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Laure Gouraige a publié un premier roman (La fille du père) en 2020, que j’avais beaucoup aimé. La voici de retour avec Les idées noires avec une idée de départ pas banale. Je vous raconte ? « Vous vous réveillez un matin, vous êtes noire ». Voilà.

Autour de cette idée, le roman qui est écrit à la deuxième personne du pluriel (histoire que le lecteur se sente concerné), nous plonge dans la quête d’identité subite d’une traductrice de l’allemand. Tout commence par un message téléphonique laissé par un journaliste pour une émission de radio. Le message lui demande de témoigner du racisme anti-Noirs dont elle est victime. Notre héroïne est donc noire. Un détail qui lui aurait échappé ? On dirait. Ce message devient une obsession. Littéralement.

Née d’un père haïtien et d’une mère française ( comme Laure Gouraige), notre traductrice remet tout en cause. De ses cheveux à ses plats préférés. Jusqu’aux remarques de ses amis. L’humour est corrosif, le ton parfois clivant.

Lui suffira-t-il de se rendre en Haïti via les Etats-Unis où vit une partie de sa famille pour avoir des certitudes sur son identité, sur son sentiment d’appartenance ou pas ? Pas sûr.

Comme dans son premier roman, Laure Gouraige explore la question de l’identité. Si dans La fille du père, elle tentait de se défaire de l’influence paternelle, elle pose ici la question d’un héritage. Inconscient.

 Laure Gouraige explique la genèse de son roman ici :

https://youtu.be/WtCrOMECU1s

Extraits

Page 15 :« A vingt-neuf ans vous étiez sérieusement déprimée, l’approche de la trentaine ne promettait qu’unes perspective morbide. A trente et un an vous avez définitivement renoncé à vous pulvériser hors du bocal. Vous avez été recrutée comme traductrice. Allemand-français, s’il vous plaît. Vous avez un chat, il ne cohabite pas avec vous, au mieux, il vous tolère. L’amour que vous lui portez, votre habitat en lin, votre crisede la trentaine, votre monde prévisible, c’était cela votre identité. Aujourd’hui ce schéma vous presse mollement le ventre. »

Page 64-65 :« […] Le bricolage génétique qui vous a fait naître est un échec. Incapable de piocher dignement en Italie, vous auriez eu le teint plus jovial, les cheveux denses, le sourcil déterminé. Non, vous êtes pourvue des gènes blanc de blanc de votre mère. La cellulite, le cheveu cassant, vaguement gras, la jambe estampée de bleus, de pied plat. Aussi hasardeuse que soit la biologie, votre conception est un fiasco. Ce sont vos cheveux qui gagnent le trophée du ratage. Fins mais bouclés, plats sur le crâne, frisés dans la nuque, raides sur le devant, l’ensemble sème la confusion. Petite, le dimanche c’était le grand chambardement, votre mère s’attaquait au démêlage, vous trimbaliez vos cheveux livres. Les autres jours, pressée par l’école, vous les attachiez. Je les hais, vous répétez cela régulièrement que vous détestez vos cheveux. Je les déteste, je les déteste, je les déteste, je donnerais tout pour les changer. […] »

Page 127 :« Vous êtes bien laide ce matin. Il ne reste de votre supposé bronzage qu’une pelure repoussante. La crème After Sun a étouffé les cloques, néanmoins vous vous désagrégez. Dur, dur de vous promener à l’ombre, Miami vous sollicite au grand jour. Une ville gaie, verdoyante, vous êtes stupéfaite qu’elle soit si verte, le seul adjectif à votre disposition. Vous avez ressassé l’excursion au commissariat, le schnock paléontologue, le linoléum, les palmiers tout foutus, quand le détail le plus singulier vous a fait tressaillir. Lorsque le schnock vous a tendu son stylo, vous l’avez naturellement saisi de la main droite. Ultérieurement, c’est avec cette main que vous avez complété les premières lignes de son formulaire à la noix, puis coché la case other, entre deux protestations. […] »

Les idées noires, Laure Gouraige, POL, 17€

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