Lucia Iraci, la petite sœur des pauvres
En marge de son activité de coiffeuse boulevard Saint-Germain à Paris, Lucia Iraci s’occupe des femmes que plus personne ne regarde.
“ Je remercie le sort d’avoir été élevée dans un orphelinat. Je n’en serai pas là si j’avais été cocoonée… ” A l’autre bout du téléphone, sa douce voix au léger accent italien traduit sa volonté farouche de vivre libre. Lucia Iraci captive par sa détermination. Née en Sicile dans une fratrie de cinq enfants, elle perd son papa quand elle avait trois ans seulement. Plus tard, sa sœur Joséphine la fait venir à Paris. Elle y apprend le métier de coiffeuse et passe l’examen pratique. Elle travaille en studio pendant vingt ans avec les grands noms de la mode et de la photo : Yves Saint-Laurent, Bettina Rheims, Peter Lindbergh. Partie de rien, elle dirige aujourd’hui un élégant salon sur le boulevard Saint-Germain où se bousculent des chanteuses, des actrices.
Lucia pourrait s’en contenter. Mais dès 2006, elle crée l’association « Joséphine pour la beauté des femmes », hommage à sa grande sœur décédée des suites d’une longue maladie. Elle ouvre gratuitement les portes de son salon aux femmes en grande situation de précarité : jeunes filles mères, femmes battues, en recherche d’emploi. Objectif : les aider à retrouver de l’estime. Nouvelles coupes de cheveux, conseils de beauté. 1.400 personnes sont ainsi chouchoutées dans l’année. Les débuts sont difficiles. Lucia organise son premier atelier dans une crèche, au cœur de la cité de Chanteloup-les-vignes (Yvelines). Deux plus tard, au bord de tout abandonner, elle reçoit la Légion d’honneur des mains de Xavier Darcos « J’ai eu honte d’avoir douté, confie-t-elle. Je ne pouvais plus me déplacer mais j’avais mon salon… ».
Avec les migrants de Calais
L’association Joséphine va ouvrir un premier salon à Paris dans le quartier de la Goutte d’Or, puis un second à Tours. Lucia inaugure également rue d’Entraigues l’École française de coiffure sociale. La formation, qui s’adresse aux titulaires d’un CAP ou d’un BP, couvre un large ensemble de matières : psychologie (clinique, cognitive, sociale), sociologie (théorie et mise en pratique), médical (dermatologie, cancérologie, pratiques en milieu de soins, psychiatrie, pédopsychiatrie, gérontologie), conférences. Sept personnes y seront accueillies. Mais l’aventure tourangelle s’est arrêtée en décembre dernier, faute de moyens. « Je n’ai eu que des promesses de subventions de la part des pouvoirs publics. Et j’ai perdu des mécènes. J’ai dû procéder à huit licenciements. Si nous devions revenir, je voudrais que la Ville de Tours s’engage pécuniairement ! »
Lucia concentre alors ses moyens sur Paris en attendant d’essaimer d’autres « Joséphine ». Elle s’est fixée de nouveaux objectifs : faire reconnaître le titre de coiffeur social au Répertoire national de la certification professionnelle et permettre aux coiffeurs sociaux de travailler dans les hôpitaux, les maisons de retraites, les centres sociaux. Autre but : adosser Joséphine au groupe SOS qui répond aux enjeux de la société à travers la jeunesse, l’emploi, les solidarités, la santé et les seniors.
« Je veux rester libre pour agir, se plaît-elle à dire. Je suis féministe dans le bon sens du terme, c’est-à-dire que la femme soit l’égale de l’homme. Car on est fait pour vivre ensemble… ». Simone Veil, l’abbé Pierre, Mère Thérésa lui servent d’exemples « parce qu’ils ont su lever la tête ». Le mois dernier, Lucia est parti à Calais, armée de son vanity, pour s’occuper des migrants. Comme ça, aller et retour dans la journée. « J’ai vu l’humilité, la dignité de ces femmes… C’était magnifique. Je n’étais plus tout à fait la même au retour » avoue-t-elle, émue. Aujourd’hui, Muriel Robin est la marraine de son association. « Je ne suis pas allée la chercher. C’est elle qui est venue… ». Générosité, nom commun de genre féminin…
BIO EXPRESS
> Née en Sicile fin des années cinquante.
> Arrive en France à l’âge de 15 ans.
> Devient coiffeuse en ne passant que l’examen pratique.
> Crée les salons “ Joséphine ” pour nécessiteuses à Paris, Tours.
> Chevalier de la Légion d’Honneur.