Le passe muraille des ex Michelin
Thoai Phong Nguyen a inventé les ateliers de transition professionnelle. À Tours, il prend le temps de faire tomber les résistances au changement.
Ce que je fais aujourd’hui, c’est la combinaison parfaite entre mon parcours et mes origines… » Thoai Phong Nguyen parle pour la première fois depuis que Michelin lui a demandé de monter des ateliers de transition professionnelle il a deux ans. Il ne mettra pas l’exemple tourangeau en avant. Car le travail n’y est pas terminé dans les locaux de l’ex-imprimerie Mame. Et c’est a priori la direction de Clermont qui communiquera. Le directeur du Cabinet Transformations se raconte, pour mieux faire comprendre les stratégies qui l’animent.
Retour aux sources. Son père est, le premier, à créer l’association des étudiants vietnamiens en France contre le régime communiste et la dictature du sud Vietnam. Il grandit dans le nord Pas-de-Calais au milieu d’enfants ouvriers. Une double culture. Il s’en amuse : « je ne savais pas si j’étais jaune ou blanc ». Le garçon est brillant. Maths Sup, Maths Spé, école des Mines à Saint-Etienne. Puis, nouveau choc des cultures en arrivant à Paris : la fréquentation de la communauté asiatique et l’élite. Son premier poste à responsabilité, il l’occupera au cabinet d’audit Arthur Andersen. Puis il rejoint la communication publicitaire chez Havas en tant que N°2 à même pas 30 ans : « J’étais le plus jeune et le plus dur. On m’a donc expliqué les bases de la psychologie. Je dirigeais avant d’apprendre mon métier… ».
Déconditionnement, nouveau lieu et bonnes pratiques
Thoai Phong Nguyen va faire plusieurs rencontres qui façonneront sa vision de l’entreprise et des hommes qui la composent. Avec Roger Talon, il fonde le « design management ». Avec le psychanalyste et anthropologue Marc Le Bailly, « j’apprends à travailler non plus sur des signes mais sur les comportements. Je vais ensuite modéliser les cultures d’entreprise à quelque chose de transmissible comme à l’usine Kléber à Toul qui fermait… ». Naissent alors les ateliers de transition professionnelle que d’ordinaire, on appelle cellules de reclassement. Son boulot : réduire la souffrance sociale « inutile ». Comment ? En intervenant sur les résistances au changement, qu’elles soient de nature professionnelle, psychologique. « Nous avons travaillé à la démystification des tabous ou la levée de peurs par des mises en situation collectives. Comme pour Michelin, les gens se sont sentis bannis. Ce qui s’est traduit par une perte de confiance, la dépression. Exclus de leurs usines, ces hommes connaissent d’abord une perte de repères. Et disent : je ne peux pas prendre d’initiatives car je vais être sanctionné. Mon premier travail consiste à les déconditionner collectivement ! »
Déconditionnement et bonnes pratiques. La technique de transformation va s’opérer dans un lieu neutre, de nouvel environnement de travail et des espaces dédiés : une cafétéria, des salles d’entretiens individuelles, ateliers professionnels, de prises de paroles. « J’ai assemblé, j’ai remis des gens au sport et rattrapé le temps perdu à des gens qui ont été des robots. Résultat : certains se sont trouvés de nouvelles vocations. » À Tours, le travail n’est pas terminé.
Thoai Phong Nguyen va prochainement publier un livre avec Gilles Bettehauser qui sera intitulé : « La dimension cachée des environnements de travail ». À mettre entre les mains de ceux qui, comme lui, considèrent qu’il faut accompagner leurs changements.
Discret, le directeur du cabinet Transformations n’indique aucune de ses fonctions sur sa carte de visite. On pourrait alors lui suggérer d’écrire « Passeur de miroirs » ou « Éditeur de moteurs ».
BIO EXPRESS
> Maths Sup, Maths Spé puis École nationale supérieure des Mines de Saint-Etienne.
> Travaille pour le Cabinet Andersen (finances) puis entre chez Havas
> Crée le Cabinet Transformations.
> Architecte des ateliers de transition professionnelle Michelin dans l’ex-imprimerie Mame de Tours.