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Voilà encore un roman devant lequel j’aurais pu passer sans le voir. Grave erreur ! Heureusement, mes deux libraires préférées ( à Tours et à Quimperlé, en Bretagne) m’ ont, chacune à leur tour, vanté les talents de Christian Guay-Poliquin, qui signe avec « Le poids de la neige », son deuxième roman, largement primé de l’autre côté de l’Atlantique ( dont le prix France-Québec).

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Dans son premier roman déjà, une panne d’électricité faisait partie du décor, de l’histoire. On la retrouve ici, en plein hiver, dans une petite bourgade déjà isolée qui, pendant les longs mois de l’hiver canadien, va se retrouver totalement coupée du monde.

De quoi exacerber les tensions, de faire naître aussi des solidarités, parfois de façade seulement.

L’histoire ? Elle est simple. Et tragique. Un homme, qui a quitté le village depuis dix ans, visiblement en mauvais termes avec son père, revient. Il sait que ce dernier est en train de mourir. Il reviendra trop tard cependant et est victime d’un accident, grave. Les jambes écrasées, il ne peut être évacué ni réellement pris en charge à cause de la neige, de la panne d’électricité.

C’est Matthias, lui aussi échoué là depuis déjà plusieurs semaines, qui va devoir prendre en charge le blessé. Il le soigne, le nourrit et pourra ainsi espérer regagner la ville et sa femme qui l’attend ( c’est en tout cas ce qu’il dit) dès le premier convoi organisé, au printemps. A l’écart du village, les deux hommes vont devoir cohabiter.  C’est l’homme blessé qui raconte.  Il n’a pas encore recouvré l’usage de la parole ni celui de ses jambes. Matthias, sexagénaire ou septuagénaire, veille sur lui. Il y a aussi des visites, celles de Maria la vétérinaire, de José, de Joseph, d’autres encore qui voient dans le jeune homme secouru, mécanicien de métier, l’occasion de pouvoir enfin fuir…

D’une cohabitation non choisie qui n’est pas simple va naître une complicité laborieuse. Mais il y a la neige, le silence, le temps qui passe et cet hiver qui n’en finit pas. Il y a les rancoeurs, les petites trahisons, les larcins et ce quotidien colmaté qui les tue à petit feu…

 

Dans une ambiance devenue menaçante, le fascinant décor devient mortifère au fil des pages. La tension narrative est palpable. Chaque geste est pensé, pesé. Tout compte. Un roman fascinant. Vraiment.

Ici, une vidéo dans laquelle l’auteur explique son intention d’écriture : 

 

Extraits

 Page 18 : « Je connais pourtant ce décor par coeur. Je l’observe depuis longtemps. Je ne me souviens plus vraiment de l’été, à cause de la fièvre et des médicaments, mais j’ai vu le lent mouvement du paysage, le ciel gris de l’automne, la lumière rougeoyante des arbres. J’ai vu les fougères se faire mâcher par le givre, les hautes herbes casser à la moindre brise, les premiers flocons se poser sur le gel gelé. J’ai vu les traces laissées par les bêtes qui inspectaient les alentours après la première neige. Depuis, le ciel n’en finit plus d’ensevelir le décor. L’attente domine le paysage. Et tout a été remis au printemps. « 

Page 52 : « Avant la neige, tu ne voulais rien avaler et voilà que tu manges comme un goinfre. Comme un porc. Souvent, j’ai eu peur que la fièvre t’emporte. Mais tu t’en es sorti à chaque fois. Tu es mon obstacle, mon contretemps. Et mon billet de retour. Tu as beau rester de glace, je sais que tu t’accroches désespérément à mes phrases. Tu supportes peut-être bien la douleur, mais tu crains la suite. Alors je te raconte des choses. N’importe quoi. Quelques éclats de souvenirs, de fantômes, de mensonges. Chaque fois ton visage s’éclaircit. Pas beaucoup, mais un peu. Le soir, je te parle aussi de mes lectures. Longuement parfois, jusqu’à ce que l’aube chasse la nuit. « 

Page 169 :  » Tu devrais peut-être t’étendre sur le divan, lui dis-je doucement. 

Ses yeux s’ouvrent alors comme les tisons d’une forge sous les coups d’un soufflet. 

C’est toi qui me dis quoi faire maintenant ? C’est toi qui me maternes ? C’est toi qui décides désormais, qui commandes ? Tu boites peut-être, mais tes plaies se sont bien refermées. Tu n’as plus besoin de moi, c’est ça ? Ma présence t’encombre, te dérange, et tu cherches à me le faire comprendre. Tu vas mieux, certes, mais qu’est-ce que tu comptes faire maintenant ? Tu as quelque part où aller ? Tu veux rester ici ? La neige s’accumule, la nourriture manque et les gens désertent le village. Je ne peux pas croire que je suis encore ici, vocifère-t-il entre ses dents, je ne sais même plus comment tout cela est arrivé. 

Ses pupilles convergent dans ma direction, comme un viseur qui me garde en joue.

C’est de la faute, tout est de la faute ! »

 

 « Le poids de la neige », Christian Guay-Poliquin, Les éditions de l’Observatoire, 19 €.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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