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Rentrée littéraire

EDEN« Un esprit de la forêt. Voilà ce qu’elle avait vu. Elle le répéterait, encore et encore, à tous ceux qui l’interrogeaient, au père de Lucy, avec son pantalon froissé et sa chemise sale, à la police, aux habitants de la réserve, elle dirait toujours les mêmes mots, lèvres serrées, menton buté. Quand on lui demandait, avec douceur, puis d’une voix de plus en plus tendue, pressante, s’il ne s’agissait pas plutôt de Lucy – Lucy, quinze ans, blonde, un mètre soixante-cinq, short en jean, disparue depuis deux jours –, quand on lui demandait si elle n’avait pas vu Lucy, elle répondait en secouant la tête : « Non, non, c’était un esprit, l’esprit de la forêt. » »

Dans une région reculée du monde, à la lisière d’une forêt menacée de destruction, grandit Nita, une adolescente autochtone qui rêve d’ailleurs. Car là, entre la forêt et l’autoroute, la misère et la violence font aussi partie du décor. 

Jusqu’au jour où elle croise Lucy, une jeune fille venue de la ville, qui vit seule avec son père. Solitaire, aimantant malgré elle les garçons du lycée, celle-ci s’aventure dans les bois et y découvre des choses, des choses dangereuses…
Lucy en sera la victime. De quoi donner à Nita l’envie de s’enfoncer dans la forêt sombre et mystérieuse avec son amie et sa chouette apprivoisée que celle-ci a prénommé Beyoncé. Un espace dans lequel d’étranges agressions ont régulièrement lieu, menées par des animaux sauvages, étranges. Derrière les masques et les objets occultes, des jeunes femmes déterminées que Nita va apprendre à connaître. 

Monica Sabolo, âgée de 48 ans, est une journaliste et écrivaine française, d’origine italienne. Elle vit à Paris. Après « Le roman de Lili », elle signe avec « Jungle » son second roman.

Elle a reçu le Prix de Flore en 2013 pour « Tout cela n’a rien à voir avec moi ». Il y a deux ans elle publiait « Summer ».

Monica Sabolo a commencé à écrire ce nouveau roman après une déconvenue. En lice pour le Goncourt des lycéens avec « Summer », elle doit laisser la place à Alice Zeniter. Alors elle se met à écrire, sur la sauvagerie, sur l’espace, la forêt.  Un décor idoine pour son nouveau roman ­ qu’elle veut gothique. 

L’auteure s’intéresse alors de près à la Colombie-Britannique, dans le sud-ouest du Canada. Ses forêts, ses images, ses lacs… Le destin des femmes autochtones, descendantes des premiers occupants du territoire canadien – Amérindiens, Inuits et Métis n’y pas forcément une vie très heureuse. Et pour cause : elles sont surreprésentées parmi les personnes assassinées ou disparues.  Le thème de la disparition, déjà au coeur de son précédent roman, revient. Comme un boomerang. 

Extraits

Page 45 :« Tout le monde faisait des choses bizarres, à cette époque. Pendant l’année qui suivit l’arrivée de Lucy, et jusqu’à la nuit tragique de son agression – ou plutôt devrais-je dire la nuit de son viol, ce mot que personne ici ne prononce jamais -, les choses bizarres étaient même notre quotidien. 

Cette année-là, ma mère s’était mise à tirer les cartes. Elle avait commencé à le faire pour elle-même, après le départ de mon père, étalant son jeu sur le canapé qui ressemblait au radeau d’une naufragée, envahi de coussins en forme de coeur, de couvertures entortillées, de paquets de chips. Elle regardait longtemps les cartes alignées. On aurait dit qu’elle cherchait à voir des formes qui donneraient un sens au chaos de sa vie, une explication, un renouveau, un homme aux épaules carrées avançant vers elle sourire aux lèvres. »

Page 151 :[…] »Au Hollywood, c’étaient moins les hommes qui m’importaient que les filles, dont le regard me mettait au monde. Le soir, dans l’effervescence et le bruit, nous communiquions sans parler. De loin, Baby me tirait la langue, Diane ou Eli me touchait l’épaule en passant, et je me sentais plus protégée que n’importe où sur cette terre. Pourtant quelque chose grondait, une énergie enflait, remontant le long des murs. »

Page 266: « La nuit, je pensais à cette autre moi-même, celle qui était dans les bois, animée par une force irrésistible, un élan dont on pourrait prétendre, de façon romantique, qu’il s’agissait d’une soif de justice, ou de vengeance, mais ce serait mentir, il s’agissait d’autre chose, de plus trouble, de plus sombre encore, de plus inconséquent et de plus primitif, quelque chose évoquant la ruine, l’anéantissement, un entêtant instinct de mort. Peut-être que ce qui a déjà disparu ou est en train de disparaître sous nos yeux, nous appelle à plus de destruction encore. « 

« Eden », Monica Sabolo, Gallimard, 19,50€

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