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Au bord de la mère…

 

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Alors que vous avez étalé votre serviette de plage sur le sable, avez-vous pensé à apporter le livre qui pourrait s’accommoder de ce moment ? A la rentrée littéraire de la fin de l’été 2017 était sorti « Souvenirs de la marée basse », de Chantal Thomas. Les critiques lues et entendues à l’époque donnaient envie. Ce n’est pourtant qu’en ce mois de juillet que j’ai pris le temps de plonger dedans. Plonger, justement.

Au fil des pages, Chantal Thomas, dont je n’avais jusque-là jamais rien lu, puise dans son histoire familiale et personnelle pour brosser le portrait d’une femme, sa mère, Jackie. Une femme particulière. Libre de ses mouvements. Restée enfant. Une nageuse hors-pair, insatiable, mais une femme demeurée fragile.

Adolescente, Jackie s’est baignée dans le grand canal du château de Versailles. Acte fondateur d’une légende aquatique. C’est en installant  à Arcachon avec ses parents Eugénie et Félix que Jackie vivra sa passion au quotidien. Des heures durant.

Une passion et une gourmandise pour la liberté qu’elle ne transmettra pas immédiatement à sa fille, Chantal, née d’une union avec un dessinateur industriel aussi sportif que silencieux, mort prématurément à l’âge de 43 ans.

Chantal ne nage pas de manière académique. Elle le sait. Elle apprendra. A Arcachon, où elle grandit à côté d’une mère absente à elle-même, elle fera partie des « enfants de la plage », ceux qui, tout au long de l’année, profitent de la mer et des jeux qui y sont associés. Avec Lucille, vacancière estivante, Chantal se souvient avoir fait de la ville aux quatre saisons un formidable terrain de jeu marin.

Et raconte, au fil de petits chapitres vifs et à partir d’un orage pendant un bain de mer à Nice, la relation compliquée qu’elle a entretenue avec sa mère, « femme oublieuse » des histoires et des autres en général.

De la région parisienne au bassin d’Arcachon avant Menton puis Nice, la vie de Jackie se décline en longueurs et brasses. Loin des contingences matérielles assumées par ses parents, son mari et sa fille.

Le roman d’une relation mère-fille compliquée, les phases de distance et de fusion en alternance.

Un roman qui s’inscrit « directement en continuité » de précédents opus de l’auteure, qu’il s’agisse de « La vie réelle des petites filles » ou encore « Cafés de la mémoire ».

Un roman sensible et très finement écrit. Un vrai plaisir de lecture. Sur la plage… et ailleurs ;-)

Extraits

Pages 34-35 :« Il fait chaud cet été à Charavines, tandis que la France depuis le 8 Mai célèbre la Libération, ou plus exactement panse ses plaies. Sur ce qui pouvait se passer dans le reste de la France, en Europe, dans le monde, elle n’a jamais pu me dire un mot. Elle est aussi inarticulée sur le sujet et loin des événements que les poissons du lac. Elle est avec les tanches, les carpes et les truites dans leur avancée instinctive, leur sensation de profondeur et légèreté, leur vision aveugle, une algue frôlée, le clapotis d’une barque, la tempête d’un coup de rame. Elle nage avec les poissons; comme je nage avec elle. Jour après jour, elle s’abandonne à l’eau du lac et moi au liquide amniotique. J’habite son rythme. Ensemble, nous flottons. 

Il n’y a rien d’autre dans cet épisode : elle est enceinte de moi, elle nage, elle rêve sur la couleur de mes yeux. 

A peine un épisode, plutôt une évocation. Et à la différence de ses séjours de vacances à Arcachon où il m’est facile de l’imaginer qui sort de l’eau et court vers la serviette que lui tend sa mère, là, durant cet été où elle m’attend, je n’imagine personne sur la rive. »

Page 120 :« Ce matin – est-ce d’avoir écrit la veille “jubilation en mode nageur ” et d’avoir cherché des mots pour approcher la pleine euphorie de nager, comme on dit “la pleine mer ” ?  – mon bain est d’un parfait bonheur. Je le sais dès le premier contact avec l’eau, quand après avoir descendu la petite échelle métallique fixée dans les rochers, je marque un arrêt. »

Page 161 :« Ses baisers, condensés d’écrits dont elle économise ainsi la lente formulation, me semblent une forme de sténo. Ils me satisfont. Dans le jeu symétrique de nos envois, ils me permettent de rester, comme elle, à un niveau d’échange facile, à perpétuer le registre d’évitement grâce auquel l’histoire bancale entre nous reste non dite, incertaine, susceptible de changements. 

Ma mère est l’anti-marquise de Sévigné, et c’est tant mieux, me dis-je en extrayant de l’étroite boîte à lettres métallique de mon immeuble sa dernière carte postale. »

 « Souvenirs de la marée basse », de Chantal Thomas, Seuil, 18 euros.

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