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OFFENSES

Un uppercut, ou un coup de poing américain. Constance Debré a l’art de ne pas laisser indifférent. Son style est affuté, son discours, radical.

C’est à la sortie de son deuxième roman, lu pendant le confinement que je suis tombée dedans. Depuis, j’ai lu chacun de ses romans (ici et encore là). Happée par le texte, par le style et par la radicalité de son propos. Constance Debré porte un nom qui parle : elle est la fille de François Debré, la nièce de Jean-Louis et de Bernard. Elle a grandi avec les codes de la grande bourgeoisie, au milieu des démons de ses parents toxicomanes. Un patronyme lourd à porter, à assumer. Un nom, le sien, qu’elle a gardé après s’être séparée de tout le reste : son couple, son fils, son métier, sa sexualité, son héritage.

Après Play BoyLove Me Tender et Nom que l’on peut assimiler à une trilogie autobiographique, elle revient avec un quatrième roman et sa première fiction, Offenses.

Au fil des pages, nous plongeons dans le glauque d’un meurtre de proximité : celui d’une vieille femme par son jeune voisin qui lui faisait pourtant régulièrement des courses. Mais une dette de stupéfiants de 450 euros le transforme en assassin. Pas de prénom, pas d’adjectif superflu. Une écriture à l’os.

 

Ancienne avocate pénaliste, Constance Debré en a gardé l’implacable logique et la terrible fatalité. Pour elle, son ancien métier résonne de manière particulière avec l’écriture.

Une vidéo avec l’autrice, ici : 

https://youtu.be/FVdsf4oZb2I

Dans l’émission Totémic, sur France Inter, l’autrice a expliqué :  « C’est un métier que j’ai aimé parce que c’est un peu la même chose qu’écrire. C’est que ce n’est pas un métier, c’est une fonction qui commande qu’on parle avec tout ce qu’on sait à d’autres hommes. On essaye de parler, en l’occurrence quand on est avocat, pour qui on défend à ceux qui le jugent, mais il ne s’agit que de parler de l’existence avec cette chose qu’on a tous en commun, qui s’appelle le langage. Et pour moi, c’est absolument la même chose. »

Dans Offenses, elle interroge la façon dont la justice est rendue. Selon que vous serez puissant ou misérable ? Elle interroge notre morale, notre rapport au mal et ce que la société en dit en s’accrochant à un certain déterminisme social. Pour se rassurer.

Extraits

 Page 21 : « Dix-neuf ans est-ce que l’enfance encore. Il vit chez son père avec sa petite amie et leur fille. Elle a trois ans bientôt ils avaient seize ans quand elle est née. Ils se sont connus à quinze ils ont tout de suite vécu ensemble. Ce n’est pas grand chez son père mais c’est mieux que chez sa mère à cause des disputes qu’il y avait. Il ne travaille pas elle non plus (ils ne font pas d’études bien sûr que non) alors ils vivent chez son père, un trois-pièces ici on dit F3. Le même que celui de la vieille, la voisine du dessous, celle qu’il a tuée ce matin. Il lui a mis dix coups de couteau il a laissé du sang partout. »

Pages 60-61 : « La prison est quelque chose qui ne vous arrivera pas. C’est un monde trop loin du vôtre. C’est le cercle juste sous le nôtre. Le village d’à côté. Ce n’est pas un autre monde. C’est le monde où sont punis ceux du dessous pour tous les péchés du monde. Les péchés que vous nous avez délégués, ceux que nous commettons pour vous. Les péchés que nous commettons pour l’humanité qui contient tout le mal mais qui le délègue à des gens comme moi, comme nous, comme nous tous qui allons en prison, puisqu’on est nés pour ça, puisqu’on est nés pour vous servir de toutes les façons possibles, y compris celle-là. Les péchés dont vous vous nourrissez, que nous commettons et que vous punissez. Des péchés que ne sont pas plus les nôtres que les vôtres, les péchés dont la racine, la raison des effets, n’est pas celui qui le commet mais dans l’humanité tout entière. »

Page 99 : « Nous tous, sages comme des images, à bien tenir notre rôle, à travailler quand on peut, à ramasser vos poubelles, à nettoyer vos bureaux ou à remplir vos hyper, à acheter vos produits, à remplir vos prisons, à justifier vos lois, bien courbés dessous qu’on est, la loi du marché ou la loi du code c’est la même. Quand est-ce que vous nous applaudirez. »

 Offenses, Constance Debré, Flammarion, 17,50€.

 

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