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TODAY OKOn n’est pas bien là, tranquille dans le hamac ? Manque juste un livre, non ? Mais lequel ? Je vous ai proposé de partir en Espagne, puis en Russie et sur l’eau, dans la baie de Naples. Cette fois, le voyage se fera en intérieur. Et il n’est pas très rose.

Avec « Today », Rochelle Fack signe un troisième roman étonnant. Détonnant. Dès la première page, nous sommes prévenus : le voyage sera chaotique, cru, ténébreux, et terriblement douloureux.

L’histoire ? C’est celle de Nausicaa. Une ancienne mannequin, toxicomane, en situation de manque. Et le combat pour atteindre un fragile équilibre va être long, semé d’embûches. Heureusement, Today, artiste peintre, n’est jamais loin de la jeune femme. C’est lui qui l’accompagne. Qui l’empêche de s’enfoncer.

Un roman surprenant par sa forme, son écriture. L’auteure, jeune quadragénaire, explique qu’elle a voulu utiliser des lettres issues de sa propre correspondance et des cahiers qu’elle a écrits pendant quelque dix ans suite à la séparation de ses parents, alors qu’elle était jeune adulte. Une « matière » qu’elle a façonnée, qu’elle a cousu pendant longtemps pour en faire un roman.

Restait à trouver ses personnages. Celui d’une toxicomane s’est imposé pour faire vivre ses variations autour du manque affectif (celui de sa mère qu’elle décrit comme morte, ce qu’elle n’est pas en réalité ) et de l’errance. Pas de récit autobiographique cependant. Plutôt une projection. Radicale.  Dans une vidéo visible ici , l’auteure explique  : « J’avais des ressources pour que Nausicaa soit écrite à la première personne ».

Nausicaa se parle sans s’interrompre pour rester présente à elle-même. L’amour de Today sera-il assez fort pour la sauver ? Entre moments de perte et de reprise, il faut continuer de vivre.

Rochelle Fack, âgée de 40 ans, est chercheuse en cinéma et travaille pour les dispositifs nationaux d’éducation à l’image. Elle forme les enseignants des 1er   et 2nd degrés, ainsi que leurs élèves, à regarder des films dits « exigeants ».

Extraits

 Pages 9-10 :  » Je me parle lentement. Ca doit continuer. Ca continue à chaque instant. Les instants comme les mots forment une chaîne qui endure. Ils tissent, lissent ! Une séduction proche de la vie. Je m’appelle Nausicaa, je réussis à ne pas me lâcher, je réussis à ne pas m’arrêter de parler, de reste présente en me parlant, c’est une façon de me tenir, de m’empêcher de fuir, de m’obliger à regarder… quoi ? Le réel. Il m’écorche la bouche. Il m’écorche la gueule. Le réel, ce n’est rien. Rien que de la fatigue, de l’habitude et du vide, ligués. J’ai failli ne plus revenir. J’étais partie pour ne plus revenir. Mais on m’a trouvée et on m’a secourue, sevrée. J’ai donc réapparu, et avec moi, irrémédiablement, tout le reste. Tout ce qui enfle naturellement. Tout ce qui s’étend. Les matières. Les lumières. Les mouvements. Le chant du drame au loin. Ce chant de plus en plus lointain, de plus en plus inatteignable. Constant. J’ai appris à tenir, à endurer l’ennui, cette banalité qui glisse sur les autres et qui me blesse, moi. Réentendre le chant des oiseaux, ça m’a ravie pendant deux jours. Puis ça m’a dérangée. Ca m’a déconcentrée. J’aurais préféré utiliser n’importe quel recours pour ne plus réentendre, il y en a de nombreux. »

Page 135 : « Il y a quelque chose qui part. Une chose qui, si elle restait, se détériorerait, et qui, en partant, se détériore plus vite, plus brutalement. Devant l’Opéra , je retire de l’argent. Ce petit sac en cuir matelassé, avec ses anses en chaîne, je suis contente de le remettre en service. Il est pratique, parfait. C’est parfait que ma vie se résume à ce qu’il peut contenir, en grammes. Je sais bien où aller, des semaines que je le sais. Le mot que Davy m’avait mis dans le bustier, je l’ai soigneusement gardé. Je le déplie, le lis, et me transforme déjà.  Je vais shooter, ce sera tout de suite trop. On me l’a dit. Il suffira d’un rien. A cause de la mémoire, la mémoire des cellules. »

Page 194 : « […] Je lis pendant des heures. Je ne sors de la propriété que pour aller chercher de quoi faire le dîner, ou bien pour acheter des livres, à la librairie d’à côté. Les mots restent fixes sur les pages. Ils n’en demeurent pas moins inquiets. Ils sont fixes, mais ils guettent. Ils guettent la première faille, la première occasion de décliner. Quand j’en ai marre de lire, je retourne cuisiner. Mon circuit est rodé. Les aliments distraient. Cuisiner m’aide à me parler. Je remue. J’épice. Je me parle du retour de Today. Je ne me perds pas. Je n’ai pas envie de shoot, je ne bois pas. Je me tiens par le vide. J’avale du vide. Ca me consume de l’intérieur et ça ne se voit pas. »

Mon avis

 J’ai choisi de lire ce roman après en avoir découvert les premières pages, les premiers mots. Je les ai trouvés étonnants. Empreints d’une telle sensibilité. Et, jusqu’au bout de ce roman atypique, je m’en suis nourrie. Avec régal. Voilà un écrit surprenant dans lequel on devine que Rochelle Fack a mis tellement d’elle-même. Une très (très) jolie découverte.

« Today », Rochelle Fack, P.O.L., 13,50€

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