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VIE CLANDESTINERentrée littéraire été 2022

Plonger dans l’épopée sanglante des militants gauchistes à travers une émission de radio, et imaginer un roman à partir de cela qui résonne avec une histoire personnelle enfouie qui a enfin refait surface… Tel est, très résumée, l’histoire du nouveau roman de Monica Sabolo dont j’avais beaucoup, beaucoup aimé Eden, publié en 2019.

Tout commence assez mal dans ce roman à la matière autobiographique. L’écrivaine (journaliste jusqu’en 2014), dans son appartement qui n’en finit pas de prendre l’eau, n’a pas vraiment le moral ni d’histoire à raconter. Et puis elle écoute un podcast de Philippe Drouelle, l’homme des Affaires sensibles sur France Inter. La vie des membres d’Action directe l’accompagne. La traverse, la transperce. Et trouve un étonnant écho en elle.

Autour de la fin tragique de Georges Besse, un soir d’automne 1986 à Paris, Monica Sabolo qui signe ici son septième roman, trouve matière à écrire. Et tisse, en parallèle,  une autre histoire : celle de son enfance et de son adolescence cossue puis désargentée entre Italie et Suisse, au coté d’un homme qu’elle croyait être son père. A l’aube de la trentaine elle apprendra que celui dont elle ne savait finalement pas grand-chose n’en était rien. Un homme qui a abusé d’elle.

 

De ces vies en cachette qu’elle croise, de cette violence et du secret, elle construit un roman dense et passionnant. Haletant. Sensible et politique à la fois.

On l’accompagne volontiers dans son enquête romanesque autour des vies de Nathalie MénigonJoëlle Aubron et leurs camarades de lutte armée. Une manière pour elle d’avancer et de pardonner. Un très bon roman, définitivement.

@La République du Centre

Jean-Marc Rouillan, Georges Cipriani, Joëlle Aubron et Nathalie Ménigon

 Extraits 

Pages 163-164 :« […] Je déterre et m’approprie ce qui, de même que les céramiques sacrées précolombiennes, les bijoux dont sont parés les squelettes, se devait d’être enseveli pour toujours et n’appartenir à personne, sinon à la terre et à l’obscurité. Je redoute la blessure que leur causera ce livre. Je suis une profanatrice. Une fois encore, je mène une double vie. 

Qui rembourse les dettes que la vie a contractées envers nous ? Qui se charge de nous rendre ce qu’elle nous doit, ce que l’on a payé, et paye encore ? Avec le temps se dessine la perspective que personne ne s’en acquitte jamais. Nul ne parle de cette chose-là. Ni ma mère ni mon frère ne l’ont jamais évoquée Chacun essaye de l’apprivoiser dans son coin. Mais désormais j’ai l’impression de me rembourser sur leur dos. Alors qu’ils me croient plongée dans le récit d’un groupe terroriste des années 80, je confectionne un engin sophistiqué, composé de papier, de nitroglycérine et d’une mèche à combustion lente, qui finira par tout faire sauter. »

Page 263 :« Après des mois d’enquête, j’ai toujours très peu d’éléments sur Nathalie Ménigon, et pourtant j’en sais plus sur elle que sur mon propre père. J’ai vécu auprès d’Yves S. depuis l’âge de trois ans, et l’ai connu jusqu’à ce qu’il sorte de mon existence, ou plutôt que je m’échappe de la sienne en claquant la portière d’une voiture trente ans plus tard, mais de lui j’ignore presque tout. J’ai en tête qu’il est né à Paris, parce que c’est inscrit sur mon acte de naissance, celui où il est indiqué qu’il m’a reconnue le jour où il a épousé ma mère. Je n’ai aucune idée de l’endroit où il a grandi. »

Pages 271-272 :« […] Je sais désormais que ce qui s’annonce n’est pas ce que je croyais. Je l’ai compris ce matin, en faisant les mêmes gestes que la veille, attrapant mon sac de voyage, dans lequel j’ai glissé mon carnet noir, un pull-over, et, ce qui me paraît soudain tout à fait incongru, un panettone pour Nathalie Ménigon. J’ai pris un panettone sans y penser, je réalise maintenant que c’est la spécialité de Milan, la ville où tout a commencé pour moi, il y a plus de quarante ans. J’ai compris ce matin que je n’allais pas rencontrer l’héroïne de mon roman, enfin pas seulement. Je ne vais pas non plus rencontrer une militante, ni une combattante, ni même l’ex-ennemie publique numéro 1, condamnée deux fois à la réclusion à perpétuité, notamment pour les assassinats de l’ingénieur général de l’armement, René Audran, en 1985, et du P-DG de Renault, en 1986. Non, je vais rencontrer Yves S. Et je vais lui poser les questions que je ne lui ai jamais posées. »

La vie clandestine, Monica Sabolo, Gallimard, 21€

 

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