Flux pour
Articles
Commentaires

Rentrée littéraire

cvt_Le-quatrieme-mur_4962 Il fait partie de mon Top 5 des livres de cette rentrée. Et pour cause.  « Le quatrième mur » de Sorj Chalandon est un roman puissant, violent et désespéré… qui n’a finalement pas été retenu dans la short-list du prix Goncourt. Ce n’est pas bien grave…

L’ancien reporter de guerre plonge cette fois ses lecteurs dans la guerre du Liban. Qu’il a vécue dans sa chair. Ce roman, c’est un moyen pour le journaliste-écrivain de pouvoir tourner la page. Enfin. Le héros de ce roman, Georges, est le « double » de l’auteur qui a pris son deuxième prénom pour le donner à son héros.

Sorj Chalandon, dont ma consoeur Mariella Esvant, dressait un émouvant portrait ici, nous emmène dans une histoire d’emblée vouée à l’échec. Et pour cause. Il s’agit, le temps d’une représentation théâtrale d’Antigone, de Jean Anouilh, à Beyrouth, de faire cesser la guerre.

Georges a fait une promesse à Samuel Akounis, juif grec, ce metteur en scène a fui  la dictature des colonels avant de se réfugier en France. Là, il rencontre Georges, l’étudiant idéaliste. Les deux hommes se lient. Tous les deux portent dans leurs corps les stigmates de leurs engagements.

Les années passent. Les combats Alors que Samuel se meurt sur son lit d’hôpital, il demande à Georges, jeune père de famille, surveillant de collège, petit théâtreux de patronage, de mener son projet à bien : monter la pièce « Antigone » de Jean Anouilh à Beyrouth avec, pour incarner chacun des personnages, un membre des différentes communautés en guerre les unes contre les autres. Un pari fou.

Impossible ? Au nom de l’amitié et des liens de fraternité qui les unissent, Georges va accepter et se rendre à Beyrouth, au début de l’année 1982. Pour rencontrer les comédiens déjà choisis par Samuel, pour faire taire les dernières interrogations, pour repérer les lieux… et, au final, se laisser happer par une guerre qui n’est pas la sienne. Aux côtés de Marwan, son chauffeur, son guide et bientôt son ami, il touche de près la réalité de la guerre. Fratricide.

Découvrez ici une vidéo dans laquelle Sorj Chalandon raconte la genèse de son roman

Extraits

 Page 13 : « Je suis tombé comme on meurt, sur le ventre, front écrasé, nuque plaquée au sol par une gifle de feu. Dedans et dehors, les pieds sur le talus, les mains sur le ciment. Mon corps était sidéré. Une lumière poudrée déchirait le béton. Je me suis relevé. La fumée lourde, la poussière grise. Je suffoquais. J’avais du sable en gorge, la lèvre ouverte, mes cheveux fumaient. J’étais aveugle. Des paillettes argent lacéraient mes paupières. L’obus avait frappé, il n’avait pas encore parlé. Le foudre après l’éclair, un acier déchiré. Odeur de poudre, d’huile chaude, de métal brûlé. Je me suis jeté dans la fosse au moment du fracas. Mon ventre entier est remonté dans ma gorge. J’ai vomi. Un flot de bile et des morceaux de moi. J’ai hurlé ma peur. Poings fermés, oreilles sanglantes, recouvert par la terre salée et l’ombre grasse. »

Page 95 : « Antigone était palestinienne et sunnite. Hémon, son fiancé, un Druze du Chouf. Créon, roi de Thèbes et père d’Hémon, un maronite de Gemmayzé. Les trois chiites avaient d’abord refusé de jouer les “Gardes”, personnages qu’ils trouvaient insignifiants. Pour équilibrer, l’un d’eux est aussi devenu le page de Créon, l’autre avait accepté d’être “Le Messager”. Au metteur en scène de se débrouiller. Une vieille chiite avait aussi été choisie pour la reine Eurydice, femme de Créon. “La Nourrice” était une Chaldéenne et Ismène, soeur d’Antigone, catholique arménienne.

Le casting avait duré deux ans. Tous ces jeunes avaient fait un peu de théâtre, sauf Eurydice, qui n’aurait qu’à tricoter pour les pauvres de Thèbes. Sam s’était d’abord présenté comme Grec. Lui serait “Le Choeur”, voix essentielle dans le théâtre antique. Puis il s’est avoué juif. Alors il a fallu remplacer les chiites par trois autres. Et aussi la catholique, qui n’avait pas supporté cette révélation. »

Page 269 : « […] Je n’étais pas médecin, pas journaliste. Je mettais la vie en scène, mais je ne pouvais rien faire contre cette mort-là. J’ai sorti le carnet de Sam. Je ne sais pas pourquoi. Pour réapprendre un geste. Pour mettre de la distance entre le sang et moi. J’ai écrit : “Fin”. C’est tout. J’ai entouré le mot de cercles nerveux, jusqu’à ce que le papier cède.

Et puis je n’ai plus regardé. J’ai marché au milieu de la route. Marché en aveugle vers l’air libre, suivi par les pleurs, les cris, le linge séchant pour rien au soleil de septembre. »

 

 Mon avis

Un coup de poing, un uppercut. Ce roman vous prend aux tripes. Parce qu’il décrit la guerre comme personne, parce qu’il parle d’utopie collective… et de contingences qui font obstacle. Un roman fort, violent, tragique comme une pièce grecque. Le quatrième mur finit par s’écrouler. A lire absolument.

« Le quatrième mur », de Sorj Chalandon, Grasset, 19€.

Laisser un commentaire

*