Enseigner et se former avec le numérique
De nouvelles pratiques pédagogiques en ligne se répandent à l’université. Elles n’échappent pas aux entreprises désireuses de former les salariés à moindre coût.
Et si le face à face enseignant/étudiants était en train de disparaître ? Le numérique bouleverse l’accès aux savoirs et s’immisce dans les cartables. La véritable impulsion de ces nouveaux usages remonte à la fin 2013 lorsque Geneviève Fioraso, alors ministre de l’enseignement supérieur, présente les dix-huit mesures de « l’agenda numérique » en faveur des universités. La plateforme FUN (France Université Numérique) était née, ouvrant à tous l’accès à des cours en ligne gratuits. N’importe qui peut aujourd’hui accéder à des MOOCs, acronyme de « Massive Online Open Course » répertoriés par disciplines : économie, éducation, management, lettres, langues, droit, santé, sciences, entrepreneuriat, etc.
Pour Cécile Dejoux, grand témoin de cette enquête et invitée du réseau Carnet Pro La Nouvelle République, cette forme d’évangélisation des connaissances garantit « un espace de liberté totale à la fois pour l’enseignant qui ne connaît pas son public et pour l’apprenant, étudiants ou salariés ». Professeur de gestion des ressources humaines et de management au Cnam, elle a créé le MOOC « du manager au leader agile » suivi par 100.000 participants. « Ma mère était institutrice et rencontrait parfois des élèves qui lui disaient qu’elle les avait marqués. J’ai l’impression de vivre la même chose » confiait-elle récemment à des confrères, lors d’un tour de France à la rencontre de son public.
Ces MOOCs seraient-ils une autre forme d’ubérisation des savoirs, concurrents des organismes de formation, voire des universités ? La question mérite d’être posée car elle agite les milieux de l’orthodoxie universitaire. Le directeur du pôle de production pédagogique de l’université François-Rabelais de Tours, Jean-Philippe Letourneur, dénonce « un effet de mode ». Et préfère croire en une dynamique de e-learning encadré et moins mercantile. D’ailleurs, Tours ne s’est lancé que dans un MOOC avec le Centre d’études supérieures de la Renaissance, sans doute parce qu’il rayonne en France et dans le monde. Le concept est par ailleurs jugé trop cher (entre 50.000 et 60.000 euros) et ne sera pas étendu. 80 % des enseignants tourangeaux ont adopté la pratique numérique sous d’autres formes. Les 20 % restants la refusent, soit par frein syndical, soit par un manque d’appétence envers les nouvelles technologies.
L’université de Tours pionnière du numérique
Le e-learning, parlons-en. L’université François-Rabelais de Tours a été la première, en France, à présenter un schéma directeur numérique. Elle dispose d’un Moodle, cet autre acronyme qui correspond à une plateforme d’apprentissage en ligne appelée « Celene » (Cours En Ligne et Enseignement Numérique pour les Étudiants d’Orléans et de Tours). À l’inverse du MOOC, celle-ci n’est accessible que par les étudiants inscrits et les enseignants. Les premiers y retrouvent des cours, des espaces collaboratifs et les seconds viennent y dispenser leurs connaissances, peuvent évaluer leurs élèves sur des champs de compétence.
Cinq mille cours en ligne et deux cents projets ont vu d’ici le jour avant d’être diffusés sur la toile. Le pôle de production pédagogique en a d’autres sous le coude pour la rentrée prochaine. Exemples. En littérature, sera disponible une initiation à l’analyse d’albums pour enfants, portée par Cécile Boulaire, enseignant chercheur. Dans le domaine Sciences et Santé, seront mis en ligne des modules autonomes avec des contenus de diaporamas sonorisés ainsi qu’une banque d’exercices (quizz) pour les étudiants en première année commune aux études de santé (Paces) et en Licence 1 de sciences. Ce projet-là, dénommé « Statistiques Online en sciences et santé » est proposé par Clovis Tauber et Jérôme Depauw.
Mais une autre révolution s’annonce, tout en harmonie. Le master MEEF (Métiers de l’Enseignement de l’Éducation et de la Formation) qui prépare au métier d’enseignant en musicologie sera accessible en ligne également à la rentrée prochaine (porté par Olivier Carrillo). Les différents enregistrements se finalisent actuellement. Les futurs professeurs pourront donc suivre les cours depuis chez eux sans se déplacer, tout au long des trimestres.
Apprendre comme on respire. L’expression de Cécile Dejoux deviendrait-elle universelle grâce au net ? Affirmatif à condition de savoir manier la souris avec un sens aigu de l’organisation. Le cours magistral, les amphis remplis ne disparaîtront pas demain. Mais force est de constater que le traditionnel cours magistral est en train de vasciller. Et l’université numérique n’en est qu’à sa préhistoire.