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Rentrée littéraire 

 

SOUPLESSE OS

On poursuit notre découverte des livres de la rentrée ? Cette fois, on prend le large et on traverse le Canada jusqu’en Colombie-Britannique. Pas à Victoria ou à Vancouver, non. Aux confins des plus petites villes du côté de Kootenay Valley. Dans la campagne, dans la forêt. Au bord des lacs.

Là, on suit D.W. Wilson, un auteur trentenaire qui, après un premier roman, signe là un recueil de nouvelles passionnant, « La souplesse des os ». 

C’est là que nous croisons une dizaine de personnages qui, au fil de ce recueil de douze nouvelles, se croisent. Se quittent. Se battent. S’expliquent. Ou, au contraire, ne trouveront jamais les mots…

Des pères et leurs fils, des amis, des frères… Un monde où les hommes sont rudes, taiseux, virils… et pas toujours fins. Vulnérables aussi. Mais également dignes, obstinés.

Les bonnes intentions se transforment parfois en échecs cuisants, les non-dits gâchent des vies…

Au final, des histoires qui, mises bout à bout, peuvent se lire comme un roman ou, au choix, comme une succession de bouts de vie rondement menée. Bien écrites.

 

QUEBEC

Dans un parc, au Québec, que j’ai arpenté en septembre 2017.

 

Extraits

Page 64 (« Sédiments ») : […] « Mais c’est l’été, que voulez-vous. L’été comme moi, je le vis. Ces nuits-là sont courtes et certains soirs, je m’endors, je me réveille et je rêve, sous mon porche, en attendant que l’aube taquine la cime des montagnes. Bellows est le seul à avoir jamais pris ma défense. Même mon père, paix à son âme, n’a jamais eu ce cran-là. Lorsque la nuit bat en retraite et que l’aube se pare de cobalt, je regagne ma maison d’un pas traînant et je mets de la musique pour chasser la solitude. Je me sers un verre. Il reste certainement des choses que Bellows et moi, on a enfouies en nous, mais ce bateau-là, si je reprends une expression paternelle, est rentré au port. 

Voilà comment j’imagine nos adieux : la veille de son départ on monte dans la Camaro et on fonce comme des dingues à travers la carrière tous phares éteints, et on braille, on se marre, on s’embrasse et on multiplie les dérapages contrôlés et à la fin on a soulevé tellement de gravillons qu’on croirait qu’une tornade est passée derrière nous. »

Page 110 (« C’te crevure de vache ») :[…] Le plan de Biff : localiser le gamin en passant le lac gelé au peigne fin, quitte à retourner toute la Colombie-Britannique, même les étendues glacées du Grand Nord s’il le fallait, et lui mettre une petite tape sur le genou. C’était le minimum : personne d’autre n’avait jamais levé le petit doigt pour lui sauver la vie. Car le gamin lui avait sauvé la vie, oui, sur une exploitation agricole dans les Prairies, et il n’avait pas plus de treize ans à l’époque. Biff avait déjà frôlé la mort, plus d’une fois – il avait failli se noyer dans la rivière Kicking Horse et chopé une pneumonie gravissime à onze ans –, mais seul le gamin s’était jeté sous les sabots d’un taureau déchaîné, pour reprendre le proverbe, à deux trois détails près. »

Page 180 (« L’écho au fond de la vallée ») :« […] Winch atteignit un point de non-retour. Une énorme pression le propulsa vers l’avant. Son père portait un T-shirt gris au tissu élimé et au col troué, un jean aussi crasseux que celui d’un poivrot. Il avait les yeux rougis, fous, exorbités. Winch avança à grandes enjambées, chassa du pied une pile de livres et, prenant son élan, il se rua sur son père, le saisit par le cou et le plaqua contre le mur en Placoplâtre. Il banda ses muscles et son bras nu, perlé de gouttes, se raidit. Son père agrippa l’étau de ses doigts, tira dessus. La scène de bagarre entre ses parents à laquelle il avait assisté se rejouait, les pupilles de son père qui s’étrécissaient, ses gestes qui devenaient frénétiques. 

Winch gifla son père du revers de la main, si fort qu’il s’ouvrit les jointures des doigts. »

« La souplesse des os », D.W. Wilson, Editions de l’Olivier, 23 euros. 

 

 

 

 

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