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NOM

Radicale. Quitte à en faire trop. Constance Debré a décidé, il y a plusieurs années déjà, de se délester. De tout. De son mari, de son fils, de son parcours scolaire brillant, de son métier d’avocate, de sa sexualité d’hétéro aussi. Elle a décidé de vivre avec peu, voire rien. D’écrire, d’aimer et de nager. Tous les jours.

Je l’avais découverte pendant le premier confinement, dans la lumière printanière d’un jardin familier. J’avais plongé dans Love me tender avec délice, sa première autofiction. Enthousiasmée par tant de force dans le propos et d’application dans les faits. Alors j’avais également lu Play boy. Pour comprendre. Pour tenter de suivre les choix radicaux de cette femme que l’on découvre désormais le crâne rasé, la silhouette longiligne et masculine.

Dans la droite ligne de ses écrits précédents, Constance Debré persiste et signe. Cette fois, elle s’attaque à son nom. Et dit non. Facile ? Sur le papier, oui. Elle, elle le vit. S’accommode d’un patronyme qui a donné tant de ministres, d’élus et de mandarins. Elle, c’est la fille de celui qui n’a pas suivi le modèle familial. Qui a cherché à s’en éloigner au plus loin. Journaliste, documentariste, il s’est perdu dans les drogues. Comme sa femme d’ailleurs. Mannequin, elle mourra quand Constance est adolescente.

Constance Debré s’est construite. Contre. Autrement. Avant de tout faire exploser, par souci de vérité.  Un ton péremptoire ? Peut-être. Mais c’est aussi sa marque de fabrique et une obligation morale désormais. Les phrases sont sèches, à l’os. Un régal de lecture. Au-delà de l’exercice de style.

La quatrième de couverture de Nom se veut un plaidoyer. Implacable. « J’ai un programme politique. Je suis pour la suppression de l’héritage, de l’obligation alimentaire entre ascendants et descendants, je suis pour la suppression de l’autorité parentale, je suis pour l’abolition du mariage, je suis pour que les enfants soient éloignés de leurs parents au plus jeune âge, je suis pour l’abolition de la filiation, je suis pour l’abolition du nom de famille, je suis contre la tutelle, la minorité, je suis contre le patrimoine, je suis contre le domicile, la nationalité, je suis pour la suppression de l’état civil, je suis pour la suppression de la famille, je suis pour la suppression de l’enfance aussi si on peut. »

Extraits

Page 23 :« […] Aujourd’hui j’ai un corps. Il a fallu des années. Ce n’est pas une idée, ce n’est pas un discours, c’est un fait vérifiable dans la glace. Mon corps est apparu quand je suis devenue écrivain, quand je suis devenue homosexuelle, quand je me suis débarrassée de beaucoup de choses et que j’ai perdu le reste. Concrètement, dans mes muscles et mes tendons, dans mon visage et les os de mon crâne. Ce n’est pas mon nom, c’est mon corps qui m’intéresse. Il faut être très concentré, très sérieux quand on vit comme ça. »

Page 92  :« […] Un port commercial de seconde zone près de Perpignan. Les cargos sous les fenêtres, le bruit des grues, le déchargement des conteneurs la nuit. Dans le salon il y a une affiche I want to believe avec une soucoupe volante. Des gens comme moi le confinement ça les arrange, des gens comme moi ils ne le remarquent même pas ou bien ça les amuse, ça fait des occasions d’aventure. Les gens comme moi aiment les catastrophes légères pour l’ambiance philosophique que ça donne au monde. J’ai dit oui à cette fille que j’ai vue deux fois, une après-midi à Saint-Etienne et une nuit à Paris, j’ai mis l’ordinateur dans un sac un jean et deux tee-shirts et j’ai quitté ma chambre du quatorzième. J’essaye, j’essaye toujours, je suis un chevalier de la foi et chaque fois j’y crois. »

Page 107 :« […] J’ai un programme politique. Je suis pour la suppression de l’héritage, de l’obligation alimentaire entre ascendants et descendants, je suis pour la suppression de l’autorité parentale, je suis pour l’abolition du mariage, je suis pour que les enfants soient éloignés de leurs parents au plus jeune âge, je suis pour l’abolition du nom de famille, je suis contre la tutelle, la minorité, je suis contre le patrimoine, je suis contre le domicile, la nationalité, je suis pour la suppression de l’état civil, je suis pour la suppression de la famille, je suis pour la suppression de l’enfance aussi si on peut. »

Nom, Constance Debré, Flammarion, 19€.

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