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PASSE COUV IIUn roman typiquement anglais. Avec tout ce qu’il convient d’humour et d’ambiances surannées. Voilà ce que propose Julian Fellowes avec « Passé imparfait », sorti ce printemps, traduction de « Past imperfect », paru en Grande-Bretagne en 2008.

Romancier, acteur, producteur, réalisateur et scénariste (il a reçu l’oscar du meilleur scénario original pour le film  « Gosford Park » de Robert Altman et l’Emmy Award du meilleur scénario pour la série à succès « Downtown Abbey »), Julian Fellowes signe avec  ce second roman ( « Snobs » est paru en 2004) le tableau d’une classe et d’un pays en pleine mutation.

 

J F

En 2008, a la recherche d’un nouveau sujet de roman, il se rend compte qu’il s’est écoulé 40 ans depuis sa dernière « Saison londonienne ». Comme « un devoir de mémoire », indique-t-il dans une interview, celui-ci va donc plonger dans ses souvenirs pour imaginer la trame de son roman.

Devenu baron en 2011, l’auteur a grandi dans l’aristocratie anglaise.

L’histoire ? Elle se déroule sur deux années, entre 1968 et 1970. Et dans les années 2000. Damian Baxter est sur son lit d’agonie. L’homme a fait fortune. S’est fâché avec ses amis de Cambridge. Et pour cause.

Un jour, ce beau roturier devenu richissime,  fait venir le narrateur à son chevet. Il a reçu une lettre anonyme lui indiquant qu’il a un héritier. Il aurait 37 ans. Reste à trouver celle de ses conquêtes d’alors qui pourra en être la mère. Le narrateur sera chargé de l’enquête auprès de six femmes ( Candida, Serena, Dagmar, Lucy, Joanna et Terry), qui furent également ses amies (voire davantage) à l’époque.

Et voilà notre narrateur qui, entre présent et passé évoque ses « sixties ». Il a 19 ans, comme l’auteur du reste. Ces années ne seront pas pour lui celles du rock’n roll, des paradis artificiels et de la libération sexuelle. Plutôt celle des convenances sociales devenues désuètes, des codes ( pas de pantalon pour les filles, et pas plus de larmes !) au coeur d’une gentry qui croit encore avoir son mot à dire dans une société en pleine évolution. Entre bals et titres, l’univers aristocratique anglais est pourtant devenu inaccessible et totalement décadent.

Au final, 648 pages qui se laissent dévorer et qui nous montrent que les temps ont changé.

Extraits

Page 8 : « Malgré le danger que cela représente, j’ai cessé de me battre contre le triste sentiment que le décor de mes années d’enfance était bien plus doux que celui d’aujourd’hui. Les jeunes d’aujourd’hui, selon un point de vue aussi légitime que compréhensible, défendent leur propre époque et rejettent en général nos réminiscences d’un âge d’or où le client avait toujours raison, où les membres de l’Automobile Association saluaient le macaron sur votre voiture et où les policiers portaient la main à leur casque pour vous dire bonjour. Ils remercient le ciel pour la fin de cette période où régnait la déférence. Mais la déférence est le signe d’un monde ordonné, stable et qui peut, au moins rétrospectivement, procurer une certaine chaleur, voire paraître bienveillant. J’ai l’impression que ce qui me manque par-dessus tout, c’est la bienveillance de cette Angleterre d’il y a un demi-siècle. Mais, là encore, est-ce cette bienveillance que je regrette ou ma propre jeunesse ? »

Page 73 : « Une partie de la société s’intéressait en effet à la pop music, à la drogue, aux happenings, à Marianne Faithfull, aux barres Mars et à l’amour libre, mais l’autre partie de la société, et elle était quand même plutôt largement majoritaire, avait toujours les années 1950 comme point d’ancrage, la société anglaise traditionnelle, où les comportements étaient réglés sur ds pratiques sinon multiséculaires, du moins qui duraient depuis le siècle précédent où tout était très rigide, depuis les vêtements que l’on portait jusqu’à la sexualité que l’on pratiquait – et si nous ne respections pas toujours les règles, au moins les connaissions-nous. Ce code de conduite était encore solidement dominant dix ans auparavant. Les filles n’embrassaient pas à un premier rendez-vous, les garçons portaient toujours une cravate, les mère de famille ne quittaient pas la maison sans un chapeau et des gants, les pères de famille portaient un chapeau melon pour aller travailler en ville. C’était cela, les années 1960, autant que la facette constamment remâchée par les rétrospectives télévisuelles. La différence, c’est que ces coutumes vivaient leurs dernières heures tandis que la nouvelle culture déstructurée s’installait. C’est cette dernière qui allait s’imposer, bien sûr, et comme toujours, c’est le vainqueur qui écrit l’histoire. »

Page 360 : « Le regard froid qu’elle m’adressa était des plus explicite. En la regardant dans les yeux, je repensai à la main de Damian, posée avec légèreté sur la hanche de Serena tout à l’heure. Qu’avais-je donc fait de mal dans une vie antérieure pour mériter d’entendre le récit, dans le même après-midi, des exploits de Damian qui lui avaient gagné l’affection si ce n’est la couche de ces deux femmes, qui étaient toutes les deux chacune à leur manière de véritables déesses ? Pourquoi celui qui n’était en somme que mon jouet, mon invention, ma marionnette, récoltait-il toutes ces faveurs ? Quelques mois, quelques semaines après l’avoir fait entrer dans le poulailler, je voyais ce renard triompher dans ma basse-cour. Joanna dut comprendre à mon front soucieux ce que je pensais. »

 Mon avis

Ce roman, en partie autobiographique, est un outil formidable pour approcher l’aristocratie anglaise du XXe siècle. Au fil des pages, on se laisse prendre au jeu des règles de la Saison et des amours contrariées. Reste à posséder le bon Bristol ! « Mon style, c’est de la nostalgie critique », écrit Julian Fellowes. Et c’est plutôt savoureux. A découvrir !

« Passé imparfait », de Julian Fellowes, Sonatine, 22€.

 

 

 

 

 

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