et il ne l’avait pas fait. Je ne comprenais pas. Aucun enfant ne quitte sa famille en pleine nuit pour tuer de Gaulle et se marier. C’était idiot, impossible. Plus de cinquante ans après, je n’arrive toujours pas à croire que Luca Biglioni ait pu faire ça. »

Pas de guerre dans ce roman, pas d’idéal trahi, mais un huis-clos familial glaçant. Entre humiliations, coups et petites mesquineries. On pourra se demander quelle part de sa vie l’auteur a distillé entre les pages de ce roman poignant. Terriblement touchant. Sorj Chalandon est un auteur sensible. Définitivement.

« Profession du père », Sorj Chalandon, Grasset, 19€.

2 Réponses à “Au pays d’un père menteur…”

  1. isabelle dit :

    Bouleversant ! Un de ces livres qui marque et qui permet de faire remonter un tas d’émotions. Une écriture et un choix narratif si sensibles. Merci pour ce très beau conseil.

  2. Je suis une inconditionnelle de Chalandon, mais cette fois-ci, j’avoue qu’il ne m’a pas autant embarquée… Pour l’avoir entendu raconter tout ce que ce roman avait d’autobiographique, je pense que le problème vient de là : cette fois, la distance lui a manqué pour écrire un vrai grand roman. Mais, comment lui en vouloir ?

Laisser un commentaire

*