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BUSQUETS

Les vacances s’annoncent à grands pas. Chacun trouvera sa formule, sa destination et son moyen d’évasion. Il y en a un qui fonctionne à coup sûr : le livre. Avez-vous déjà pensé à ceux que vous emporterez sur la plage, dans le hamac, ou près de la rivière ?

Si ce n’est pas encore le cas, voici au moins un roman qui tombé à point nommé. Avec « Ca aussi, ça passera », Milena Busquets, auteure espagnole, signe un roman  ( le deuxième, traduit et publié dans une trentaine de pays, excusez du peu ! ) sensible et juste sur le deuil et la perte d’un être cher. A noter que ce choix marche aussi si vous ne partez pas en vacances cet été !

L’histoire ? C’est celle de Blanca. Une quadragénaire, mère de deux enfants, totalement anéantie par la mort de sa mère, plusieurs mois auparavant. Au fil des pages, elle lui adresse comme une longue lettre d’amour, silencieuse. Mais intense.

Elle quitte Barcelone pour rejoindre la maison de famille à Cadaquès. Ce sont les vacances. Blanca est partie avec ses deux fils, ses deux meilleures amies, ses deux ex-maris, son amant et la baby-sitter. Au fil des jours, des bains de mer et des rendez-vous clandestins, Blanca, femme libre et libérée, évoque cette mère brillante, exigeante. Et veut se noyer dans le sexe pour, croit-elle, ne pas sombrer.

Elle n’a pas toujours entretenu les meilleures relations avec sa mère désormais, enterrée dans le cimetière de Calcadès. Chapitre après chapitre, Blanca essaye de renouer les fils entre eux. Et mène aussi un inventaire. Celui des sentiments ambivalents. Le titre du roman tire d’ailleurs son nom d’une histoire racontée par la mère de la narratrice. Dans un pays lointain, le dirigeant avait demandé à ses fidèles de lui trouver une phrase pouvant servir en toute circonstance : « ça aussi, ça passera » était né.

Au final, une écriture fine et sensible. Drôle également. Qui parle du manque, de la perte. Pour ne pas tomber dans l’oubli. Une histoire qui semble inspirée par la propre vie de l’auteure.

Extraits

Pages 47 -48 :« Nous entreprenons le voyage à Cadaquès, qui ressemble toujours à une expédition. Assis à l’arrière, il y a les trois enfants, Edgar, Nico et Daniel, le fils de Sofia, à côté d’Ursula, la baby-sitter. Je conduis et Sofia joue le copilote. Je continue à trouver bizarre et un peu absurde que ce soit moi qui dirige tout ça, moi qui décide de l’heure du départ, tienne le volant, donne les instructions à Ursula, choisisse les affaires que vont emporter les enfants. D’un moment à l’autre, je vais être démasquée et envoyée avec eux sur la banquette arrière, me dis-je en les observant dans le rétroviseur que rient et se disputent tout à la fois. En tant qu’adulte, je suis une imposture, tous mes efforts pour quitter la cour de récréation sont des échecs retentissants, j’éprouve exactement ce que j’éprouvais à six ans, je remarque les mêmes choses, le petit chien monté sur ressorts dont la tête apparaît et disparaît à la fenêtre d’un rez-de-chaussée, le grand-père qui donne la main à son petit-fils, les beaux mecs avec le radar branché, l’éclat du rayon de soleil sur mes bracelets cliquetants, les personnes âgées et seules, les couples qui s’embrassent avec passion, les mendiants, les vieilles suicidaires et provocatrices qui traversent la rue à la vitesse d’une tortue, les arbres. Nous voyons tous des choses différentes, nous voyons tous les mêmes choses, et ce que nous voyons nous définit absolument. Nous aimons instinctivement ceux qui voient comme nous, et nous les reconnaissons tout de suite. »

Page 150 :« J’aime toujours les êtres que j’ai aimés un jour, je ne peux éviter de voir, par-delà toutes les désertions et la plupart des déloyautés, les miennes et celles d’autrui, la personne originelle et transparente, celle d’avant que tout se transforme en cendres. Avec une certaine héroïcité stupide, je ne renie aucune de mes amours, ni aucune de mes blessures. Ce serait comme me renier moi-même. Je sais qu’il n’en est pas de même pour tout le monde, la chape de la honte est épaisse et résistante, et beaucoup de gens arborent leurs haines et leurs ressentiments comme des décorations, des épées brandies, avec le même orgueil et la même ténacité que leurs inclinaisons. Il y a si longtemps que Guillem et moi nous nous sommes séparés ! Je l’aime, mais je l’ai libéré de mon amour. On peut se libérer tout seul, bien sûr, mais c’est toujours plus facile si l’autre a la générosité de vous donner un bon coup de pied, renoncer à l’amour de quelqu’un est difficile ; le pauvre Oscar, en revanche, traîne toujours mes chaînes – et moi les siennes – comme le fantôme de Canterville, bruyamment, péniblement. »

Page 163 :« Nous sommes, je crois, la dernière génération  qui a dû se battre de toutes ses forces pour attirer l’attention de ses parents, les intéresser. Souvent, nous y sommes parvenus lorsqu’il était déjà trop tard. Ils ne considéraient pas que les enfants étaient des petites merveilles, mais plutôt de petits emmerdeurs; des bestioles pénibles à moitié finies. Et nous sommes devenus une génération perdue de séducteurs innés. Nous avons dû inventer des méthodes beaucoup plus sophistiquées que tirer sur la manche ou nous mettre à chialer pour que l’on fasse attention à nous. On exigeait que nous soyons au même niveau que les adultes ou, du moins, que nous ne gênions pas et laissions parler les grands. »

Mon avis

Un roman léger, du moins en apparence. Car le deuxième roman de Milena Busquets est, au final, une petite merveille de justesse et d’intelligence. Le temps de quelques jours de vacances, nous partageons le quotidien et les réflexions de Blanca. Elle, si libre et légère, nous plonge dans les affres de ses questionnements, de ses peurs. Pour moi, une très jolie découverte.

« Ca aussi, ça passera », Milena Busquets, Gallimard, 17€.

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