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LOUPS OKUne histoire étrange. Vraiment. Et un premier roman extrêmement réussi, parce que dérangeant, et comme je le disais, étrange. Une histoire de loups, donc. Reste à savoir qui ils sont vraiment… L’histoire ? C’est celle de Madeline, une jeune fille de 15 ans qui vit dans le Minnesota. Elle vit dans une cabane très mal équipée au fond des bois. Ses parents ont, autrefois, vécu dans une communauté. Avant de tout recommencer autrement. Mais toujours à l’écart des autres.

Madeline a grandi comme ça. Débrouillarde, sauvage et différente. Chaque jour, l’adolescente pauvre férue de la vie des loups, avale des kilomètres à pied pour aller en cours. Et s’enfuit dans les bois et sur les lacs dès que possible. A l’écart. Sa vie change avec l’arrivée d’une famille dans la maison de l’autre côté du lac. Un couple d’intellectuels ( Leo, un enseignant-chercheur et Patra, son ancienne élève ) et son fils, le petit Paul.

Madeline, qu’ils ne connaissent que sous le prénom de Linda, va peu à peu entrer dans ses trois vies. Linda va garder le petit Paul et pénétrer dans l’intimité de cette famille atypique où un drame se joue. Derrière l’image d’une famille moderne, le carcan de la religion(Leo est un scientiste chrétien de la troisième génération) et, in fine, la mort pourtant évitable du petit Paul.

Au fil des pages Madeline, désormais adulte, se souvient. Raconte les heures passées auprès d’eux, le procès qui suivra la mort de l’enfant, aussi. Des flashs-backs qui permettent de reconstituer cette vie à l’écart, au milieu des années 80.

Un roman très bien écrit, sensible et dérangeant par la personnalité de Madeline, trop souvent livrée à elle-même, par celle de Leo, intransigeant dans sa foi, et celle de Patra, empêtrée dans ses contradictions.

 

Extraits

Page 68 : » Je jetai un oeil sur la mère et vit qu’elle avait le menton boutonneux, les sourcils épilés. Il y avait du vomi sur sa veste Teddy et une paille Pixy Stix dépassait du coin de sa bouche, comme une caricature de paysan mâchonnant un brin d’herbe. Elle aurait pu être n’importe laquelle des Karens de ma classe d’ici quelques années, et quand je m’en rendis compte j’eus envie de rire, mais pas parce que c’était drôle. Les filles qui restaient à Loose River après le lycée tombaient enceintes et se mariaient à dix-huit ans avant de s’installer dans le sous-sol de leurs parents ou dans un camping-car au fond du jardin. Voilà ce qui arrivait quand on était suffisamment jolie pour devenir pom-pom girl, mais pas suffisamment intelligente pour aller à l’université. Et si on n’était pas suffisamment jolie, on trouvait un emploi dans un casino ou une maison de retraite à Whitewood. » 

Page 131 :  » Plus tard, en vue de l’audience, ils me demanderaient sans cesse pourquoi je n’avais pas posé plus de questions dès le début. Qu’avez-vous pensé du Dr Leonard Gardner lors de votre première rencontre ? Comment décririez-vous le couple en tant que parents ? Quel genre de soins prodiguaient-ils ? Il me serait difficile d’expliquer que je n’avais pas posé de questions parce qu’ils étaient tous deux exceptionnellement, presque insupportablement gentils. Quand « Paul se met à parler des grands voiliers avec entrain, Patra lui apporta un verre de jus ambré et s’agenouilla devant lui. Il descendit le jus en un temps record, tendit le verre à sa mère. Mais elle ne se releva pas tout de suite – elle posa la tête sur ses genoux recouverts de l’édredon. Leo lui caressa les cheveux et Paul fit de même, avec sa main gantée. J’avais honte d’être témoin de cette scène, pourtant je n’arrivais pas à détourner le regard. Je ne pouvais rien faire d’autre que rester là en silence, suivant le tracé rugueux des griffures laissées par le chat sur mes bras. »

Pages 260-261  : « Accusés d’homicide, les Gardner furent acquittés par dérogation religieuse trois semaines plus tard. Je cessai de m’informer sur leur compte après la conclusion du procès de Whitewood. Ma déposition faite, je rentrai avec ma mère dans le pick-up emprunté, mangeai trois sandwichs au beurre de cacahuètes à la suite et partis pêcher des brochets. Pêchai, pris ma première cuite, oubliai. La cabane de l’autre rive resta inoccupée pendant plusieurs mois ; je n’y suis jamais retournée, je ne me suis pas arrêtée pour regarder les nouveaux propriétaires installer leur barbecue et leur filet de badminton l’été suivant. »

 « Une histoire des loups », Emily Fridlund, Gallmeister, 22,40 euros.

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