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La Russie d’aujourd’hui dans toutes ses contradictions. Et un regard aiguisé sur une jeunesse qui, loin des villes, tente de se faire une place dans une société désormais ouverte à tous les vents venus de L’Ouest et de l’argent. Voilà ce que propose le jeune Zakhar Prilepine, auteur de 36 ans qui après avoir été vigile, manutentionnaire et barman, est parti faire la guerre en Tchétchénie lors des conflits de 1996 et de 1999. Là, ce militant politique à la fois poète et romancier propose onze nouvelles intitulées « Des chaussures pleines de vodka chaude ». Un titre pour le moins étrange…

Un avant-goût de ces petites histoires dans le décor se situent dans la campagne russe. Loin des villes, du divertissement et de l’argent facile. Alors les jeunes se débrouillent ( voir la nouvelle  « Viande de chien »), improvisent, font avec les moyens du bord, limités. Et c’est tout un pan de la société qui se laisse ainsi découvrir. Entre les filles délurées qui attendent sur le bord des routes, les plans foireux et les règlements de compte, les paris stupides, l’alcool bu plus de que raison dès le petit matin ( voir  la nouvelle intitulée  « Un héros de rock’n roll »), les arrestations intempestives et cette putain de guerre qui a laissé des traces indélébiles…

Page 17, dans la « Gilka » : « Je les imaginais, allant et venant en ce moment dans mon appartement, interrogeant ma femme pour savoir quand j’étais parti, où j’étais allé, quand j’arriverais et où. Et elle restait sans bouger, les regardant avec haine et mépris ; elle n’avait même pas eu à effacer ces expressions de son visage : c’est ainsi qu’elle m’avait regardé quelques minutes avant leur arrivée. »

Page 43, dans « Slavtchouk » :  « Les voyous russes ne chantent pas de rap. Sans doute parce qu’ils n’ont pas le sens du rythme. Slavtchouk était néanmoins d’une race proche de celle de ces chanteurs tristes à la peau noire : muscles saillants, pommettes fortes, narines bien dessinées, sourire presque caressant, lèvres légèrement retroussées, avec une dent recouverte d’un métal étrange, des filles autour qui, enfin, ne chantent pas mais ne peuvent s’empêcher d’effleurer, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, son corps d’homme, exécutant ce pour quoi elles sont faites ».

Page 63, dans la nouvelle intitulée « Histoire de putes » :  « En règle générale, le sexe n’intéresse pas les femmes. Partir à la recherche d’une jolie paire de gants, aller dans un café douillet et paisible où l’on peut rêver à loisir, voilà ce qui leur fait vraiment plaisir. Les hommes pensent que les femmes sont intéressées par le sexe. Mais les femmes, ce sont les hommes qui les intéressent. Tout le reste, elles le font par jeu ou par pitié. Les femmes croient que ce sont les femmes qui intéressent les hommes. Or c’est le sexe qui les intéresse. Le reste est le fruit du hasard ou le résultat d’un accès de légère excitation qui, d’ailleurs, peut se prolonger tout une vie. C’est là que s’achèvent les différences entre les sexes « .

Au fil des pages, le narrateur guide le lecteur dans son pays, ses excès et ses manques à travers les histoires que vivent Valia, Roubtchik et les autres. Le style est direct, sans ambage. La langue claque. Mais la poésie n’est jamais loin ( dans  « Un héros de rock’n roll », par exemple ainsi que dans « La grand-mère, les guêpes et la pastèque »).  Les histoires de Prilepine sont tour à tour drôles, tendres, tristes ou tragiques.

Une façon de voyager à moindre coût dans la Russie d’aujourd’hui. Celle de Poutine et de Medvedev certes mais surtout celle d’une jeunesse paumée, fatiguée. Sacrifiée ? 

Pour ceux qui veulent découvrir les romanciers russes contemporains, vous pouvez aussi vous plonger dans l’oeuvre d’Andreï Guelassimov.  J’ai lu deux de ses romans :  » Fox Mulder a une tête de cochon » ainsi que  » L’année du mensonge » ( édités tous les deux chez Actes Sud).

« Des chaussures pleines de vodka chaude », Zakhar Prilepine, Actes Sud, 192 pages, 19,80€.

Une Réponse à “Nouvelles de la campagne russe”

  1. bridge dit :

    J’ai lu d’Andreï Guelassimov « L’Année du mensonge ». Je le conseillerais à tous les jeunes et moins jeunes qui veulent découvrir un « ailleurs » de l’Est, comprendre mieux d’autres terres inconnues et leurs jeunesses… pas si lointaines. J’ai vraiment aimé et je vais donc tenter Zakhar Prilepine. Pour une petite info les Editions Actes Sud ont perdu leur fondateur, Hubert Nyssen, samedi dernier.

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