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  RentrARTICLE TANGUYée littéraire

Pas le titre le plus glamour ni le plus incitatif du monde, je vous l’accorde ! Et pourtant. Avec  » Article 353 du code pénal », Tanguy Viel nous revient en pleine forme.

Après « La disparition de Jim Sullivan », dont vous pouvez trouver le post ici l’auteur nous livre cette fois un polar social avec vent de force 10 !

Retour à Brest, dans ce bout de Finistère venteux, pour le quadragénaire installé désormais dans le Loiret après l’avoir été en Bretagne donc mais aussi à Bourges, Nantes et Tours ( où il passait du temps avec un autre écrivain de l’honorable maison des Editions de Minuit, un certain Laurent Mauvignier qui en parle d’ailleurs ici).

 

A Brest donc, ou plutôt en face de la rade. C’est là, sur un bout de terre désormais sinistré ( l’activité de l’arsenal est moribonde) que se trame l’histoire. Dès les premières pages, on a le nom du cadavre, de l’assassin aussi, d’ailleurs. Une affaire rondement menée !

Reste à comprendre comment Martial Kermeur, licencié de l’arsenal, divorcé et père d’un enfant âgé alors de 10 ans  (Erwan), va finir par jeter par-dessus bord un certain Antoine Lazenec promoteur immobilier véreux de son état. Six ans plus tard, c’est dans le cabinet du juge d’instruction que Martial Kermeur s’explique. Longuement. Précisément. Un huis clos pour comprendre comment un type banal a pu en arriver là.

Et tout y passe. Le licenciement, évidemment ( avec, à la clé, la prime de 500.000 francs, nous sommes à la toute fin des années 90, qui servira à investir dans un appartement dans la résidence qui n’existera jamais que sur le papier) ; la séparation d’avec France, la mère de son fils ; la garde de ce dernier, qui va grandir en comprenant que son père s’est fait avoir dans les grandes largeurs et le vengera à sa manière ;  le sentiment de Kermeur d’avoir été floué, trompé par ce Lazenec qui portait beau et faisait miroiter fortune et développement économique à tous, et même au maire Martial Le Goff ( qui finira par se suicider, il avait englouti les économies de la commune dans le projet).

Kermeur et Le Goff, aux convictions socialistes bien ancrées, ont cédé au chant des sirènes… Mal leur en a pris.

Martial Kermeur a d’ailleurs l’impression d’avoir produit « un enchainement de mauvaises réponses à un grand questionnaire ».

De la petite maison de gardien qu’il occupait à l’ombre du  » château « , qui sera finalement démoli pour rien, Martial Kermeur a finalement compris (au bout de six ans !) qu’il ne pourrait jamais s’offrir le bateau de ses rêves pour s’en aller à la pêche. Une tempête intérieure s’est formée en lui. Jusqu’au meurtre.

Face à ce quinquagénaire floué, un juge attentif et pour le moins… compréhensif. Je vous laisse découvrir.

Entres responsabilité individuelle et choix moral, Tanguy Viel nous livre un roman bien mené. Une fois de plus.

Extraits

Page 21 : « Puisque donc il avait cela, des projets. Et voyez déjà le genre de type que c’était, j’ai dit au juge, un type qui avait des projets.

Ici, je peux vous dire, ce n’est pas un mot qu’on entendait très souvent ces dernières années, vue peut-être l’état des forces en présence, vu les cinq mille habitants un peu las de la presqu’île, ici, je ne sais pas si on peut dire plus qu’ailleurs, mais on sentait cela depuis longtemps, l’humeur du ciel abattue sur la rade, là, sur les sentiers côtiers, dans les allées du bourg et jusque dans les réunions du conseil municipal, on sentait cela, une fatigue. »

Page 65 : « Oui, c’est vrai, il y a eu un début pour moi, je devrais dire : une faille. Il y a eu une faille en moi et il y est entré comme le vent, parce qu’il soufflait autant que le vent, toujours prêt à se jeter dans toute brèche ou fissure du faux mur que j’avais pourtant essayé de faire passer pour de la brique, mais enfin je ne suis pas en granit. Sinon, comment expliquer qu’un jour je me sois retrouvé à côté de lui sur le siège passager de sa Porsche, à longer la mer sur la quatre-voies pour aller boire une bière sur le port, sous le seul prétexte de parler de pêche et de bateau, oui, surtout ça, de bateau, du genre même de celui que je pensais m’acheter avec l’argent de l’arsenal – oui, quelle coïncidence, j’ai dit un jour à Lazenec, parce que je pensais m’acheter le même modèle. « 

Pages 102-103 :  » En un sens, ça aurait été plus facile s’il avait disparu, quitté la région et changé de nom, qu’alors on aurait couru de cabinet d’avocat en cabinet d’avocat, intentant tels procès perdus d’avance contre les banquiers, les assureurs ou les notaires liés à l’affaire, au moins ça nous aurait occupés. On aurait perdu mais ça nous aurait occupés. Mais je dis et répète que c’est son tour de force à lui d’être resté là comme une fleur au milieu de nous tous, un tournesol qui s’oriente selon les heures du jour, et c’est comme un concours floral qu’il a remporté haut la main, celui de tenir parmi nous toutes ces années, été comme hiver, et vous savez pourquoi ? Parce que plus il tenait, plus on se disait : ce n’est pas possible, s’il reste là, c’est qu’il n’est pas malhonnête. S’il reste là, c’est qu’il y croit lui-même. Alors que c’était justement le contraire : il restait pour qu’on y croie nous, je veux dire, comme pour réactiver chaque jour le petit feu intérieur de chacun, comme s’il avait pu se promener à l’intérieur de chaque âme pour en alimenter les fours à coups de pelles débordantes de quel combustible inépuisable. Et ça marchait. »

 « Article 353 du code pénal », Tanguy Viel, Les Editions de Minuit, 14,50€.

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