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RUSSIE

 

Les vacances sont souvent l’occasion d’aller à la découverte d’un pays. Pour certains, faute d’argent ou d’envie, le voyage se fera à travers un livre. Ca marche aussi. La preuve avec « Je viens de Russie » de Zakhar Prilepine. Un auteur russe contemporain dont j’aime beaucoup la verve et la plume.  « Des chaussures remplies de vodka chaude », le dernier roman que j’avais lu de lui, chroniqué sur Quatrième de couv se trouve ici.

Zakhar Prilepine est écrivain ( une dizaine d’ouvrages à son actif) , linguiste, journaliste et homme politique russe. Agé de 39 ans, il est membre du Parti National-Bolchevik depuis 1996.

 

Fils d’un professeur et d’une infirmière russes, Zakhar Prilepine termine la faculté philologique (linguistique) de l’Université d’État de Nijni Novgorod. Il a été commandant dans le service des OMON (forces spéciales de police) et a pris part à des combats en Tchétchénie entre 1996 et 1999.

Zakhar Prilepine

Zakhar Prilepine

 

Membre du parti national-bolchevique de Limonov  depuis 1996, il est l’un des intellectuels protestataires les plus célèbres de Russie. Il s’est fait connaître du grand public en 2004 avec son roman « Patologii », relatant sa guerre de Tchétchénie.Puis « San’kia », fiction sur le terrorisme, paru en 2006, lui a valu la célébrité.

Zakhar Prilepine est considéré comme le Maxime Gorki contemporain. Maxime Gorki, de son vrai nom Alexeï Peshkov, est né à Nijni-Novgorod en 1868. Orphelin très tôt, il commence à travailler dès l’âge de onze ans, exerçant divers métiers. Une vie très dure qu’il racontera plus tard dans sa trilogie autobiographique. Son premier récit est publié en 1892. Il choisit le pseudonyme de Gorki, qui signifie « amer » en russe. Le jeune écrivain prend une part active à la propagande révolutionnaire. L’auteur sera, au fil de sa vie, considéré comme le porte-drapeau de la littérature soviétique et du réalisme socialiste.

« Je viens de Russie » rassemble des textes écrits entre 2003 et 2011. Des  chroniques donc, des textes politiques et d’autres plus personnels qui évoquent ses émotions, ses souvenirs, ses voyages, ses amours… Le livre est construit en deux parties : Je viens de Russie (1999-2008) et Ceci me concerne personnellement (2008-2011).

Prilepine nous plonge dans la réalité, brutale et sans concession, de la Russie des « années zéro », de 2000 à aujourd’hui. Un tableau brossé sans concession.

Extraits

Page 33 : « […] J’ai croisé aussi plusieurs milliers de partisans du national-bolchevisme et j’en connais une bonne centaine qui sont allés en prison en toute connaissance de cause. 

Les gars russes appartenant à la race des nouveaux révolutionnaires sont pleins de joie et d’ardeur au moment où ils apprennent que très bientôt leur liberté va être interrompue pour des mois et des années.

J’ai connu des récidivistes, des officiers de police, des chauffeurs, des dockers, des professeurs, des politiques, des hommes d’affaires, des millionnaires, des pauvres. J’ai travaillé dans la milice, dans une agence de publicité, dans une magasin, dans un journal, dans un cimetière, et ce n’est pas tout.

Courage et patience, pitié et colère sont les quatre points cardinaux du Russe. »

Page 106 : « […] En 1998, le peuple ne s’intéressait pas à Eltsine, des centaines de milliers, si ce n’est des millions d’hommes, le haïssaient vraiment. Il était clair que, déglingué et gémissant, ils finirait bientôt par descendre de son trône. En le tuant, on risquait de faire un cadeau à l’un de ceux qui souhaitaient prendre sa place. Qui était alors sur la liste des prétendants ? Je n’ai même pas envie de donner leurs noms.

En 1998, tout ce qu’Eltsine pouvait perdre et vendre, il l’avait déjà perdu et vendu. Pour continuer la braderie, il fallait de nouveaux visages plus convaincants. Il me semble que la Russie n’avait rien à gagner à sa mort. De fait, il était déjà mort.

Quelque temps après qu’il avait quitté son poste, la racaille que l’on appelle chez nous “l’élite politique”, a livré Eltsine à la vindicte publique. Pas lui en personne, non, mais son souvenir et ses oeuvres. »

Page 181 :« Au son de ces musiques enjouées, l’Etat a rapidement rafistolé le vieil appareil répressif soviétique rouillé et la machine idéologique soviétique tout aussi rouillée dans laquelle les paroles sur les “enseignements de Marx, Engels et Lénine” ont été remplacées par un mantra séduisant sur la stabilité et la modernisation.

Les énormes affiches (que j’ai longées pendant cinq ans sur le chemin de l’école) avec le slogna “Les décisions du XXVe congrès du PCUS seront appliquées” étaient remplacées à l’identique par la proposition de donner via au plan secret de celui qui était, jusqu’à nouvel ordre, notre président bien-aimé. Le plus vexant était que, même en plein marasme, le congrès du PCUS pouvait prendre des décisions susceptibles d’être appliquées un jour, sait-on jamais ; aujourd’hui, il n’y a plus de plan du tout et on ne ne nous le cache même pas. »

Mon avis

Gorbatchev, Eltsine, Poutine font partie de son univers. Il les critique, aurait pu les tuer… Le recueil de chroniques de Zakhar Prilepine est éminemment politique. Même si des détails, des épisodes peuvent échapper au lecteur non-spécialiste de l’histoire russe (c’est mon cas), il n’en demeure pas moins que cet ouvrage offre un avis éclairé et éclairant sur ce pays que l’auteur aime profondément. Un portrait lucide. Mais terrible qui permet d’ailleurs de comprendre par ailleurs les événements de ces derniers mois en Ukraine et en Crimée. A découvrir.

« Je viens de Russie », de Zakhar Prilepine, traduit du russe par Marie-Hélène Corréard, Editions de la Différence, 22€.

Une Réponse à “Implacables chroniques russes”

  1. DAUMIN dit :

    Excellent choix Vanina.Ma fille lectrice difficile – pour ne pas écrire  » homéopathique »- avait sifflé d’un trait ses « chaussures remplies de vodka ».
    Et l’ombre de Limonov, derrière, cet halluciné que l’on pouvait croiser à Paris voici trente ans…
    Dans un registre plus dense, celui du témoignage, j’ai lu, il y a un ou deux ans, le long carnet de voyage de ce Polonais ayant entrepris de rallier Moscou à Vladivostock par la route la plus dangereuse au monde. Et dire qu’il y en a qui sautent à l’élastoche sur le Verdon pour se faire des frissons !
    L’auteur se nomme Jack-Hugo Bader et le bouquin s’intitule  » La fièvre blanche », Ed. Noir sur blanc.515 p. 25 €.
    Bravo pour ta chronique, tenue sur le souffle.
    D. Daumin

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