Redécouvrir un auteur et l’histoire d’un homme. Voilà ce que permet le premier roman de Rémi David, Mourir avant que d’apparaître, paru il y a quelques semaines chez Gallimard. L’idée ? Faire pénétrer le lecteur dans l’intimité de Jean Genet et d’Abdallah Bentaga. Nous sommes au mitan des années 50.
Jean Genet, auteur, poète et dramaturge désormais célèbre, mène une vie dissolue, poursuivant cette idée de constituer « un miroir à l’envers de l’ordre moral ». En 1956, le quadragénaire rencontre Abdallah, jeune garçon de piste et acrobate de 18 ans, qui travaille alors dans un cirque. La rencontre est explosive : Jean Genet veut faire de ce jeune homme amoureux d’une fille, son amant et un fantastique funambule. Il sera aussi la figure centrale de son texte, publié en 1957, Le funambule.
C’est à partir de ce texte que Rémi David a trouvé le sujet de son premier roman. Il se documentait alors sur les funambules. Magicien, artiste et voyageur, Rémi David est l’auteur de plusieurs textes. Le trentenaire a également travaillé avec Ernest Pignon-Ernest pour une présentation de son œuvre à destination des jeunes lecteurs.
Outre ses textes édités, il participe aussi à l’écriture de spectacles à la croisée de la marionnette, de la magie et du théâtre d’objets. Parallèlement à sa pratique de l’écriture, Rémi David a fondé en 2012 l’association M’Agis qui propose, en France et partout dans le monde, des spectacles et ateliers de magie à des populations en situation de très grande fragilité.
En rêvant de gloire pour celui dont il voulait faire un funambule accompli, Genet a conduit Abdallah à sa perte. Les deux hommes se sont séparés en 1962. Abdallah après une chute, sait qu’il va perdre Genet. Ce dernier continue à l’aider, mais vit désormais avec un autre jeune homme dont il veut faire un coureur automobile. En 1964, Abdallah se suicide, en se tranchant les veines et en ingurgitant le fameux Nembutal dont Genet s’est gavé des années durant. Autour de lui, les livres de son amour Pygmalion annotés, griffonnés. Du temps de leur amour, jamais Abdallah, qui ne savait ni lire, ni écrire, ne semblait s’être intéressé à l’oeuvre de l’auteur. Au fil des pages, une histoire d’amour et de fascination réciproque.
Rémi David nous entraîne dans le Paris des années 50, à travers l’Europe et le monde aussi. Les excès de Genet saturent les pages, sa quête d’absolu pour Abdallah aussi. Puis il y a la chute, la disgrâce, le désamour…
Une oeuvre de fiction cependant rappelle l’auteur qui s’est lancé dans une réécriture et ne s’interdit « ni de combler par la fiction les silences des biographies en inventant certaines scènes manquantes, ni de prendre des libertés avec les faits en faisant par exemple prononcer par Genet des paroles qu’il a en réalité écrites. »
Un roman qui ne peut prétendre au mieux qu’à la vérisimilitude. Et qui entraîne vraiment le lecteur, je trouve.
Extraits
Page 63 :« […] Genet avait fait sien le rêve du jeune garçon. A moins que ce ne fût l’inverse. Mais après tout, cela importait peu : il avait un nouveau projet et se sentait revivre. Lui qui ne créait plus depuis plusieurs années, après sa rencontre avec Abdallah, se met à écrire non pas un, non pas deux, mais trois textes à la fois : Le Balcon, Les Paravents et Les Nègres. Après la poésie et après le roman, il reviendrait par le théâtre dans l’arène. C’était une façon, à quarante ans passés, connu et reconnu, de se réinventer. Abdallah en était une autre. Dans aucun des deux cas, Genet ne ferait les choses à moitié. »
Page 92 :« […] Plus tard, il appela de Copenhague, avec une nouvelle à annoncer. Ils n’avaient toujours pas trouvé de professeur, pas plus à Vienne qu’à Paris. Cette affaire devenait le jour de la marmotte : un éternel retour du même au point que personne, nulle part, ne semblait capable ou désireux de former Abdallah à l’art des funambules. Genet avait donc pris une décision : c’était lui qui le formerait à marcher sur le fil, à six mètres de haut. C’était la solution, peut-être pas la meilleure, mais désormais l’unique.
Il n’était jamais monté sur une corde, en eût été bien incapable, mai il avait une idée précise de ce qu’il fallait faire pour y marcher, pour y danser. Ce serait un travail acharné, quotidien, exigeant, annonçait-il déjà au téléphone, mais le résultat serait là, il en était persuadé. »
Page 123 :« […] Quand il vint le rejoindre en Grèce, Abdallah pour Genet était devenu, déjà, un livre refermé. Elle est toujours cruelle, douloureuse et injuste, la perte des sentiments que l’on éprouve pour quelqu’un. Ils sont là, ils sont tout et soudain, sans qu’on y puisse rien, ils s’envolent, ne sont plus rien.
C’était entre eux, depuis cinq ans, une aventure. Une belle aventure, une aventure totale et périlleuse, artistique et humaine, amoureuse. Une aventure faite à la fois de joie, d’humour, de légèreté, de sérieux, de travail, de beauté. Tout comme écrire un livre, pour Genet, était une aventure… avant d’en vivre une autre, d’en écrire un nouveau. »
Mourir avant que d’apparaître, Rémi David, Gallimard, 18€.