Penser le travail autrement
Certains chefs d’entreprise préfèrent innover plutôt que de licencier en redonnant du cœur à l’ouvrage à leurs salariés. Le début du bonheur au travail ?
Faire le pari des salariés heureux pour les tirer vers le haut : un vaste sujet ! C’est pourtant l’une des préoccupations des entreprises confrontées à des organisations pathogènes et à une génération Y de plus en plus rétive. Le pari est osé et compliqué. Entrepreneure salariée au sein de la coopérative Odyssée Création à Tours, Anne-Béatrice Martinez le souligne : « 11 % des gens sont heureux au travail. 58 % font acte de présence et 33 % viennent pour empêcher le travail. Il faut donc agir sur des leviers… ». Prenons le modèle des entreprises dites « libérées ». Celles-ci donnent de l’autonomie à leurs collaborateurs, quelquefois moins enclins à se réaliser, pour leur permettre de trouver en eux de nouvelles motivations, de la reconnaissance aussi. Ce lâcher prise, par rapport au contrôle, serait bien source de créativité.
À contre-pied de ces nouvelles organisations, le philosophe Alain Deneault se veut provocateur. Grand témoin de cette enquête et invité du réseau Carnet Pro du groupe Nouvelle République, il signe un livre intitulé « La médiocratie ». « On ne peut pas tirer les salariés vers le haut dans la mesure où l’on assiste à l’interchangeabilité des postes. La médiocratie est un stade moyen hissé au rang d’autorité, un ordre valable aussi bien en politique qu’en économie et dans les entreprises… ».
Apprendre aux hommes à être heureux
De la pensée à la logique du vivant. Le discours d’Alain Deneault se défend d’être moraliste. Être médiocre et le rester, ce n’est pas être incompétent. « Le système, dit-il, encourage l’ascension des moyennement compétents au détriment des super-compétents ou des parfaits incompétents ». Il va falloir lui parler de Spinoza, le philosophe du bonheur. La philosophie contemporaine, en tombant dans un travers théorique, n’aurait-elle pas oublié d’apprendre aux hommes à être heureux… au travail, quels que soient leurs rangs et dans la hiérarchie ? Car de grandes questions agitent les dirigeants soucieux de remettre du cœur à l’ouvrage dans les équipes, collectivement ou individuellement. La reconnaissance de la fiche de paye est certes importante, surtout par les temps qui courent. Mais elle ne fait pas tout. Si les salariés se désengagent, c’est parce que leur environnement ne tiendrait pas compte de leur potentiel créatif. On dit toujours : « Je vais travailler ». Mais on ne dit jamais comment on va le faire, ni qu’est-ce-qui fait que l’on n’y arrive pas.
Des architectes, des spécialistes en mobilier (Eneixia) peuvent contribuer à améliorer l’attractivité personnelle au travail. C’est ce que fait Stéphanie Gherissi, de l’agence SG Design à Saint-Pierre-des-Corps. Elle accompagne actuellement EDF et la centrale nucléaire de Chinon pendant deux ans sur sa stratégie immobilière 2015-2020 et consulte la base. « On organise des workshops et des entretiens individuels pour offrir une meilleure circulation des salariés et répondre aux aspirations de chacun. Il y a là un projet collaboratif… ». Pour la partie émotionnelle, corporelle, sensorielle et énergétique, d’autres professionnels interviennent en Touraine : ils sont florithérapeute, praticiens en myo-énergétique (shiatsu par exemple), Reiki ou massages, socioesthéticienne (www.odyssee-creation.coop/annuaire.php).
D’autres n’y vont pas par quatre chemins pour renvoyer le miroir du salarié démotivé : « Tu n’as pas le droit d’aller tous les jours dans un endroit où tu n’es pas heureux, ai-je dit à ce salarié, lui demandant de partir et d’aller chercher son rêve. Il nous a quittés et a fini par créer sa propre entreprise… ». Pierre Blanchart, patron de Carty (Joué-lès-Tours), qui joue sur son expérience, sa psychologie, complète son propos : « il faut être serein. Cela ne sert à rien de démonter les gens. Je tiens à des choses simples comme le sourire, la proximité. Il faut donner les moyens de s’épanouir au travail ! ».
Il pourrait aisément rejoindre la Fabrique Spinoza, association de passeurs de bonheur au travail qui précise dans ses statuts : « Notre posture est tout d’abord une veille, une attention et une écoute pour le bien-être du salarié et celui de son entourage. Idéalement, il est reconnu grâce à sa façon de réagir aux situations, de communiquer, de se comporter… En bref, il s’efforce d’être un exemple de sagesse et de gentillesse pour tous ! ».
Voilà qui rappelle un autre grand témoin de notre mensuel Capéco, invité en mai de l’année dernière. Emmanuel Jaffelin, interviewé dans ses mêmes colonnes il y a quelques mois, disait : « Être gentil au travail, c’est rendre service à quelqu’un qui le demande. Punir, c’est rendre service à celui qui ne vous le demande pas ». Où est la médiocratie dans tout cela ?