L’ENQUÊTE : Produire et consommer autrement
L’économie collaborative se pose en modèle alternatif : circuits courts, financements participatifs, partage de biens. Internet accélère la tendance.
Un décollage aussi fulgurant que récent ! L’économie collaborative, nouveau modèle de production et de consommation où l’usage prédomine, se bâtit une très belle réputation à l’heure ou au leurre du tout internet (web 2.0). Ses nombreux champs d’exploration impliquent ceux qui n’ont pas l’envie de vivre des marchés traditionnels, dans un circuit libéral où plus on est gros, plus on est fort. La base en serait tout d’abord militante. Et la tentation, facteur d’émulation !
Une ou plusieurs définitions s’imposent. Cette économie collaborative s’appuie sur plusieurs piliers : la mutualisation de moyens et le partage des dépenses qui permettent ainsi aux personnes de maintenir un accès aux biens de consommation. Elle repose ensuite sur de la coopération et donc l’échange. Elle refuse la consommation de masse et s’autorise une meilleure gestion des ressources naturelles. Elle se sert enfin très largement d’un outil au service d’une cause : internet.
Blablacar en est la figure de proue. En Indre-et-Loire, les aires de covoiturage se sont multipliées avec l’accompagnement bienveillant du conseil général qui a participé à leur totémisation (une dizaine) et à leur visibilité (site : Covoiturons en Touraine). Trois agents immobiliers, Arnaud Viguié, François Gautard et Riccardo Cohen, viennent de lancer une plateforme (parAgence.fr) qui recense, gratuitement, les annonces de location et d’achat de logements quelles que soient les agences ultra-concurrentes sur leurs marchés. « Chacun faisait sa communication. Je n’ai pas compris pourquoi on ne prendrait pas notre destin en main en se distanciant de sites payants… C’était l’opportunité de réunir une offre de biens sur toute la France ! » justifie Arnaud Viguié.
Une réponse aux banques traditionnelles
Autre pratique naissante : l’habitat coopératif dont Nicole Lerousseau (lire son témoignage ci-dessous) a étudié les exemples et le cadre juridique. À Tours Nord, six maisons mitoyennes, avec chacune sa terrasse privative, sortiront de terre avec des espaces communs, dont un bâtiment avec une pièce de 50 m2 pour les repas de famille ou les fêtes entre amis. Local à vélo, potager et 800 m2 de jardin seront aussi mutualisés. Une première économie… d’échelle. Car pour les futurs propriétaires, les frais sont partagés. Mais la démarche relève d’une réelle envie d’un vivre ensemble. Ce qui n’est pas donné à tout le monde.
Direction Sepmes, près de Sainte-Maure-de-Touraine. Au bord de la route qui mène à Bossée, se dresse une pancarte d’une ferme humoristiquement dénommée « Le Cabri au lait ». Sébastien Beaury y élève une centaine de chèvres dont il transforme le lait pour des circuits courts (Amap) : fromages, faisselles, yaourts, confitures de lait, tomes… Il incarne à lui seul cette notion d’économie collaborative. « Je suis un ancien directeur d’ID 37, association spécialisée dans la création et le développement d’emplois, l’accès et le maintien dans l’emploi suffisant et durable. J’ai changé de voie au lycée agricole de Fondettes en un an, en faisant un brevet professionnel de responsable d’exploitation agricole. Pour créer mon exploitation, j’ai reçu le soutien des Amap, de gens qui ont cru en mon projet (cautions, chantiers solidaires) pour la rénovation de la ferme… ».
Dans la conversation, Sébastien Beaury cite le cas de cet éleveur de canards du Sud-Touraine, piégé par la grande distribution qui faisait jouer la concurrence et obligé de se reconvertir dans le bio en circuit court, pour échapper au redressement judiciaire… Et il revient à lui : « Les banques m’ont dit oui au départ. Mais 48 heures avant de signer mes prêts, leur réponse fut négative. Je me suis donc tourné vers la NEF (Nouvelle économie fraternelle) portée à Tours par le Crédit coopératif, qui a appuyé la garantie de mon projet… ».
Sébastien Beaury porte enfin un regard très critique sur celles et ceux qui, sous couvert d’associations, se prennent une marge en animant des circuits courts, copié collé de la grande distribution….
L’économie collaborative et ses financements participatifs sortent des chemins battus. C’est le cas d’Ulule et de la politique emmenée par son directeur général, le Tourangeau Arnaud Burgot (lire page suivante) : on finance oui, mais pas de retour sur investissement. La contrepartie sera « émotionnelle ». Publication du nom du donateur sur une plaquette, voire la rencontre avec le porteur de projet, artiste ou entrepreneur. Ici et encore, pas de spéculation.
L’économie collaborative en Touraine et d’ailleurs serait-elle modèle d’un commerce équitable ? Et pour quelle évolution des usages, vient se demander à Tours Anne-Sophie Novel ? Bonnes questions dans un vrai débat !