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Ne jamais oublier. Ni les faits, ni celles et ceux qui en ont été les victimes. Scholastique Mukasonga en a pris le parti. A 60 ans, celle qui est désormais française, garde au coeur et dans la tête toute son histoire rwandaise.

Dans « Un si beau diplôme ! », elle revient à nouveau sur son histoire avec, cette fois, un récit. Sensible et fort à la fois.

Elle, la petite fille tutsie malmenée par l’histoire des hommes de son pays, déportée au Burundi, s’est accrochée aux rêves de son père pour décrocher un diplôme. « Un beau diplôme, c’est ce qui te sauvera de la mort qui nous ait promise « , lui a-t-il dit. L’émancipation de sa fille, il le sait, passera par l’école. Elle sera assistante sociale. Coûte que coûte.

« Le français m’a sauvée », explique d’ailleurs l’auteure dont l’oeuvre a déjà croisé la route de Quatrième de couv. C’était ici.

De son enfance, aux longues années passées au Burundi en exil en poursuivant par son passage à Djibouti où elle a suivi  celui qui deviendra son mari, puis la France et plus précisément la Normandie où elle vit désormais, Scholastique Mukasonga explore à nouveau son passé. De la fierté de ses racines à sa « rage » de parvenir au but. Son obstination lui sauvera la vie.

Au fil des pages, les anecdotes se succèdent. Racontent un pan de l’histoire africaine contemporaine.

Le génocide des Tutsis par les Hutus, elle l’apprendra alors qu’elle ne vit plus au Rwanda, qu’elle (re)passe son diplôme dans une école normande (grâce à un appui ministériel, dont elle ne déflore rien, lui permettra d’avoir sa chance). Une trentaine de membres de sa famille y a péri. Un drame dont elle garde les stigmates au plus profond d’elle-même. Alors elle écrit. Pour eux. Pour elle.

 

Extraits

Page 28 :« C’est avec une ardeur dont rien ni personne n’aurait pu me distraire ni me décourager que j’entamai cette nouvelle et dernière année à l’école d’assistantes sociales de Gitega. J’avais hâte de décrocher ce diplôme qui me permettrait de trouver un emploi et d’avoir un salaire grâce auquel je pourrais enfin aider mes parents et frères et soeurs restés dans la misère de Gitagata, où la terre s’appauvrissait d’année en année et où le spectre d’un massacre annoncé hantait leurs jours et leurs nuits. »

Page 105-106 :« Mes enfants grandissaient, leurs petits copains étaient français, l’aîné entrait à l’école française. Je me refusais à leur parler en kinyarwanda. Ils me le reprochent amèrement aujourd’hui : “Maman, pourquoi ne nous as-tu pas appris le kinyarwanda ? Ne sommes-nous pas nous aussi rwandais ? Nous avons honte quand nous allons au Rwanda voir nos cousins et nos cousines. Que pensent-ils de nous ? que nous méprisons leur langue ? ” A cette époque, j’avais peur pour mes enfants. La langue est une identité, et cette identité, on me l’avait niée. Elle était devenue une menace de mort. Je voulais leur épargner cette menace, qui semblait planer sur eux comme elle planait sur moi. Je voulais les éloigner de mes cauchemars. Je ne voulais pas qu’ils soient tutsi. »

Page 245 :« Aujourd’hui encore, je déplie le carton jauni de mes diplômes d’assistante sociale, le burundais, le français, qui n’en font plus qu’un dans ma mémoire, ce diplôme que j’ai tant désiré et tant haï, ce diplômes que je croyais enfin posséder et qui m’échappait toujours, qui disparaissait pour réapparaître telle une grossesse nerveuse. 

Et je n’ose pas me poser la question : n’y avait-il pas mieux à faire que de m’entêter à courir après un bout de papier ? »

 « Un si beau diplôme ! », Scholastique Mukasonga, Gallimard, 18 euros.

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