Flux pour
Articles
Commentaires

 

product_9782072860829_195x320

Erri De Luca je l’ai découvert l’an dernier, à travers un très joli livre, pudique, joyeux et si intime à la fois : « Le tour de l’oie ».

Alors, touchée au coeur par son écriture, je n’ai pas hésité longtemps avant d’ouvrir « Impossible », nouveauté de cette rentrée littéraire de l’automne.

« On part en montagne pour éprouver la solitude, pour se sentir minuscule face à l’immensité de la nature. Nombreux sont les imprévus qui peuvent se présenter, d’une rencontre avec un cerf au franchissement d’une forêt déracinée par le vent.
Sur un sentier escarpé des Dolomites, un homme chute dans le vide. Derrière lui, un autre homme donne l’alerte. Or, ce ne sont pas des inconnus. Compagnons du même groupe révolutionnaire quarante ans plus tôt, le premier avait livré le second et tous ses anciens camarades à la police. Rencontre improbable, impossible coïncidence surtout, pour le magistrat chargé de l’affaire, qui tente de faire avouer au suspect un meurtre prémédité.
Dans un roman d’une grande tension, Erri De Luca reconstitue l’échange entre un jeune juge et un accusé, vieil homme « de la génération la plus poursuivie en justice de l’histoire d’Italie ». Mais l’interrogatoire se mue lentement en un dialogue et se dessine alors une riche réflexion sur l’engagement, la justice, l’amitié et la trahison. »

 

Voilà pour la quatrième de couverture.  Au fil des pages, au fil du dialogue entre le magistrat et l’ancien activiste, un affrontement apparaît. Sous forme de questions et de réponses. Un interrogatoire qui se transforme, qui évolue en dialogue, en discussion. Mais deux générations s’opposent. Deux conceptions philosophiques aussi. Entre deux hommes. L’un d’eux n’a rien à perdre, aguerri, même à l’enfermement.

Pour adoucir le texte, Erri De Luca nous offre les lettres que le héros écrit, sans les envoyer, à celle qu’il aime depuis des années. Malgré l’engagement et ce qu’il implique.

Erri De Luca, aujourd’hui septuagénaire, a des obsessions que sont la justice, la liberté, le combat politique, la trahison, l’amour et la montagne. Elles transpirent de ses pages. C’est beau, c’est intense. C’est violent et puissant. Et divinement  bien écrit. Une introspection sur l’engagement et la culpabilité, qui éclaire.

Extraits

Page 33 :« […] Il me soupçonne d’avoir jeté cet homme du haut de la vire. Pour toi, peu importe que je sois coupable ou non. Tu m’as voulu tel que j’étais, tu ne t’es pas souciée de mon passé. Tu ne m’as rien demandé sur cette époque d’affrontements et de colères publiques. Je te suis reconnaissant de ta volonté : de faire que le passé commence avec nous deux. Celui que j’étais avant t’importe peu. Tu ne me quitterais pas si j’étais déclaré coupable. Nous en avons parlé un jour, de façon abstraite. Si je devais aller en prison tu ne viendrais pas me voir et tu m’écrirais pas, mais tu m’attendrais. Nous nous sommes même serré la main pour sceller notre pacte. »

 Page 97 :« Ammoremio, une autre lettre s’ajoute à celles non expédiées. Je reste en isolement, ainsi il n’y a aucune possibilité de recevoir des visites. Je n’en souhaite pas, pas plus que des lettres. C’est un lieu pour hommes seuls, un couloir de cellules individuelles, de monastère, sans prières. Les moines d’ici s’en remettent aux avocats, ce sont eux qui s’occupent des prières. 

Mon affaire est expérimentale. Pousser un homme à avouer un crime politique, le dernier ajouté à une époque expirée. On veut me persuader qu’ainsi se termine un registre d’actes judiciaires. L’aveu d’une vengeance politique servirait à fermer une parenthèse reste ouverte jusqu’à aujourd’hui. Car aucun de ceux qui ont trahi leurs propres camarades n’a été atteint par une vengeance. Le plateau de la balance reste incliné. »

Page 119 :« […] Q. Je vais vous le dire. Cet homme sur la vire de Bandiarac vous à précédé intentionnellement, en sachant que vous iriez à cet endroit. Et, une fois arrivé, il s’est retourné et il est venu au-devant de vous. Vous vous êtes trouvé en face de lui et vous n’avez pas compris ce qui se passait jusqu’à ce qu’il vous dise son nom. Il était là pour mettre à l’épreuve votre réaction dans un endroit inévitable. Il vous avait traqué. A quelle réaction s’attendre ? Tout était possible, de la lutte à la réconciliation. Vous avez réagi en sachant que se jouait la vie d’un seul ou celle de tous les deux. Que s’est-il passé, dites-le-moi ?

R. Etant sûr, pour ma part, que ça n’est pas arrivé, je continue à ne pas savoir comment j’aurais réagi. » 

Q. J’insiste. C’est arrivé. Vous ne le suiviez pas, mais lui vous précédait. Vous me l’avez dit dans le premier interrogatoire que je suis allé relire. Vous me disiez déjà comment ça s’était passé : c’était cet homme qui vous précédait. »

« Impossible », d’Erri De Luca, Gallimard, 16,50€

 

Laisser un commentaire

*