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Rentrée littéraire été 2022

La rentrée littéraire approche ! A quoi ressemble-t-elle cette année ? Voici quelques chiffres évocateurs.  Comme nous l’explique Livres Hebdo, ce sont   490 romans qui vont paraître entre la mi-août et le mois d’octobre 2022 : le chiffre le plus bas depuis plus de 20 ans. Derrière cette baisse de 6% du nombre de romans publiés par rapport à 2021 (521), Livres Hebdo voit plusieurs explications :  la pénurie de papier, mais aussi les incertitudes liées au rapprochement entre Editis et Hachette.

Parmi les 345 romans français publiés, on compte cette fois 90 premiers romans (soit une hausse de 21% par rapport à l’année précédente). Quelques noms illuminent déjà ce nouveau rendez-vous littéraire : Virginie Despentes et son nouveau roman épistolaire, Amélie Nothomb, Olivier AdamGaëlle Josse ou encore Laurent Gaudé, l’un de mes auteurs préférés. Au-delà de l’Hexagone, ce sont notamment Toni MorrisonRussel Banks ou encore Jolie Otsuka qui publient un nouveau roman.

Cette fois encore, je partagerai avec vous mes découvertes et autres pépites à lire absolument. La première ? Stardust de Léonora Miano.

CVT_Stardust_4176Romancière, essayiste et dramaturge, Léonora Miano, quadragénaire, est née au Cameroun. Elle est aujourd’hui l’auteure d’une vingtaine d’ouvrages. Une femme et une plume engagée que j’avais interviewée durant l’été 2017 alors qu’elle vivait à Tours.

Dans Stardust, un roman qu’elle avait écrit il y a vingt ans, elle revient sur les quelques mois passés dans un centre de réinsertion et d’hébergement d’urgence du 19e arrondissement de Paris, rue de Crimée. Nous sommes en 1996. Louise et sa fille Bliss, ont échoué là. Louise n’a plus de domicile et pas encore pu renouveler son titre de séjour. Elle a quitté le père de sa fille, parce qu’il a menti, entre autres choses. La jeune mère d’origine camerounaise raconté ce qu’elle voit, ce qu’elle vit, ce qu’elle espère, ce qu’elle attend. Et ce qu’elle lit. La chance de Louise, ce sont les livres, ce sont ses études et ses aspirations.

Mais la réalité est rude. Au fil des pages, Louise met en exergue les images que toutes ces femmes migrantes se faisaient de la France… et la réalité qu’elles vivent, mères seules et désoeuvrées.  Léonora Miano, même si elle ne parle pas d’autobiographie, indique avoir mis de sa vie dans ce roman. Malgré les noms changés, malgré les omissions. La violence, elle, est palpable entre « les passagères », ces femmes qui transitent par le centre. La colère aussi.

A la différence des autres femmes hébergées dans le centre, Louise s’accroche à la littérature, à la poésie pour avancer et se défendre. Enfin intégrer une maison maternelle pour élever sa fille au mieux et pouvoir reprendre ses études. Elle pense beaucoup à sa grand-mère, Mbambe, qu’elle interpelle régulièrement.

 

Léonora Miano explique qu’au-delà des événements qu’il relate, Stardust évoque les raisons « pour lesquelles je vécus si longtemps en France où j’étais venue contre mon gré ». Et l’autrice d’évoquer encore « la rudesse des marges de la France » qui lui ont permis, en les fréquentant de connaître le plus intimement la France. A sa manière, Stardust évoque aussi l’impossible appartenance au groupe, le recours impératif à la création littéraire, artistique, pour tenter d’entrer en relation ».

 

Un roman fort. Décapant. Qui vingt ans après son écriture nous rappelle que la situation n’a pas évoluée.

Extraits

 Pages 96-97 : « […] Louise sent lâcher ses nerfs. Le désespoir a la dent dure. Le carrefour est inaccessible, l’aube hypothétique. Impossible de continuer à vivre sans rien décider. Elle aurait presque envie de faire des bêtises. N’importe quoi. Un truc qui se serait imposé, comme ça. 

Elle en a par-dessus la tête de cet agglomérat de femelles. Leurs conversations futiles. Leurs mesquineries. Leur souffrance. Leur inutilité. Leur lassitude. Ce qu’elles lui disent d’elle-même. Leurs addictions. Leurs défections. Leurs génuflexions devant des hommes qui n’en valent pas la peine. Leur violence. Leur attentisme. Leur impuissance. Leurs sautes d’humeur. Leur condition… Elle en a plus qu’assez de les voir se ruer sur des vêtements chics que viennent jeter d’autres femelles, nanties, pieuses et charitables, celles-là. Débordantes de cynisme, de mauvaise foi. Ras-le-bol des disputes. Des bagarres pour toutes sortes de déraisons. Des pets nocturnes. De l’onanisme gémissant. Du mal à vivre. Des insomnies. Des dérèglements hormonaux. Tant de ressemblances insoupçonnées. Tant d’inacceptables similitudes. »

Page 130 : « Louise sait qu’on la trouve agressive. Pas commode. C’est ce qu’on dit des personnes franches. Celles qui refusent d’avaler des couleuvres. Celles qui pensent, par exemple, que la fraternité n’a rien à voir avec tous ces bons sentiments. Que connaître l’autre, ce n’est pas se fabriquer une image de lui. Celle que l’on peut accepter. Celle qui n’ébranlera pas le confort intérieur. Louise évite de donner une conférence sur ces sujets. Crimée n’est pas en faveur de la liberté d’expression. Le verbe y est traqué, analysé, consigné dans des dossiers. Rapport en est fait à Madame C., l’invisible mais puissante directrice, qui saura le retenir contre celle qui l’aura proféré. »

Pages 194-195 :« Mbambe… 

Je ne suis plus ta petite-fille. Plus maintenant. J’aurais dû te le dire dès le début, mais je ne voulais pas en parler. Alors, j’ai triché. Tu ignores que je fais presque la taille 52, que j’ai perdu plusieurs dents. On aurait pu les soigner, mais je ne pouvais payer. On me les a arrachées. 

J’ai laissé trop de plumes dans mes mésaventures pour espérer t’étreindre comme avant. Je ne rentrerai pas. Il sera trop tard pour cela, lorsque j’aurai repris ce que la vie m’a dérobé. 

Je vais rester ici. Où j’ai connu des femmes enceintes qui craignaient les enfants, ne supportaient pas leur présence, les suppliaient de rester dans leur ventre, de ne pas venir au monde. Où j’ai vu mourir Véronique et Prudence, rencontré le fantôme de Virginie. Où mon nom ne signifie rien. Ici où je suis tombée, où je me relèverai.

Cela, je te le promets. Je marcherai debout. Et quand j’aurai marché, je signalerai ma présence à chacun. Pour que tu ne m’aies pas aimée en vain, rêvée en vain. Je ferai quelque chose. Et je serai libre. »

 Stardust, Léonora Miano, Grasset, 18,50€.

 

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