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Rentrée littéraire

FURIES

 

Ce roman, le troisième de Lauren Groff, fut le livre préféré de Barack Obama en 2015. Oui, je sais, ça ne suffit pas à en faire un bon roman. Heureusement !

Mais il y a tout le reste. L’histoire, la construction de celle-ci au fil des pages et des fantaisies du narrateur.

Nous voilà en Californie. Lancelot, que tous surnomment Lotto est un garçon bien loti. Sa mère, Antoinette, ancienne sirène star d’un spectacle ( toujours appelée « manman », et son père, Gawain, qui a fait fortune dans l’eau minérale, chérissent leur fils. Jusqu’au drame.

La mort brutale du père. Lotto devient un adolescent fuyant, compliqué… alors que sa mère qui attend une fille, Rachel, sombre dans la bigoterie et la mauvaise nourriture. Sallie, la soeur de Gawain, va tout prendre en main.

La nuit qu’il passe avec une fille ( qui tombera enceinte) signe la fin de l’insouciance. Sa mère l’envoie en pension. Une mise à l’écart sine die.

Lotto apprend seul à grandir. Devient un étudiant avide de sexe, d’alcool et de drogue. Jusqu’à sa rencontre avec Mathilde. Il a 22 ans. Quinze jours plus tard, ils se marient. Lotto est déshérité. Et pour cause.

Elle, la mystérieuse orpheline,  est froide, quand Lotto est solaire. Certains de leurs amis parient sur la durée de leur histoire. Sans savoir quels arrangements les soudent…

Tout en suivant au plus près le délitement de ce couple qui semblait pourtant si parfait, une deuxième histoire se laisse découvrir.  Il y a eu mensonge. Chacun va y aller de sa petite vérité. Et la mort de Lancelot va lancer les hostilités.

C’est Mathilde ( née Aurélie dans la région de Nantes avant d’être envoyée malgré elle chez un oncle qui vit aux Etats-Unis) qui tire les ficelles. Qui gagne l’argent du ménage quand Lotto, comédien, va d’échec en échec. C’est encore elle qui poussera son mari à poursuivre dans l’écriture. Devenu dramaturge après qu’elle y a mis sa patte, il devient très célèbre. C’est encore elle qui, à intervalles réguliers, tient Antoinette à distance de son fils.

Les rebondissements se multiplient sous l’oeil goguenard de Shakespeare dont Lotto est un inconditionnel. Un régal.

Extraits

Page 91 : « Il devenait de plus en plus ordinaire, songea-t-elle. Banal.  S’il n’y  prenait garde, une gentille fille lui mettrait le grappin dessus, Sallie le sentait, et Lotto se laisserait glisser vers le mariage, vers un travail sans intérêt mais bien payé, une famille, des cartes de voeux, une maisons sur la plage, l’embonpoint lié à l’âge, les petits-enfants, trop d’argent, l’ennui, la mort. Dans sa vieillesse il serait fidèle et conservateur, aveugle devant ses privilèges. Quand Sallie cessa de pleurer, elle s’aperçut qu’elle était seule, un courant d’air froid filtrait par la fenêtre jusque dans son cou, deux rangées de portes de part et d’autres qui allaient, diminuant, jusqu’au néant à l’autre bout. [… what fun it is to ride and sing a sleighing song tonight, oh !] Mais dieu soit loué ! Mathilde était apparue ; et même si au début, elle avait semblé le portrait craché de la gentille fille redouté par Sallie, en réalité, elle ne l’était pas. Salleie percevait sa dureté de granit. Mathilde saurait sauver Lotto de sa propre paresse, avait-elle pensé ; hélas, des années plus tard, Lotto demeurait un homme ordinaire. « 

Page 258-259 :

Oui, ma chère. C’est très raisonnable de votre part d’accepter cet arrangement. C’est un bon paquet d’argent, assurément.

Non. Je voulais dire, ça va être merveilleux d’imaginer tout ce que je pourrai mettre en oeuvre pour que votre fils demeure loin de vous. Ce sera notre petit jeu. Vous verrez. A toutes les vacances, tous les anniversaires, toutes les fois où vous serez malade, une nécessité urgente contraindra votre fils à rester auprès de moi. Oui, il sera auprès de moi, et pas de vous. C’est moi qu’il choisira, pas vous! Manman – Lotto vous appelle manman, alors je ferai de même –, tant que vous ne m’aurez pas présenté d’excuses, que nous n’aurez pas décidé d’être gentille, vous ne le reverrez pas.” Elle raccrocha avec douceur, puis débrancha le téléphone et retourna prendra un bain car son tee-shirt était transparent de sueur. »

Pages 271-272 :« A un moment, malgré son intelligence et son art d’administrer les choses, elle était devenue une épouse, et les épouses, nous le savons tous, sont invisibles. Les elfes de minuit du mariage. La maison à la campagne, l’appartement en ville, les impôts, la chienne, tout cela relevait de sa responsabilité : il n’avait aucune idée de la manière dont elle organisait son temps. A tout ça auraient pu s’ajouter des enfants ; dans ce cas, elle était heureuse de ne pas en avoir eu. Et il y avait ceci encore : pour nombre de ses pièces, au moins la moitié, elle s’était faufilée en silence la nuit dans son bureau pour retravailler ce qu’il avait écrit. [ Elle ne réécrivait pas;  elle coupait, affinait, mettait en valeur. ] Elle s’occupait en outre de toute la gestion, de tous les aspects non créatifs de son travail ; elle imaginait avec horreur tout l’argent qu’il aurait laissé s’évaporer par négligence ou gentillesse. »

 « Les Furies », Lauren Groff, traduit de l’anglais par Carine Chicherreau, Editions de l’Olivier, 23,50€.

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